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« Amer anniversaire pour l'association d'action sociale ? »

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Il ne faudrait pas que notre goût excessif pour les célébrations, à l'approche du centenaire de la loi 1901, serve d'alibi pour éviter d'affronter les questions majeures et décisives qui se posent aujourd'hui au modèle associatif. Penser des modalités de gouvernement spécifiques en référence à la fois aux caractéristiques des entreprises de services à la personne et aux singularités du secteur associatif.
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 A l'heure où nombre de nos institutions traditionnelles, école, syndicats, Eglises, partis... sont éprouvés jusque dans leur existence même, l'association d'action sociale (1) n'échappe pas à cette remise en cause fondamentale : crise de la représentativité, crise de recrutement des bénévoles, fonctionnement démocratique plus formel qu'effectif, projet associatif souvent inexistant ou non actualisé, production de services insuffisamment professionnalisée...

Il ne faudrait pas que notre goût excessif pour les célébrations, à l'approche du centenaire de la loi 1901, serve d'alibi pour éviter d'affronter les questions majeures et décisives qui se posent aujourd'hui au modèle associatif.

Les associations d'action sociale sont trop concernées dans leur essence même par le souci de la personne et par le traitement social qui est réservé aux plus exposés de nos contemporains pour tenter de repenser leurs fonctionnements sans prendre tout d'abord la mesure des métamorphoses qui affectent tant les individus que la société.

Les mutations sociales, culturelles, économiques et politiques constituent une donne inédite qui contraint les associations d'action sociale à inventer pour conserver leur légitimité de nouvelles réponses éthiques, politiques et techniques comme forme radicale de résistance à des évolutions qui défont tant les individus que leur être-ensemble.

Les associations d'action sociale sont-elles de taille pour résister, même si leur action fait nombre avec celles d'autres acteurs du tiers secteur ou de l'économie sociale, à ce qui emporte notre société vers toujours plus de marché, de centration individuelle et d'“insignifiance” (2)  ?

L'entreprise peut sembler irréaliste surtout lorsqu'on regarde sans complaisance le paysage associatif et que l'on constate par exemple que les associations gérant des établissements et des services privilégient de plus en plus des logiques gestionnaires dans un contexte caractérisé par la rationalisation des dépenses et l'instrumentalisation des acteurs associatifs mis en concurrence par les pouvoirs publics ? Le modèle managérial qui semble s'imposer dans le secteur associatif n'induit-il pas à terme une banalisation d'une forme associative qui persiste par ailleurs à revendiquer sa spécificité ? Que reste-t-il du projet de transformation sociale à l'origine du fait associatif ?

Tout acteur associatif lucide ne peut aujourd'hui nier la nécessité d'interroger les fonctionnements associatifs tant au niveau de l'instance politique de l'association que de l'organisation productrice de services qu'elle gère.

La situation éminemment complexe de l'association d'action sociale tient au fait qu'il faut tant dans les pratiques quotidiennes que dans les projets et positionnements stratégiques :

 retrouver une ambition politique de transformation sociale et donc opter pour une posture de résistance aux forces qui évident l'individu et détruisent ce qui fait lien social, en construisant au niveau de l'association un projet associatif effectif, fondé sur une éthique collectivement débattue et prenant appui sur une analyse actualisée des enjeux sociétaux, mais aussi en intervenant dans le champ politique notamment par l'intermédiaire d'instances représentatives, unions et fédérations, pour instaurer un nouveau type de rapports entre le dispositif associatif et le dispositif étatique qui privilégie une posture tutélaire vis-à-vis des associations d'action sociale ;

 assumer conjointement, sans s'y laisser réduire, le rôle de prestataire de services non marchands à la personne avec l'ambition de répondre aux exigences croissantes de qualité et d'innovation par la professionnalisation des services rendus aux usagers, ce qui n'est pas acquis vu le niveau d'empirisme et même de bricolage qui caractérise encore trop souvent les prises en charge sociales et médico-sociales. Cela implique notamment la reconnaissance par les décideurs associatifs de l'apparentement des organisations qu'ils gèrent avec d'autres entreprises du secteur tertiaire relationnel (entreprises publiques, entreprises privées à but lucratif...) et des apports réciproques qui peuvent être réalisés sur le plan de l'organisation, de la technologie, du management...

Pour ce faire, et nous sommes là au cœur du paradoxe associatif, il faudrait que les associations soient en mesure de se situer sur deux versants : un versant éthico- politique et un versant technico-managérial. Ce qui est donc en question c'est la capacité de l'association d'action sociale de dialectiser aux différents niveaux de son projet (projet associatif, projet d'établissement, projet de l'usager), des valeurs, des logiques d'action, des modes de décision et de gestion qui sont référés, les uns à une visée éthico-politique de transformation sociale et les autres à un positionnement technico-managérial de prestataires de services.

Ce défi qui peut paraître démesuré compte tenu des fragilités, des faiblesses et des accommodements associatifs, ne sera relevé que s'il y a une mise en mouvement des acteurs bénévoles et professionnels, politiques et techniques qui prenant conscience sans détour ni complaisance de ce qui menace le fait associatif et s'appuyant sur les substantielles ressources rendues disponibles par l'histoire et la culture associatives voudront participer au développement de l'entreprise associative de services à la personne  : une organisation originale où éthique associative réexplicitée et univers technologique de l'entreprise de services sont mis en tension ; une organisation où dans les pratiques quotidiennes l'on tente d'articuler des valeurs associatives revisitées et réaffirmées avec les réalités techniques et entrepreneuriales contemporaines ; une organisation où l'on s'emploie à faire exister au profit de l'usager une qualité “made in association” produit d'une démarche construite et évaluée de veille éthique et technique ;une organisation où s'adossant à une culture associative forte  “susceptible d'engendrer l'inter-compréhension, la reconnaissance mutuelle et le débat”   (3) l'on se risque à une inventivité managériale dans la gestion des compétences des personnes.

Il ne s'agirait pas moins pour ces acteurs engagés dans une ambitieuse refondation

que d'entreprendre de définir et de faire vivre une gouvernance associative qui ne serait pas qu'un décalque paresseux du management des entreprises marchandes mais qui aurait l'ambition de penser des modalités de gouvernement spécifiques en référence à la fois aux caractéristiques des entreprises de services à la personne et aux singularités du secteur associatif. Peut-être pour s'engager dans un tel challenge faut-il que les acteurs associatifs prenant appui sur les “spécificités méritoires” (4) des associations et se fondant sur une conception radicale de la démocratie continuent de croire qu'“il est possible de transformer le monde” comme les y invite Ignaco Ramonet, dont l'invitation converge avec celle de Jean-Baptiste de Foucauld, pour lequel les associations ont un “devoir d'utopie et d'imaginaire social”.

Le devenir des personnes que les associations ont pour mission d'accompagner rend urgents et prioritaires ce devoir d'utopie et les repositionnements qu'il implique. »

Par Francis Batifoulier  Directeur de la Maison d'enfants Saint-Vincent-de-Paul

Notes

(1)  Il s'agit de « celle qui dans le cadre de la loi de 1901, développe un projet d'intervention sociale solidaire, anime et gère des équipements sociaux, éducatifs ou médico-sociaux de façon professionnelle et militante. Ces équipements et services s'adressent à des enfants, adolescents, adultes et personnes âgées en grande difficulté. Ils relèvent le plus souvent de financements collectifs et sont encadrés par des professionnels de l'aide, de l'éducation ou du soin » selon la définition donnée par Jean Afchain dans Les associations d'action sociale - Outils d'analyse et d'intervention - Ed. Dunod 1997.

(2)  La Montée de l'insignifiance - C. Castoriadis - Ed. du Seuil 1996.

(3)  Sociologie de l'association. Des organisations à l'épreuve du changement social - J.-L. Laville et R. Sainsaulieu - Ed. Desclée de Brouwer 1997.

(4)  M. Parodi, Sciences sociales et « spécificités méritoires des associations », in La Revue du M. A. U. S. S., 1er semestre 1998, n° 11.

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