Recevoir la newsletter

Un bus pour aller au-devant des jeunes

Article réservé aux abonnés

Avec son bus échange-prévention, le Centre de soins spécialisés pour toxicomanes de Clermont-Ferrand mène un travail de fond auprès des adolescents de divers quartiers. Un travail qui se double d'une action plus ponctuelle : l'approche des jeunes errants sur les festivals.

« Bonjour, j'ai des seringues périmées mais stériles, vous les récupérez ? », demande un infirmier au chauffeur du bus vert et blanc échange-prévention de Pharmaciens sans frontières, stationné comme chaque mardi devant les HLM du quartier de la Gauthière à Clermont-Ferrand.  « Pourquoi elles sont périmées si elles n'ont pas servi ?  », interroge l'un des adolescents bien carrés dans les banquettes du véhicule.

Il n'en faut pas plus aux deux intervenants du Centre de soins spécialisés pour toxicomanes (CSST)   (1), également présents dans le bus, pour rebondir. Stérilisation, transmission du sida, de l'hépatite C, risques liés au piercing et au tatouage... sont abordés dans la foulée. « Il faut transmettre vite l'information car les conversations virent rapidement », précise Marie Esnault, psychologue. En effet, un provocateur «  Salut les tox !  », lancé à la cantonnade par un grand gaillard, coupe net la discussion. «  J'voudrais des capotes !  », clame un nouvel arrivant. Certains s'installent, boivent un café, d'autres ne font que passer. L'équipe prend des nouvelles des habitués, écoute chacun avec attention et fait passer des messages de prévention santé, au besoin à l'aide de supports. L'accueil n'est pas spécialisé, c'est là l'originalité de la structure. «  Il ne s'agit pas du bus des drogués ni du sida, mais d'un bus global », confirme Pascal Courty, psychiatre à la tête du centre de soins. La raison ? « Il n'existe pas de réelle prévention spécifique des toxicomanies mais une prévention de l'ensemble des conduites à risques de l'adolescent.  »

Un lieu sans tabous

L'idée d'aller à la rencontre des 13-25 ans s'est imposée à la suite d'un double constat. D'une part, les personnes fréquentant le centre de soins consultent en moyenne après huit ans d'intoxication - « alors que c'est dans les deux premières années que l'on intervient au mieux », précise Pascal Courty ; de l'autre, elles ont plus de 23 ans. Diagnostic : il faut détecter précocement les usages abusifs de substances psychoactives et orienter les personnes vers des structures adéquates ; mais aussi réaliser un travail durable de prévention au plus près des problématiques locales en délivrant une information fiable.

Ludique, souple, le principe du bus est retenu. Depuis 1995, financé notamment par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Puy-de-Dôme, Clermont Communauté et Pharmaciens sans frontières.

Celui-ci se rend tous les après-midi, à heures fixes, dans certains quartiers relevant de la politique de la ville afin de favoriser une fréquentation régulière. C'est en effet au fil des rencontres que la demande des jeunes  (à 84 % des garçons), souvent floue ou non formulée, s'élabore. Un lien de confiance se tisse, les questions s'affinent. « La toxicomanie n'est jamais abordée d'emblée, souligne le psychiatre. Les sujets sont au début plus vastes :la sexualité, la violence, l'école... » Ainsi, à Gerzat, les 15-18 ans n'hésitent plus à venir parler de leurs préoccupations d'adolescents : histoires de cœur, premier abus d'alcool... «  Le bus est identifié comme un lieu ressources, avec des adultes fiables avec qui ils pourront aborder les questions qu'ils n'osent pas poser ailleurs et dont ils obtiendront des conseils, voire un coup de main », analyse Jean-Yves Sauret, éducateur spécialisé.

Nombreux sont également ceux qui viennent simplement échanger sur la vie de leur quartier, l'actualité, le chômage, la religion. «  On est loin de la prévention habituelle. Mais pour nous, celle-ci passe aussi par un travail de restauration du lien social.  » Une restauration qui s'appuie de plus sur l'intergénérationnel. En effet, outre les quatre éducateurs et la psychologue qui tournent sur le bus, l'équipe comprend une infirmière à la retraite bénévole. «  Son âge modifie beaucoup les relations. Le but est de donner aux jeunes un autre modèle adulte », explique Jean-Yves Sauret.

« On ne va pas chercher les jeunes »

Pour que le ciment prenne, trois principes régissent l'intervention du bus : anonymat, gratuité, volontariat. «  On essaie d'être le moins intrusif possible. On se rapproche des jeunes en se rendant dans leur quartier, sans oublier que l'on n'y a pas été invité. Alors, libre à eux de venir ou non. On ne va pas les chercher », insiste l'éducateur. L'équipe compte néanmoins sur le travail de sensibilisation effectué auprès des travailleurs sociaux du quartier et le bouche à oreille, «  les jeunes servant de relais naturels  ». Leur libre adhésion est soumise à trois règles qu'énonce clairement une pancarte : « Dans le bus, pas d'alcool, pas de drogue, pas de violence.  » Seul le tabac est admis à bord : « Il serait trop complexe de l'interdire. Néanmoins, ponctuellement, on aborde le sujet  », justifie Jean-Yves Sauret.

Quoi qu'il en soit, des trois préceptes, le plus difficile à faire respecter, est celui de la non-violence. «  Le climat est parfois très tendu, même s'il n'y a jamais eu de bagarres. Cela se traduit par des coups dans les portes, des bousculades, les brochures qui volent... », raconte Jean-Yves Sauret. Cette situation se concentre surtout sur un quartier où le bus permet à de jeunes majeurs en grande difficulté de décharger leur agressivité. «  Ce sont des moments durs à vivre et à gérer, témoigne Agnès Champagnat, éducatrice spécialisée. Il faut savoir ne pas rentrer dans leur jeu, encaisser.  » Les intervenants n'ont pas alors toujours l'impression de remplir leur mission. «  Avec ces adolescents très déstructurés, on est parfois un peu à côté  », avoue Agnès Champagnat. L'équipe va donc tenter d'attirer un public plus jeune en se rapprochant du collège voisin. «  Notre force, contrairement aux structures locales, c'est la mobilité, défend Jean-Yves Sauret. Cela nous protège du clash. Il est ainsi arrivé que l'on ne vienne pas pour faire tomber la pression. »

Aller au plus près du public concerné

De même l'équipe peut s'implanter ailleurs si elle juge insuffisante la fréquentation. Ce qui peut s'expliquer par le manque de mobilisation de certains partenaires, la prégnance de quelques dealers, l'incompréhension des habitants ou un emplacement inadéquat. L'intervention en centre-ville va d'ailleurs être réadaptée. Elle devrait permettre désormais de toucher les résidents d'un foyer de jeunes travailleurs qui reçoit aussi des collégiens et doit faire face à des problèmes de consommation de cannabis.

Le partenariat avec les autres intervenants est également indispensable. A la Gauthière, les éducateurs du centre de soins spécialisés pour toxicomanes échangent régulièrement avec les services de prévention spécialisée. « Ils viennent nous voir, on parle de l'atmosphère du quartier, de jeunes “à risques” que l'on a pu repérer et qu'ils connaissent. Ils ont d'ailleurs accompagné au bus des personnes en difficulté commençant à faire un usage de drogue abusif que l'on a pu enrayer rapidement », assure Jean-Yves Sauret.

Autre partenariat actif, celui sollicité par la mission locale de Cournon, soucieuse de travailler sur la toxicomanie et sur les conduites à risques. «  Nous avons choisi un lieu où passent beaucoup de jeunes et de parents, explique sa directrice, Danielle Granouillet. Nous attendons que la curiosité pousse les gens à aller vers ce bus bizarre. Après, à nous d'amener les jeunes, qui ne feraient pas la démarche d'entrer dans un processus de soins, à avoir une première approche avec les intervenants du bus, qu'ils pourront retrouver au Centre de soins spécialisés pour toxicomanes. Cette action, que nous souhaitons relayée par les travailleurs sociaux, doit servir de passerelle. » Dans le sillage de Cournon, des communes, comme Issoire, commencent à désirer la venue du bus. De même, des demandes en provenance d'établissements scolaires parviennent à l'équipe. «  Avec le bus dans la cour, c'est bien plus convivial que quand on intervenait dans les classes, se souvient l'éducatrice spécialisée, Natacha Legay. Là, ça démarre tout de suite, on fait passer des messages forts et on institue un dialogue, l'idée étant plutôt d'échanger que d'exposer.  »

Si le volet information-prévention fonctionne bien, le programme échange de seringues initialement prévu reste marginal. La haine des toxicomanes ressentie dans les quartiers n'y est pas étrangère. «  Les jeunes sont très durs envers eux. Les toxicomanes ne veulent donc pas être repérés. La présence du bus a néanmoins permis de signaler qu'il existe une structure, plus anonyme, pour les aider », observe Eric Eyraud, chauffeur du bus et ancien héroïnomane. Plus globalement, comme le confirme l'étude du Centre Rhône-Alpes d'épidémiologie et de prévention sanitaire menée pour la direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Auvergne, l'action d'orientation du bus «  se traduit par un impact sur l'activité du centre avec une hausse de la fréquentation du public jeune ».

La dimension réduction des risques liés à l'usage de drogue n'a pas pour autant été écartée. Le ministère de la Jeunesse et des Sports a, en effet, demandé à l'équipe d'intervenir, trois années durant, sur des villes festivalières, dont Bourges et Aurillac, où les centres d'entraînement aux méthodes éducatives actives (CEMEA) organisent un accueil. «  Outre notre action même, il s'agissait d'évaluer la teneur du problème toxicomaniaque vis-à-vis des jeunes en errance  », explique Jean-Yves Sauret.

L'échange et la distribution de matériel d'injection y étaient donc pratiqués - dans le bus, afin de susciter la démarche des usagers - et l'équipe faisait passer des messages de réduction de risques tant sur le mode de transmission des virus que sur la mauvaise qualité de produits circulant sur le festival. Aucun testing des substances n'était toutefois effectué. Un travail d'accompagnement des jeunes, en cas de mauvaise « descente » par exemple, était aussi mené, et la prise en charge visait à faciliter un accès aux soins et aux droits, notamment par la mise en relation avec d'éventuels partenaires locaux.

En projet, un deuxième centre de soins pour toxicomanes

Si l'expérience avait pour vocation de servir de modèle aux structures locales des cités festivalières, force est de constater que, malgré les contacts pris sur le terrain, le bilan se révèle décevant. A Aurillac cependant, le partenariat noué entre le Centre de soins spécialisés pour toxicomanes, les CEMEA, la ville et les intervenants médico-socio-éducatifs est appelé à se poursuivre. Un centre de soins pour toxicomanes devrait d'ailleurs bientôt ouvrir, avec l'appui technique de celui de Clermont-Ferrand, ce qui permettra de relayer son action.

Mais une autre problématique a surgi :la rencontre sur les terrains d'accueil de deux populations qui ne se côtoyaient pas. «  Celle des “zonards” usagers de drogues, tels l'héroïne, la cocaïne ou l'alcool, déjà connue, et celle des jeunes adeptes des technivals, consommateurs d'ecstasy », résume Pascal Courty. Une rencontre non prévue par les pouvoirs publics, quoique prévisible, face à laquelle il convient d'imaginer une prévention adaptée pour éviter qu'elle ne devienne «  explosive sinon dramatique  ».

Florence Raynal

Notes

(1)  Le CSST est géré par l'Association d'aide aux toxicomanes : 19, rue des Fossés-sous-la-Rodade - 63100 Clermont-Ferrand - Tél. 04 73 25 59

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur