« La richesse est dans la différence. » Cette phrase du généticien Albert Jacquard, inscrite au fronton du collège Django- Reinhardt à Toulon, annonce la couleur. Ici, l'intégration n'est pas un vain mot.16 jeunes (11 garçons et 5 filles), originaires pour la plupart du Maghreb mais aussi du Sénégal et du Kosovo, travaillent dans une classe « expérimentale » créée à leur intention. Peu scolarisés dans leur pays et s'exprimant mal ou pas du tout en français, ils bénéficient du dispositif d'insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes rejoignants.
Dans l'aire toulonnaise, chacun de ces primo-arrivants, pas encore majeurs mais non soumis à l'obligation scolaire, est venu rejoindre son père installé en France depuis longtemps (25 ans en moyenne) et travaillant essentiellement soit dans le secteur du bâtiment soit dans celui de l'agriculture. Un tiers des mères sont restées au pays, les autres sont arrivées en même temps que leurs enfants ou résident en France depuis peu et n'ont pas d'activité salariée. La majorité des adolescents sont arabophones, avec, pour ceux qui ont été scolarisés en ville, des notions orales de français. Comment se faire une place dans la société d'accueil quand on n'en maîtrise ni la langue ni le fonctionnement ? Jusqu'ici, ces jeunes étaient placés dans une troisième d'insertion, classe de formation en alternance pouvant ouvrir sur l'apprentissage. Mais, sans réponse adaptée à leurs difficultés linguistiques ou à leur faible niveau scolaire, ils se retrouvaient « largués » avec le risque, faute d'activité rémunérée, de céder au prestige du cancre dealer et de basculer dans la délinquance.
L'idée d'une classe spécifique a germé au sein de l'association Femme dans la cité (1). Rassemblant des femmes de toutes origines habitant la cité Berthe à la Seyne-sur-Mer, son objet est de favoriser leur promotion, l'échange interculturel et la lutte contre l'exclusion. Premier souhait des mères : que leurs enfants réussissent à l'école. Or, si les primaires peuvent bénéficier de cours de soutien scolaire et les plus de 11 ans de neuf heures hebdomadaires de français langue étrangère, il n'y a rien pour les 16-18 ans nouvellement arrivés en France.
L'association prend alors contact avec l'inspection académique, en particulier le Centre de formation et d'information pour la scolarisation des enfants migrants (Cefisem) (2). Une réflexion s'amorce également avec le Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS). Pour une meilleure intégration, tous estiment essentiel que la classe se situe dans le milieu scolaire. Le principal du collège Django-Reinhardt (3) met à disposition un local et du matériel pédagogique, l'association prenant en charge le montage du projet. Cofinancée par le FAS et le Fonds interministériel pour la ville, avec un apport de la Fondation Caisse d'épargne, la « classe expérimentale » ouvre ses portes à la rentrée 1996.
Les jeunes sont repérés par les associations, les collèges, le Cefisem, les missions locales, le service social d'aide aux émigrants. On évalue d'abord le niveau des candidats par rapport au système scolaire français en leur faisant passer des épreuves dans leur langue d'origine. Puis on leur propose une série de tests en français pour cerner leur maîtrise de l'expression orale et écrite. C'est en croisant les résultats qu'on oriente les élèves dans le module qui leur convient.
Suivant leurs compétences, ceux-ci fréquentent la classe sur un cycle d'un ou de deux ans avant de rejoindre une filière d'enseignement ordinaire ou le monde du travail. Ils sont encadrés par une équipe de trois intervenants diplômés d'universités françaises recrutés et rémunérés par l'association et un enseignant de l'Education nationale.
Investi dans le projet depuis le début, Brahim Kaouakib, licencié en économie, a délaissé la comptabilité pour l'enseignement. Parlant arabe, il est également responsable du suivi des familles qui doivent être partie prenante du projet : « Ces jeunes, pour la plupart ont connu une scolarité chaotique. Ici, ils rebondissent. Nous avons avec eux des rapports privilégiés. Deux ans, c'est très court. Il faut qu'à la fin du cycle ils parviennent à un bon niveau de sixième, même ceux qui sont analphabètes au départ. » Ces derniers sont suivis, plus particulièrement, par Yamna Mansour, titulaire d'une maîtrise de français : « Je me mets à leur place pour mieux les aider. Ils ont tous envie d'apprendre. Les conditions sont idéales : on avance vite. »
Dans le département du Var, le service social d'aide aux émigrants (SSAE) a signé, en 1995, une convention avec l'Office des migrations internationales pour l'accompagnement des familles pendant la première année suivant leur entrée sur le territoire. Dans le cadre d'une réunion de pré-accueil pour les pères ayant fait une demande de regroupement familial, ces derniers sont informés de l'existence de la classe pour jeunes rejoignants. « Ils mettent beaucoup d'espoir dans l'école française, explique Chantal Auguié, assistante sociale au SSAE. Seulement, il y a bien souvent un décalage entre le souhait que leur enfant poursuive des études secondaires et la réalité ; ici, le niveau scolaire est plus élevé. Nous les mettons en garde pour éviter les déceptions. Mais au bout d'un an, quand nous effectuons le bilan du suivi de la famille, les parents expriment leur satisfaction : ils constatent que leur enfant a bénéficié d'un encadrement optimal pour surmonter ses difficultés à son arrivée en France. »
Français, mathématiques, initiation à l'informatique, monde contemporain : parallèlement à ces disciplines, les élèves suivent des cours de technologie sous la direction d'un enseignant de l'Education nationale dans les ateliers de la section d'éducation générale et professionnelle adaptée (SEGPA) d'un autre établissement proche, le collège Alphonse-Daudet à La Valette. En construisant une yole de quatre mètres de long, ils apprennent à tracer un plan, manipuler des matériaux et des outils, travailler en équipe. Les trois premières promotions ont chacune construit sa yole et la quatrième une rampe de lancement.
Les jeunes ont besoin de comprendre la société dans laquelle ils vivent. C'est pourquoi, à côté des matières scolaires, une large place est réservée à la vie sociale et professionnelle. Le but est de faire connaître le rôle des différentes administrations, de donner des informations en matière de consommation, de santé et d'hygiène de vie, de faire découvrir le système éducatif et le monde du travail. Des visites de lycées professionnels et de forums pour l'emploi sont organisées. Pendant son parcours, chaque jeune est confronté à l'examen du certificat de formation générale (CFG), épreuve qu'il passera au cours de l'année scolaire en même temps que ses camarades de troisième d'insertion et de SEGPA. Dans ce cadre, il est tenu de faire au moins un stage de 15 jours en entreprise. Domaines choisis : maçonnerie, coiffure, réparation, mise en rayons des marchandises... Malgré son niveau peu élevé, le CFG, reconnu comme degré 1 du certificat d'aptitude professionnelle, représente un tremplin pour l'insertion professionnelle. D'où la motivation des élèves pour le préparer.
Les jeunes ont cours de 9 heures à 16 heures dans une salle qui leur est dévolue. Considérés comme élèves du collège, ils fréquentent la demi-pension, vont en récréation avec les autres et ont droit aux mêmes avantages : bourse des collèges, fonds social cantine... Ils participent également au tournoi annuel de foot et au cross organisés par l'établissement. « Que feraient ces gosses livrés à eux-mêmes sans une structure comme celle-ci ? », s'interroge le principal, André Monrocher. « Ce n'est pas une classe ghetto, observe Medjoub Benzohra, l'un des initiateurs de l'expérience. Bien sûr, les jeunes sont discrets et restent plutôt entre eux la première année, mais la deuxième, ils vont tout doucement vers les autres. »
Si ces adolescents sont pudiques, ils n'en souffrent pas moins de déracinement quand ce n'est pas de difficultés relationnelles avec un parent qu'ils n'ont pas vu depuis des années. Très proches d'eux, leurs formateurs, à la fois enseignants et éducateurs, sont à leur écoute. « Nous avons une heure de concertation hebdomadaire avec eux », précise Florence Bottex, responsable du projet. Outre l'enseignement, cette titulaire d'une maîtrise d'anglais assure deux heures de sport par semaine et coordonne les relations des enseignants du dispositif, entre eux et avec le collège.
Quel bilan dresser depuis la création de la classe ? Pratiquement tous les jeunes y ont trouvé une voie pour s'insérer dans la société française. L'année dernière, par exemple, un seul a abandonné. Six jeunes ont entamé une deuxième année, deux ont été orientés en troisième d'insertion, deux ont été embauchés, cinq ont rejoint le lycée d'enseignement professionnel. Ces derniers sont d'ailleurs reconnus par leurs enseignants comme des élèves sérieux et très motivés.
Pourtant, à côté de ces adolescents, il existe une catégorie de jeunes migrants, souvent issus de milieux urbains, dotés d'un bon niveau scolaire leur permettant d'entrer au lycée et qui pourraient prétendre faire ici des études supérieures. Mais, à âge égal, ils ont un niveau plus bas que les Français. « Pour eux, il faudrait créer des classes “sas” pour une intégration progressive au lycée », plaide Robert Gerni, délégué départemental du Cefisem. « Nous avons alerté le FAS sur les difficultés d'insertion de ce type de population et de notre souhait de développer une prise en charge spécifique. »
Cette année, le Var a accueilli 512 primo- arrivants de tous âges dont 70 jeunes de plus de 16 ans. Pour eux, les réponses sont loin d'être suffisantes. Il faudrait essaimer l'expérience en créant d'autres dispositifs spécifiques. Le souhait du Cefisem est de travailler avec les associations. Elles possèdent des compétences qui font défaut à l'Education nationale : connaissance des cultures, souplesse des parcours personnalisés, expertise en évaluation-orientation, aptitude à la médiation familiale.
Le vœu de l'association Femme dans la cité serait d'ouvrir une deuxième classe dans l'aire toulonnaise. Encore s'agit-il de pérenniser la première. En effet, il faut chaque année réintroduire une demande de financement auprès du Fonds interministériel pour la ville. Et le FAS, après avoir valorisé l'expérience, souhaite se mettre en retrait. Dans le cadre du prochain contrat de ville qui devrait être signé en 2001, l'association espère donc obtenir un conventionnement sur trois ans. Quant aux collectivités locales sollicitées, elles se sont contentées d'enregistrer la demande. En dépit du label « Fraternité 2000 » attribué à l'initiative du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Mais le plus simple, aux yeux de l'association, serait que, relayée par le service public, cette action qui, depuis quatre ans, a fait ses preuves, soit prise en charge par l'Education nationale.
Françoise Gailliard
(1) Femme dans la cité : Le Floréal E7- BP 483 - 83514 La Seyne-sur-Mer - Tél. 04 94 06 66 60.
(2) Cefisem - Inspection académique : rue Montebello - 83100 Toulon - Tél. 04 94 09 55 09.
(3) Collège Django-Reinhardt : BP 935 - Rue Jean-Philippe Rameau - 83050 Toulon - Tél. 04 94 46 97 50.