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La loi restera-t-elle à la porte des prisons ?

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Les prisons, zones de non-droit. L'image avait été réactivée par la publication, l'hiver dernier, du livre choc du médecin chef de la prison de la Santé, Véronique Vasseur (1), et par les deux rapports parlementaires présentés en juillet (2). Elle réapparaît aujourd'hui après l'envoi aux directeurs d'établissements et de services pénitentiaires, par le ministère de la Justice, de la circulaire du 31 octobre précisant les modalités d'application, dans les prisons, de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration   (3). Une circulaire qui « dénature l'intention du législateur, contredit la loi [...] ou tente de restreindre sa portée », estime l'Observatoire international des prisons (OIP)   (4), qui exige son retrait. Un texte « rétrograde, dont l'unique but est d'expliquer comment contourner cette loi dérangeante dans les établissements pénitentiaires », pour le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap)   (5), déçu de ce «  rendez-vous manqué avec ce qui aurait pu être un grand progrès du droit  ».

Abus de pouvoir ?

Première question soulevée par ce texte : sa validité. Un avocat proche de l'OIP vient de déposer un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Paris, au motif que la circulaire - forme qui doit normalement se contenter d'expliquer le droit - introduit des dispositions réglementaires qui auraient nécessité un décret. Ainsi, alors que la loi autorise le citoyen à se faire assister ou représenter par un mandataire de son choix pour défendre ses intérêts avant toute décision de l'administration le concernant, le texte du 31 octobre réduit singulièrement la portée de ce « choix ». Sont exclues notamment les personnes incarcérées, ou les titulaires d'un permis de visite, ce qui rend de fait impossible le recours à un proche. « L'administration pénitentiaire cherche [...] à imposer des “mandataires maison” », dénonce l'OIP. Une impression renforcée par l'agrément préalable que devront obtenir ces personnes.

Les reproches adressés à la circulaire se focalisent également sur les situations exceptionnelles autorisant que le détenu ne soit ni assisté ni représenté. C'est le cas, par exemple, s'il y a « urgence à réunir la commission de discipline ». « Mais qui décide de l'“urgence”, si ce n'est le directeur de l'établissement pénitentiaire lui-même ? Tout ce qui devait rester exceptionnel selon la loi risque de devenir la règle en prison  », redoute-t-on au Snepap. En outre, alors que la loi prévoit que la procédure d'assistance ou de représentation ne s'applique pas si elle peut compromettre l'ordre public, la circulaire détourne cette dernière notion pour l'assimiler « in fine à la sécurité et l'ordre interne des établissements pénitentiaires », ajoute l'OIP.

Les associations, les syndicats et les organisations professionnelles expriment aussi leurs griefs à l'encontre de la procédure instaurée lors des commissions de discipline. « Les droits de la défense ne sont pas assurés d'être respectés  », s'alarme-t-on au Conseil national des barreaux (6). Même conviction du côté de l'OIP, qui énumère les dispositions nuisant à une « organisation efficace » de la défense : l'avocat ou le mandataire n'a pas accès à l'intégralité des pièces concernant le détenu, il ne peut interroger les témoins - ce qui contrevient au principe du débat contradictoire...

Les atermoiements de la chancellerie

Outre ces réserves sur le fond, de nombreux commentaires portent également sur les circonstances dans lesquelles paraît cette circulaire. Et surtout sur le peu d'empressement  - c'est un euphémisme - de l'administration pénitentiaire à transposer les dispositions de la loi du 12 avril dans ses structures. La chancellerie a longtemps estimé que cette dernière ne s'appliquait pas aux prisons, avant que le Conseil d'Etat, en octobre, ne rende un avis contraire et n'autorise les personnes incarcérées à bénéficier de l'aide d'un avocat ou d'un mandataire devant la commission de discipline pénitentiaire (7). Autant d'atermoiements qui expliquent que la circulaire ait été émise la veille seulement de l'entrée en vigueur de la loi. Ce qui, concrètement, empêche quasiment, à l'heure actuelle, toute possibilité de recours à un avocat ou un mandataire et invalide les procédures disciplinaires...

Du côté des avocats, on est particulièrement exaspéré par le fait que l'assistance en commission de discipline n'ouvre pas droit, comme le précise la circulaire, à la prise en charge des frais de défense au titre de l'aide juridictionnelle. Un sujet très sensible en cette période de forte mobilisation contre les inadaptations de ce dispositif (8). « Nous nous battons justement pour qu'il n'y ait plus ce genre de lacunes dans les domaines où l'aide légale intervient », souligne-t-on au Syndicat des avocats de France (SAF) (9). « On veut encore faire supporter aux avocats une grande partie de la solidarité nationale en matière de justice. Le bénévolat, ça suffit ! Oui à la loi, qui fait rentrer les droits de la défense au sein des établissements pénitentiaires, mais le gouvernement doit se donner les moyens financiers de sa politique pénale  », renchérit le Conseil national des barreaux. Un mot d'ordre autour duquel ces professionnels prévoient une journée d'action -sous forme de grèves des audiences, de manifestations... - le 13 novembre, à l'occasion du début de l'examen du budget de la Justice à l'Assemblée nationale. Ils pourraient obtenir en partie satisfaction, la garde des Sceaux, Marylise Lebranchu, ayant annoncé le 7 novembre son intention de mettre en place « une réforme de fond » de l'aide juridictionnelle.

Une vaste consultation sur la condition pénitentiaire

Au-delà de ce mouvement ponctuel, c'est une réflexion d'ampleur sur le système carcéral français que s'apprête à lancer le Conseil national des barreaux. Il donnera le 24 novembre à l'Unesco, à Paris, le coup d'envoi des états généraux de la condition pénitentiaire. Pendant huit mois, il invite avocats, magistrats, universitaires, soignants, personnels de l'administration pénitentiaire, travailleurs sociaux, etc., à échanger sur ce sujet dans les régions, dans le but de présenter symboliquement, le 14 juillet prochain, un cahier de doléances au Premier ministre et à la ministre de la Justice. Un document dans lequel ne manqueront sans doute pas de figurer certaines des revendications des groupes de défense des détenus, des associations de lutte contre le sida, des collectifs de sans-papiers et des mouvements issus de l'immigration qui ont manifesté à Paris le 4 novembre « pour les prisonniers ». Ils demandaient notamment au gouvernement d'abandonner sa « politique tout prison », qui, dénonçaient-ils, fait de la construction de nouveaux établissements l'unique solution aux problèmes carcéraux, et réclamaient le développement des mesures alternatives à l'emprisonnement.  C.G.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2150 du 21-01-00 du 28-01-00.

(2)  Voir ASH n° 2174 du 7-07-00.

(3)  Voir ce numéro.

(4)  Observatoire international des prisons section française : 40, rue d'Hauteville - 75010 Paris - Tél. 01 47 70 47 01.

(5)  Snepap : 25-27, rue de la Fontaine-au-Roi - 75011 Paris - Tél. 01 40 21 76 60.

(6)  Conseil national des barreaux : 23, rue de la Paix - 75002 Paris - Tél. 01 53 30 85 60.

(7)  Voir ASH n° 2185 du 20-10-00.

(8)  Voir ASH n° 2185 du 20-10-00.

(9)  SAF : 21 bis, rue Victor-Massé - 75009 Paris - Tél. 01 42 82 01 26.

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