Répondant aux interrogations des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rejeté, le 23 novembre, l'idée que l'allongement à 12 semaines du délai légal d'avortement soit susceptible d'entraîner des dérives eugéniques. Un avis longuement motivé, qui ne manquera pas d'éclairer les débats sur le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) (1), dont l'examen a débuté, le 29 novembre, à l'Assemblée nationale.
Le comité considère comme eugénique « toute pratique collective institutionnalisée qui vise à favoriser l'apparition de certains caractères ou à en éliminer d'autres jugés négatifs ». Or, estime-t-il, l'avortement ne répond à aucun de ces critères. En outre, relèvent les sages, aucune étude ne montre que le nombre d'IVG ait augmenté du fait de « la découverte d'anomalies », lors d'un examen de dépistage prénatal. Plus généralement, ils balaient les craintes de certains parlementaires, inquiets que le désir des couples d'avoir « un enfant parfait » motivent un accroissement du nombre des IVG. Pour le comité, « invoquer [une] connaissance facilitée et banalisée du sexe ou de l'existence d'une anomalie mineure pour empêcher la prolongation du délai légal [serait] excessif et d'une certaine façon attentatoire à la dignité des femmes et des couples ». Ce serait « leur faire injure », poursuit-il, « de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à cette connaissance ».
Par ailleurs, le CCNE a rejeté les solutions alternatives à l'allongement du délai légal que la députée Marie-Thérèse Boisseau (UDF) devait défendre dans l'hémicycle (2). L'élue préconise de laisser le délai actuel inchangé et d'instaurer une procédure collégiale des avortements tardifs pour « raison psycho-sociale d'une particulière gravité », calquée sur celle existant en matière d'interruption thérapeutique de grossesse (3). Une telle solution, déclarent les sages, « changerait radicalement l'esprit de la loi de 1975, en redonnant à la société un droit de regard ». Elle entraînerait « des confusions graves et dommageables pour les femmes, sources de discriminations et de solutions aléatoires ».
Une prise en charge insuffisante par les pouvoirs publics
Au-delà, le Comité d'éthique juge que l'allongement du délai pose la question des « moyens techniques et sociaux à mettre en œuvre ». En effet, explique-t-il, selon certains experts, les « interruptions tardives nécessitent l'aménagement de moyens hospitaliers adéquats, actuellement insuffisants dans notre pays ». En outre, les sages condamnent l'attitude des pouvoirs publics qui n'accordent pas aux équipements qui pratiquent les IVG « l'attention et l'aide matérielle suffisantes ». Or, soulignent-ils, « la nécessité d'assurer l'accueil et l'accompagnement des femmes enceintes plongées dans le désarroi ou l'angoisse [...] relève bien de notre responsabilité collective ». Pour y remédier, le CCNE tient pour indispensable de renforcer les dispositions et les structures d'accueil propres à « permettre à une femme enceinte en détresse qui le désirerait de pouvoir mener sa grossesse à son terme ».
Dénonçant « les insuffisances du maniement et de la mise à disposition de la contraception en France », les sages invitent les pouvoirs publics à mettre « les moyens nécessaires pour informer les jeunes femmes, mais aussi les jeunes hommes, du risque de grossesse non désirée et de ses conséquences ».
(1) Voir ASH n° 2085 du 2183 du 6-10-00.
(2) Cette proposition a été rejetée, le 15 novembre, par la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
(3) Si deux médecins attestent que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe un risque que le fœtus soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, l'interruption de la grossesse peut être pratiquée à tout moment.