T out le débat est aujourd'hui de savoir ce qu'il faut faire pour conforter l'avenir des associations de solidarité.
Conforter : rappelons, s'il est en besoin, que ce verbe ne recouvre pas la même notion que le mot “confort”. Les associations n'ont pas pour ambition d'accéder à une existence douillette. Ce serait contraire à leur vocation même qui est d'être aux avant-postes, en vigie, en constante recherche d'innovation, d'être aux prises et en prise sur la précarité. Il existera toujours, pour elles, une “contagion du précaire”. La précarité des personnes épaulées génère inévitablement une précarité des structures d'épaulement. Mais cette vulnérabilité ne saurait être un objectif en soi, sauf à verser dans le masochisme. Il est donc sain et légitime de faire tout ce qui est possible pour rendre solide l'avenir des associations de solidarité. C'est l'intention maintes fois affirmée aujourd'hui par l'Etat et les autres collectivités publiques. Comment en la matière assurer la coïncidence du dire et du faire ?
Dans l'appel d'air créé par les “assises de la vie associative”, dans la foulée de leur préparation et de leur tenue, dans la perspective de la célébration du centenaire de la loi de 1901, on réfléchit beaucoup à ce qu'on pourrait attendre d'un réaménagement de ce texte, ainsi qu'à l'élaboration de lois nouvelles, créatrices de statuts adaptés aux natures, rôles, modes de fonctionnement des organismes dits du “tiers secteur”. Ces approches sont intéressantes. Il serait sot de les dénigrer.
Mais la conviction exprimée ici est que le souci de consolider l'avenir des associations ne requiert pas, pour l'essentiel, de novations législatives :
La loi de 1901 est un texte libéral et souple. Qu'il soit centenaire ne suffit pas à le juger obsolète. Il ne prescrit aucune voie d'agir. Il n'interdit ni n'empêche aucune bonne façon de faire. Il les autorise toutes. Ce mérite le rend précieux. Qu'il puisse être actualisé, à la marge, sur quelques points, pourquoi pas ? Mais on se tromperait sans doute en imaginant qu'une refonte de cette loi de liberté vienne miraculeusement libérer les associations de leurs préoccupations fortes et des menaces de divers ordres qui pèsent sur elles.
Un ou plusieurs statuts de “l'entreprise à finalité sociale” ?Pourquoi pas ? Mais à condition que les associations n'en attendent pas monts et merveilles.
Car ce qui crée aujourd'hui des inquiétudes, des malentendus, voire des frictions, ce n'est pas une défectuosité législative, c'est dans la vie de tous les jours, dans la relation pratique entre collectivités publiques et associations, qu'en dépit de bonnes volontés mutuelles, les choses achoppent souvent. La question doit donc être abordée de façon pragmatique, ce qui est moins simpliste, pas forcément moins ardu, mais sans doute susceptible d'ouvertures significatives.
Que craignent les associations quant à leur avenir ?Et de quoi les collectivités publiques s'irritent-elles ?
En bref : d'un côté on s'interroge sur ce que seront demain la nature et les contours de l'espace ouvert à l'action associative dans le domaine de la santé et de l'action sociale, sur la place que l'Etat et les collectivités territoriales entendent offrir aux acteurs du “tiers secteur”, sur ce qui se dessine quant au partage des rôles entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'œuvre, sur les façons respectives de traiter - et de traiter avec - les opérateurs privés lucratifs et non lucratifs, sur les critères permettant de différencier les uns des autres, sur les conséquences à en tirer quant aux marges de liberté et d'inventivité, sur les risques de voir les “appels à projets” remplacés par des appels d'offres réducteurs, bref sur l'existence d'un péril d'instrumentalisation.
Du côté des collectivités publiques, on trouve agaçant voire inadmissible que l'acteur associatif revendique parfois une sorte d'exclusivité de la compétence en matière de vigie sanitaire et sociale, qu'il demande à déterminer les ordres de priorité des besoins, que tout à la fois, il quémande l'argent public tout en stigmatisant les décideurs publics, qu'il veuille être autre chose et davantage qu'un simple auxiliaire de service public.
Comment éviter que l'on s'installe durablement dans ce face-à-face de lamentations associatives et de crispations associatives ?
La piste la plus prometteuse ouverte aujourd'hui est celle -annoncée à plusieurs reprises par l'Etat - d'un nouveau pacte : il s'agirait ni plus ni moins d'actualiser, voire de redéfinir, réinventer un nouveau mode d'emploi des relations entre des forces fondamentalement différentes et très inégales, c'est-à-dire des libertés foisonnantes enclines à s'auto- proclamer et des souverainetés qui ne sauraient renier ou minimiser leurs légitimités. Il s'agirait d'élaborer des types de conventions plus clairs et plus constructifs, assez inédits à ce jour, comportant des engagements mutuels explicites, situés dans la durée, tenables parce que réalistes, respectueux des identités et des autonomies des uns autant que des prérogatives des autres, équilibrés, sanctionnables et évolutifs.
Il faut saisir au bond l'offre d'un nouveau pacte. Cette ouverture peut seule permettre de conjurer le risque d'instrumentalisation. Il faut aussi bien avoir conscience de la difficulté de l'exercice, dès lors qu'il ne se limiterait pas à quelques déclarations conjointes générales et solennelles. Car cette perspective implique - on ne le répétera jamais assez - que les associations acceptent, sans faux-semblants ni faux-fuyants, la discipline de l'évaluation. C'est là une obligation lourde et il conviendra d'être très attentifs sur ses conditions - critères, procédures -de mise en œuvre. Mais s'il doit y avoir un nouveau Pacte, l'évaluation sera une obligation incontournable.
Les associations de solidarité sanitaires et sociales doivent s'y préparer. Elles en ont les capacités, les ressorts. C'est un défi qu'elles sont parfaitement en mesure de relever. Ce serait l'un des moyens les plus sûrs de conforter leur avenir.
Par Jean-Michel Bloch Lainé Président de l'Uniopss