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« La loi ne peut tout faire »

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Si tant est qu'il faille « sortir » de la loi de 1901, ce qu'on peut en effet articuler, ce n'est donc pas, au total, en réécrivant la loi,  en la complétant, en l'alourdissant, en en canalisant de façon sélective l'usage.
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 La mode est, depuis un certain nombre d'années, à se soucier des abus intéressés de la forme associative, de la multiplication des faux-nez de l'Administration, des désordres marquant la gestion de certaines associations, du défaut de démocratie interne, et de mille autres travers défigurant certaines franges du monde associatif. D'un autre côté, il est clair que, malgré les hommages qu'ils ne cessent de rendre aux associations, creusets des solidarités, et plus généralement du lien social, instruments de changement social, de renouvellement de la citoyenneté et de consolidation de la démocratie, les pouvoirs publics peinent à faire en sorte que la liberté d'association, de formelle qu'elle demeure souvent, devienne une liberté concrète. C'est tout le problème de la part prise par les associations à l'élaboration des choix collectifs ; de la libération du temps des militants associatifs ; des règles présidant à l'éligibilité des associations aux financements publics, et du rythme de versement des subventions ; de la sincérité des pratiques contractuelles qui ne doivent pas être un simple habillage d'une unilatéralité maintenue ou aggravée ; de la fiscalité applicable aux associations lorsque les associations proposent leurs services sur le marché.

Pour répondre à tout ou partie de ces préoccupations, la tentation est bien sûr forte, et conforme au tempérament national, de chercher à mettre en place de nouvelles notions, comme celle d'association reconnue d'utilité sociale. Ce n'est vraisemblablement pas dans cette direction que résident les solutions les plus expédientes. La loi de 1901 a la considérable vertu d'être accueillante à toutes les formes possibles d'initiatives. Il ne convient donc pas, et il est d'ailleurs, après les prises de position du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'Homme, à peu près techniquement impossible de chercher à filtrer a priori les énergies qui souhaitent, pour s'exprimer, avoir recours au cadre de la loi de 1901. Il faut en revanche clarifier le sort auquel, suivant la nature des activités qu'elles déploient, doivent être soumises les différentes catégories d'associations qui-sont-là, et cela sur plusieurs terrains.

Tout d'abord, si on veut que les associations soient véritablement l'école d'une citoyenneté élargie dans son contenu (non pas, donc, seulement des voies d'amenée aux urnes ; et à la militance, avec ou sans intention d'y prendre des responsabilités d'appareil et/ou électives au sein des partis politiques ; mais des instruments d'accouchement d'une nouvelle citoyenneté, fonction de veille, de vigilance, de sollicitation, sur un ou plusieurs terrains particuliers, face aux pouvoirs politiques), il faut que cela se traduise par une ou plusieurs démarches d'ouverture à plus de démocratie directe. Une vraie démocratie directe ; non pas une parodie ; celle qui prévaut lorsque la négociation n'est qu'une ruse pour endormir la vigilance du partenaire, le placer plus aisément devant le fait accompli, le compromettre dans une décision à laquelle il n'a eu part qu'en apparence.

Au-delà de l'adoption d'une telle posture d'accueil aux nouvelles attentes des citoyens, ce sont d'autres engagements qu'il faut que les pouvoirs soient disposés à prendre :

 aider les citoyens de toutes les couches sociales, et pas seulement des couches les plus favorisées, à libérer du temps pour se former, se réunir entre eux, négocier des alliances et une audience auprès de l'opinion publique, représenter les groupes organisés auxquels ils ont donné naissance auprès des institutions, dialoguer avec celles-ci ;

 aider les associations à se procurer les ressources, privées ou publiques, dont elles ont besoin pour donner à leur effort toute l'efficacité et l'ampleur possible ; et à se les procurer dans des conditions qui arrachent la vie associative à l'insécurité qui en est trop souvent l'un des traits majeurs ;

 les aider, lorsque à l'activité d'expression de convictions, ou de pétition, elles en adjoignent une de fourniture de services, à ce que cette activité jouisse, en matière fiscale comme en matière de droit de la concurrence, d'un régime correspondant à l'importance de la contribution apportée à la satisfaction de l'intérêt général.

Des solutions adéquates dans plusieurs de ces domaines, en tout cas le dernier - le droit de la concurrence - ne peuvent d'ores et déjà plus être dégagées au seul niveau national. Et c'est au niveau européen qu'il faut s'employer à les faire prévaloir. En admettant que le marché ne peut répondre à toutes les catégories de besoins, et qu'il faut dans certains cas, à tout le moins lorsque c'est la condition de la satisfaction de l'intérêt général, en suspendre les règles. Ceci est, depuis le traité d'Amsterdam, en meilleure voie que précédemment pour autant que sont concernés des services créés sous l'égide des pouvoirs publics. Ce statut de faveur devrait être élargi aux services de même nature créés sous l'égide de la société civile.

Sur le plan fiscal, il est clair que ne doit pas prévaloir de la notion de désintéressement une conception trop rigide, et que l'élucidation à la question de savoir si une activité associative fait ou non concurrence à une activité d'entreprise implique des jugements de valeur qui ne peuvent être formulés à l'emporte-pièce. Aussi bien l'effort engagé pour préciser les conditions d'application, aux différents secteurs de la vie associative, des règles fixées par les dernières circulaires fiscales doit-il être poursuivi, en tenant compte notamment des conclusions du rapport Derosier.

On ne saurait, quoi qu'il en soit, parler de vie associative sans toujours avoir en tête ce qui distingue les grands mouvements traditionnels de la masse des petites associations émergentes, et souvent éphémères ; l'énorme variété des enjeux et des styles de la vie associative suivant les secteurs (éducation populaire, social, environnement, culture, libertés).

La notion de tiers-secteur d'économie sociale ou solidaire, quel qu'en soit la richesse, ne recoupe pas, au reste, totalement celle de vie associative. La vie associative n'inclut pas toute l'économie sociale ou solidaire, mais s'ouvre aussi à des horizons plus larges. L'économie sociale ou solidaire ne repose pas, et de loin, que sur les associations ; elle repose aussi sur les mutuelles, les coopératives. Peut-être peut-on aussi, pour en favoriser le développement, songer à la création de nouveaux cadres juridiques, telle la  “société à vocation sociale”  évoquée par le rapport Lipietz ?

Si tant est qu'il faille “sortir” de la loi de 1901, ce qu'on peut en effet articuler, ce n'est donc pas, au total, en réécrivant la loi, en la complétant, en l'alourdissant, en en canalisant de façon sélective l'usage. C'est en confessant que la loi ne peut tout faire ; que dans ce domaine, comme dans mille autres, ce sont les disciplines dont les parties prenantes savent au quotidien faire preuve qui permettent, à règles constantes, de faire prospérer un cadre juridique, ou conduisent au dépérissement de sa fécondité.

Tout cela est, en réalité, bien connu. Il est vain d'alimenter indéfiniment des controverses qui ne méritent pas de s'éterniser, et distraient de l'essentiel : retrousser ses manches, faire vivre à la force du poignet les idées qu'on sait justes, et auxquelles la seule façon de rendre hommage, en vérité, est de permettre de s'incarner. »

Par Jean-Michel Belorgey Président de la mission interministérielle pour la célébration du centenaire de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association

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