Un enfant né handicapé du fait d'une rubéole non décelée chez sa mère pendant la grossesse peut-il prétendre à une indemnisation ? Telle était la délicate question à laquelle l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a répondu par l'affirmative, le 17 novembre (1).
En l'espèce, Nicolas Perruche est né lourdement handicapé parce que la rubéole contractée par sa mère, pendant sa grossesse, n'a pas été établie, à la suite d'une erreur médicale. A l'époque, les parents avaient informé leur médecin qu'ils choisiraient de recourir à une interruption volontaire de grossesse en pareil cas. Dès 1992, le tribunal de grande instance d'Evry avait fait droit à leur demande d'indemnisation, jugement confirmé un an plus tard par la cour d'appel de Paris. En revanche, cette dernière avait rejeté la demande d'indemnisation faite par les parents, au nom de leur fils, estimant que son handicap était dû à la rubéole de sa mère et non pas à une faute des médecins. En 1996, cet arrêt avait été cassé par la chambre civile de la Cour de cassation. Appelée à rejuger l'affaire, la cour d'appel d'Orléans a refusé de suivre la Haute Juridiction et a confirmé, en février 1999, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, provoquant de ce fait la réunion de la Cour de cassation en Assemblée plénière.
Pour la Cour suprême, les fautes médicales commises ont « empêché [la mère] d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap ». En conséquence, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues.
Voilà pour le droit. Mais la motivation lapidaire de l'arrêt ne saurait occulter la dimension éthique de l'affaire. Dénonçant l'idée que « la naissance et donc la vie de l'enfant [puissent être] considérées comme un préjudice », l'avocat général avait plaidé, au nom du « respect de la dignité humaine » contre l'indemnisation de Nicolas Perruche. Un argument que la Cour de casssation n'a pas retenu. Elle a suivi, au contraire, la position défendue par le rapporteur. Ce dernier s'était interrogé : « Où est le véritable respect de la personne humaine et de la vie, dans le refus abstrait de toute indemnisation, ou au contraire dans son admission qui permettra à l'enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine sans être abandonné aux aléas d'aides familiales, privées ou publiques ? » Le préjudice dont il est demandé réparation, a affirmé le rapporteur, ne réside pas dans la vie même de l'enfant mais est « exclusivement celui qui résulte du handicap qui va faire peser sur l'enfant pendant toute son existence des souffrances, charges, contraintes, privations et coûts de toute nature ». Une analyse qui a conduit la Cour de cassation à accueillir favorablement la demande et à renvoyer la fixation du montant de l'indemnisation de Nicolas Perruche devant la cour d'appel de Paris.
(1) Sur la réaction de l'Unapei, voir ce numéro.