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Faut-il un conseil d'éthique pour le travail social ?

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Face à la multiplication des chartes et comités déontologiques, l'ANAS, l'ANCE et l'Anpase veulent fédérer les énergies autour d'un conseil d'éthique commun aux acteurs sociaux. Genèse du projet.

Avec la décentralisation, le travail social s'est rapproché des politiques locales et ses professionnels ont eu parfois le sentiment de perdre le sens de leur mission, notamment face aux préoccupations plus budgétaires que sociales de leurs employeurs. Ils ont aussi été les témoins de l'augmentation des situations d'inégalité dans l'accès aux droits en fonction des territoires. D'où l'importance aujourd'hui des questions de déontologie. D'autant que bon nombre de problèmes de société (drogue, délinquance, avortement) rendent difficile la position des travailleurs sociaux, partagés entre l'intérêt de l'usager et la loi.

Que doit dire et ne pas dire une assistante sociale, convoquée par la brigade des mineurs, à la suite d'un acte de violence sur une famille qu'elle connaît dans le cadre d'un dossier de gestion financière ? Doit-on dénoncer une personne hospitalisée qui confie être recherchée par les autorités judiciaires à l'issue d'un jugement pour homicide involontaire et usage de stupéfiants ? Autant de questions dont les réponses se situent aux limites du droit, de la responsabilité du travailleur social et du secret professionnel. D'autres problèmes se posent avec l'intervention de certains employeurs élus. Que faire lorsqu'ils exigent la liste des familles qui perçoivent une aide sociale municipale ? Comment considérer le projet d'informatiser les fichiers d'allocataires du revenu minimum d'insertion ? Dans la pratique mais aussi dans les projets et les missions confiées, les inquiétudes grandissent.

Quelle éthique pour quelles pratiques ?

C'est dans ce contexte que l'Association nationale des professionnels et acteurs de l'action sociale et sanitaire en faveur de l'enfance et de la famille (Anpase) a décidé de s'attaquer à la question lors d'un colloque : « Travailleur social, un avenir possible. Quelle éthique pour quelles pratiques ? » (1). Réunis à Montpellier, les participants ont exprimé leurs questionnements sur les objectifs réels de certaines politiques auxquelles ils participent. Par exemple, certains ont évoqué le cas d'enfants dits «  incasables  » et envoyés à l'étranger dans le cadre de programmes de formation européens douteux. Comment réagir ? « Aujourd'hui, le travail social recherche une instance sur laquelle s'appuyer surtout dans le traitement des situations à risques », affirme Michel Andrieux, délégué général de l'Anpase.

De fait, depuis le milieu des années 90, différentes initiatives locales ont tenté d'élaborer des chartes déontologiques et de mettre en place des commissions éthiques. Quant à l'Association nationale des assistants de service social (ANAS), elle a réactualisé son code de déontologie en 1994. « Nous priver d'un questionnement sur le sens de nos pratiques revient à faire de nous des techniciens sociaux, certes compétents mais dont les savoirs ne peuvent suffire à définir leur professionnalité », défend Christine Garcette, sa présidente. Lors de la mise en place du progiciel de traitement de l'information sociale ANIS, cinq comités d'éthique ont ainsi vu le jour dans les départements concernés (voir encadré). En 1996, l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE) a proposé un texte de Références déontologiques voté par 1 000 personnes (2). Ce document s'appuie sur la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Constitution, la Convention internationale des droits de l'Enfant, le code civil, le code pénal et la réglementation du travail. Une initiative similaire a été prise par la Fédération des lieux d'accueil pour l'exercice des droits de visite qui a rédigé un code de déontologie pour affirmer la spécificité de ses organismes, mieux les faire connaître, clarifier leur position par rapport aux juges aux affaires familiales et harmoniser leurs pratiques.

Des comités déontologiques

Mais faire des textes ne suffit pas, encore faut-il les appliquer et dans de nombreuses situations, une exégèse s'impose. Pour assurer le suivi de son initiative, l'ANCE a créé un comité des avis déontologiques, chargé de répondre aux interrogations des travailleurs sociaux. Composé de neuf membres, indépendants de l'association, il examine les questions reçues par courrier ou par e-mail de manière anonyme chaque mois. Ses conseils, faisant référence aux différents textes de loi, sont consultables sur Internet (3). Depuis trois ans, il a déjà rendu 70 avis.

Cette initiative n'est plus isolée, puisque d'autres comités ou commissions aux mêmes fonctions ont vu le jour localement. Il y a six mois, le comité éthique et déontologique des Yvelines a été installé à la demande des professionnels de terrain. Comprenant un chargé de mission et des intervenants de l'aide sociale à l'enfance, de la protection maternelle et infantile, de la polyvalence, un médecin, un juriste et un représentant de la santé communautaire, il a rendu 30 avis à la suite de demandes reçues par courrier ou par téléphone. Ses conseils concernent essentiellement le droit des usagers et la responsabilité des travailleurs sociaux. Ailleurs, au conseil général de l'Isère, une charte de polyvalence a été élaborée et un comité départemental éthique et déontologie a été créé (4). Bien d'autres départements travaillent sur des projets similaires pour clarifier les principes et les libertés du travail social dans un univers où les intérêts des employeurs se révèlent parfois en contradiction avec ceux du travail social. « Le travailleur social n'est pas un électron libre déconnecté de sa mission sociale, affirme Sylvain Cuzent de l'ANCE . Il faut reconnaître sa position particulière. Nous avons la volonté de réaffirmer la légitimité du travail social et d'harmoniser les pratiques. »

Alors, faut-il fédérer toutes les initiatives mises en place depuis plusieurs années à travers la création de chartes et de comités d'éthique ? Oui, défendent l'ANCE, l'ANAS et l'Anpase qui ont dévoilé, au cours de leurs journées d'étude, leur projet commun : un texte fédérateur rappelant les grands principes du travail social qui pourrait servir de référence aux professionnels, accompagné de la création d'une commission déontologique réunissant plusieurs mouvements de travailleurs sociaux. Elle serait ainsi un interlocuteur reconnu des pouvoirs publics pour la mise en œuvre des projets sociaux, et pourrait également répondre aux questions et rendre des avis. « Certains jouent la complexité de notre secteur pour dire que c'est impossible, remarque Michel Andrieux. Mais un conseil éthique du travail social désigné par la base et indépendant est une nécessité. Il permettrait de défendre, non pas tant les travailleurs sociaux, mais la qualité de la réponse apportée.  » Avec 3 000 adhérents, l'Anpase revendique une certaine représentativité. Rejointe par l'ANCE et l'ANAS, elle gagne encore en légitimité. D'ores et déjà, d'autres fédérations et unions, comme l'Uniopss, auraient été contactées et seraient sur le point de donner une réponse officielle sur leur participation au projet. Jean-Pierre Rosenczveig, président de l'ANCE, annonce, pour sa part, que 12 associations et unions différentes sont intéressées par la création d'une instance d'éthique. Leur engagement sera officialisé dans les prochaines semaines pour une mise en œuvre du travail dès le début 2001.

Eviter la normalisation

Mais, si le projet est séduisant, il réveille néanmoins les craintes liées à la création d'un code de déontologie. « Il ne faudrait pas rédiger un texte rigide qui enferme nos pratiques et sanctionne ceux qui en dévient  », s'alarment d'aucuns . « Un référentiel doit rester souple et évolutif. Il peut conseiller, mais ne doit pas devenir une norme à respecter à tout prix.  » A cela s'ajoutent des questions pratiques. Qui peut légitimement travailler à un texte fédérant l'ensemble des acteurs sociaux ? Les multiples fonctions et les différents secteurs peuvent-ils se reconnaître dans un texte unique ? Ne risque-t-on pas d'instituer une norme mal adaptée à certaines situations ? Conscients de ces difficultés, les partenaires du projet naviguent avec prudence. Ils se défendent de vouloir créer un conseil de l'ordre : la commission ou le conseil d'éthique en question ne sanctionnerait pas mais donnerait un avis sur l'attitude à adopter. « Nous souhaitons offrir une série de prestations de service aux acteurs sociaux pour les aider lorsqu'ils rencontrent des problèmes, précise Jean- Pierre Rosenczveig. Nous ne proposons pas un texte contraignant mais une référence à laquelle on adhère par conviction. Les systèmes normatifs et la loi ne doivent pas être les seuls à guider leurs pratiques car ils font partie d'une morale sociale.  »

Florence Pinaud

ÉTHIQUE ET INFORMATIQUE

Lors du lancement, en 1992, du progiciel informatique ANIS (Approche nouvelle de l'information sociale) par cinq départements, un comité interdépartemental d'éthique de cinq membres a été mis en place à la demande de la CFDT Interco (5) . Objectif : contenir les dérives d'un outil capable d'accumuler une information allant bien au-delà des pratiques des travailleurs sociaux et d'en faire un usage qui échappe au champ social. « Avec ANIS, nous étions en face d'une logique en contradiction avec la déontologie du travail social, les élus désirant faire mieux avec moins d'argent, explique Amédée Thévenet, ancien inspecteur général des affaires sociales et membre du comité d'éthique ANIS. Nous avons donc essayé de limiter les dégâts en tentant de réduire les possibilités de partage de l'information sur les usagers entre les professionnels. » Pour cadrer encore le développement du progiciel qui a produit bien des remous parmi les professionnels du social et fait l'objet de réserves de la part de la Commission nationale informatique et liberté, d'autres travaux cherchent à cadrer les limites à ne pas dépasser. Et concernant cet outil informatique, les questions sont nombreuses. Quelles sont les données nominatives qu'il convient d'informatiser ?Faut-il catégoriser et classifier la vie sociale, relationnelle et la santé des personnes ? Doit-on réunir des informations recueillies par différents professionnels dans plusieurs secteurs au sein d'un seul dossier informatique ? Dans quelles conditions peut-on traiter des données nominatives, produits des services sociaux, pour réaliser des études ? Autant d'interrogations du Collectif pour les droits des citoyens face à l'informatisation de l'action sociale et de la Ligue des droits de l'Homme, présentées par Annie Marcheix, membre du collectif Informatique, fichiers et citoyenneté, pendant le congrès de l'Anpase (6) . Pour y répondre, celle-ci évoque, entre autres, la subjectivité, le respect des usagers et le droit à l'oubli (conservation des données). « Les données sociales ne sont pas dans la loi qui recense les informations sensibles comme celles concernant la santé, regrette-t-elle. Or, il ne faut informatiser que ce qui peut l'être et ne pas imposer un outil qui va poser encore plus de problèmes aux travailleurs sociaux qui ne l'auront pas compris et accepté. Notre démarche vise aussi à cadrer l'informatisation du secteur social par rapport au respect des individus, à leur intégrité et aux droits de l'Homme. »

Notes

(1)  Du 10 au 13 octobre 2000 - Anpase : BP n° 4 - 76380 Canteleu - Tél. 02 35 52 43 70.

(2)  Voir ASH n° 1978 du 7-06-96.

(3)  www.ance.org.

(4)  Voir ASH n° 2004 du 3-01-97.

(5)  Voir ASH n° 2040 du 10-10-97 et n° 2012 du 28-02-97.

(6)  Informatisation dans le secteur social et médico-social. Neuf questions et neuf réponses, pour des droits sociaux sans casier social à demander au collectif Informatique, fichiers et citoyenneté : 5, rue de la Boule-Rouge - 75009 Paris - Tél. 01 43 73 32 82.

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