La couverture maladie universelle (CMU) « a modifié radicalement les conditions d'accès aux soins des personnes les plus démunies auxquelles la loi était destinée ». Le constat émane de l'association Médecins sans frontières (MSF) (1) qui a rendu public, le 8 novembre, un premier bilan de la mise en œuvre du dispositif, dressé à partir des observations réalisées de janvier à novembre 2000 sur un échantillon de 2 000 consultations dans ses centres de Paris, Lille et Marseille. De fait, souligne MSF, alors que « les délais d'accès aux soins variaient, il y a un an, de huit jours à dix mois sur le territoire, ils sont actuellement d'une heure à deux mois ». Une avancée attribuée à la mise en place d'un interlocuteur unique dans l'instruction des droits : les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).
Cependant, dépassant ce sentiment de satisfaction globale, l'organisation dénonce de graves lacunes dans l'application de certaines dispositions fondamentales de la loi. Par exemple, le principe de l'affiliation « sans délai » à la couverture de base n'a pas été respecté dans 45 % des cas. Une proportion importante à mettre sur le compte, selon MSF, de la « révolution culturelle » introduite par la CMU après 50 années d'histoire de la protection sociale au cours desquelles chacun devait, préalablement à son affiliation, faire la preuve d'un statut lui ouvrant la qualité d'assuré social. Le « très grand retard de formation et d'information des agents des CPAM » pendant les premiers mois n'a pas, il est vrai, favorisé la disparition de ces délais. De sérieuses disparités géographiques sont toutefois à noter : à Lille, toutes les affiliations sont immédiates, tandis qu'elles restent l'exception à Marseille (20 %).
S'agissant de la complémentaire gratuite, elle est accordée dans 70 % des cas en moins d'un mois, et en un jour pour près de la moitié des dossiers. Là encore, les situations locales apparaissent contrastées. A Marseille, les délais s'améliorent progressivement. Mais dans la capitale, où l'on obtenait au début de l'année, la plupart du temps, une CMU complémentaire immédiate, l'accès différé aux droits devient la règle à compter du deuxième trimestre, du fait de la centralisation des demandes au sein d'une unique cellule spéciale de la CPAM de Paris, venue se substituer au traitement par les guichets. Résultat :dans 18 % des cas - le plus fort taux national -, le délai d'obtention de la complémentaire est supérieur à deux mois. La loi stipule que, dans ces conditions, le droit de la personne à la couverture complémentaire est automatiquement reconnu. Mais il n'est presque jamais possible de le prouver, ce qui place les usagers dans des situations critiques.
Autre point faible, la durée d'ouverture des droits aux couvertures de base et complémentaire. Pour la première, selon la loi, les droits ne peuvent être suspendus, sauf interruption de la résidence en France. La seconde est accordée pour un an. Or, les étrangers dont les titres sont considérés comme précaires (récépissés, convocations...) n'obtiennent pour un tiers d'entre eux qu'une ouverture temporaire de droits, d'une durée inférieure à un an. Encore faut-il que leurs pièces justificatives soient acceptées...
Les jeunes sont également victimes des carences dans l'application de la loi : le droit à une carte d'assuré social personnelle à partir de 16 ans, permettant de consulter librement, n'a toujours pas été mis en œuvre. La caisse nationale d'assurance maladie annonce cette « carte autonome » pour février 2001 seulement. Quant aux personnes sans domicile fixe, le décret obligeant les centres communaux d'action sociale à leur offrir une domiciliation n'est toujours pas paru. Il semble d'autant plus urgent de régler cette question que « l'absence de domiciliation représente aujourd'hui le premier obstacle à l'accès aux soins des personnes en grande difficulté sociale », insiste MSF.
Au final, si « pour les deux millions et demi de personnes qui payaient leurs soins médicaux hier et qui ne les paient plus aujourd'hui, l'avancée est indiscutable », l'association désigne les publics envers lesquels des efforts particuliers sont encore à fournir : les « moins pauvres » des pauvres, qui travaillent à temps partiel, touchent de faibles salaires, et « ne s'identifient pas à des personnes ayant droit à une complémentaire gratuite ». Une campagne d'information à leur intention paraît nécessaire. Dernier « maillon faible » du dispositif : le milieu médical, qui a dû faire face, surtout au début de l'année, « à un dispositif opaque et à des délais de paiement rédhibitoires ». MSF met en garde : « De nouvelles situations d'exclusion des soins sont à craindre si l'information et le paiement des professionnels de santé ne s'améliorent pas rapidement. »
(1) Médecins sans frontières : 8, rue Saint-Sabin - 75011 Paris - Tél. 01 40 21 29 29.