Recevoir la newsletter

Un bus pour se raccrocher à l'emploi

Article réservé aux abonnés

Une association de l'Essonne, l'ADEE, a lancé en mai 1998 un  « Bus de l'emploi » pour aller à la rencontre des chômeurs du département les plus isolés. Les techniques de recherche d'emploi développées par l'équipe se doublent d'un travail en partenariat avec les associations et institutions pour fournir une aide globale aux habitants de cette zone rurale.

« Ce qui a été vraiment miraculeux, c'est le bouche à oreille. Ici, on voit des hommes amener leur sœur, leur copine, ainsi qu'un grand nombre de mères au chômage qui viennent après que leur fils ou leur fille nous ont consultés à la fin de leurs études », note avec satisfaction Marie-Claire Munka, consultante à l'Association pour le développement économique et l'emploi (ADEE)   (1). Ce mode de fréquentation illustre le succès rencontré par le « Bus de l'emploi », dont le projet a été lancé en mai 1998 par l'association. Il faut dire que, depuis plus de deux ans, les habitants de nombreuses petites communes du sud de l'Essonne ont eu le temps de se familiariser avec l'arrivée hebdomadaire de la camionnette blanche, aménagée en bureau mobile afin d'aller au-devant des demandeurs d'emploi les plus isolés.

Un service mobile pour neuf villes

Pour les deux équipes de consultantes qui se relaient au cours de la semaine, le rituel est désormais immuable. Tous les matins et chaque après-midi, le bus s'arrête devant la mairie d'une des neuf villes- étapes de l'itinéraire arrêté par les initiateurs du projet. En une demi-heure à peine, les deux consultantes effectuent les branchements nécessaires au bon fonctionnement des installations (chauffage, téléphone, Minitel, ordinateur, etc.), classent les journaux et vérifient les dossiers des personnes suivies avant d'accueillir les chercheurs d'emploi et demandeurs d'informations. Autant d'opérations qu'il faudra recommencer quelques heures plus tard dans la deuxième ville-étape. Contraignante, cette logistique est incontournable pour atteindre les objectifs de lutte contre l'isolement et l'exclusion fixés par l'ADEE. Créée en 1995, l'association s'est appuyée sur une première expérience d' « Espace conseil », le centre d'informations sur l'emploi monté un an auparavant dans une petite ville de l'Essonne, ainsi que sur sa bonne connaissance du tissu géographique et économique du département pour lancer ce service mobile. Un service destiné aux communes n'ayant ni le budget, ni le besoin de créer une structure fixe. « Déjà en 1995, on pensait que, dans le sud de l'Essonne, région beaucoup plus rurale que le nord du département et mise un peu à l'écart, il y avait une population isolée géographiquement, en grande difficulté, qui ne disposait pas de services pour l'aider. On estimait ainsi à plus de 20 %la proportion de personnes non inscrites à l'ANPE. Mais, quand vous avez de 10 à 15 demandeurs d'emploi dans une commune, créer une structure qui fonctionne toute l'année, ou monter une salle une demi- journée par semaine, ça coûte trop cher », explique Caroline Parâtre, déléguée générale de l'ADEE.

Avec le soutien des membres fondateurs de l'association et celui de l'Etat (via le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire) et du conseil général, ce projet original voit le jour au cours de l'été 1998. Il allie à la fois la mobilité du dispositif et la rigueur des méthodes de recherche d'emploi. Face à une population la plupart du temps complètement démotivée, l'équipe du Bus de l'emploi s'attache d'abord à poser les bases d'un partenariat implicite, facteur de mise en confiance et de redynamisation : « La population type pour nous, c'est le demandeur d'emploi qui ne croit plus en rien et qui veut voir la même personne pour ne pas être obligé de répéter toujours la même chose à des interlocuteurs différents », souligne Caroline Parâtre.

Donner des repères à une population déstructurée

Dès le premier rendez-vous, un principe de réciprocité engage ainsi les personnes sans emploi et les consultantes dans une action interdépendante, l'implication des premières dans leur recherche d'emploi s'avérant déterminante pour le travail des équipes du bus. Un suivi personnalisé et régulier est ensuite mis en place de façon à redonner des repères à une population le plus souvent très déstructurée. Outre les techniques traditionnelles de recherche d'emploi (bilans professionnels, préparations aux entretiens d'embauche, informations sur le marché de l'emploi et l'évolution des métiers, etc.), la mise en place de rendez-vous hebdomadaires et à heure fixe et de carnets de recherche d'emploi remplissent ce rôle de balise. « Cette méthode de travail, à laquelle on leur demande d'adhérer, constitue un cadre pour des personnes qui, la plupart du temps, n'en ont plus », explique Marie-Claire Munka.

Autre caractéristique du public : la forte proportion de femmes. Elles représentent près des trois quarts des personnes suivies. Pénalisées par le manque de transports dans cette région rurale et confrontées souvent aux problèmes de garde d'enfants, elles trouvent dans le bus le moyen de rompre leur isolement. Ainsi, cette femme d'une quarantaine d'années a réussi à passer son CAP « petite enfance » et à trouver un poste d'assistante maternelle dans une crèche non loin de chez elle, un an et demi après être entrée en contact avec le Bus de l'emploi. « Pour elle, c'était une vocation rentrée. Quand elle est venue me voir, elle disait qu'elle n'était rien, qu'elle ne savait rien faire et qu'elle voulait travailler pour être reconnue socialement », se souvient Marie-Claire Munka.

Travailler en réseau

Reste que si l'objectif premier du dispositif demeure l'aide aux chômeurs, les difficultés psychologiques ou physiques rencontrées ont nécessité le travail en réseau avec les missions locales, les organismes de formation, les associations spécialisées dans la création d'entreprises, celles en charge des travailleurs handicapés, le secteur médical ou encore les services judiciaires. Pas question néanmoins pour les consultantes de sortir de leur champ de compétence : elles s'attachent à orienter le plus rapidement possible vers les services concernés les personnes confrontées à des problèmes de rupture familiale, de santé, d'endettement ou encore menacées d'expulsion. L'équipe est d'ailleurs parfois amenée à traiter des situations extrêmes, à l'instar de ce chercheur d'emploi cumulant des problèmes de toxicodépendance, de comportements violents et des difficultés administratives avec la justice. « Pour ce jeune homme, j'ai d'abord contacté certains services judiciaires parce qu'il avait oublié de renvoyer des papiers et j'ai téléphoné à un médecin s'occupant des problèmes de drogue et d'alcool pour savoir s'il pouvait le recevoir rapidement. Enfin, on s'est tourné vers la mission locale afin de voir ce qu'on pouvait faire en dehors du suivi de l'emploi, notamment en matière de formation », explique Marie-Claire Munka. Parfois, il faut déjà s'assurer que les chercheurs d'emploi n'ont pas de gros problèmes d'expression écrite, voire orale. Avec un niveau d'études globalement assez faible (près de 50 % du public suivi par le Bus de l'emploi a un niveau BEP ou CAP), l'incompréhension se développe parfois face à des institutions auxquelles on ne sait pas toujours bien s'adresser. « Certains ne savent pas exprimer leurs demandes, ne posent pas les bonnes questions et n'ont donc pas les bonnes réponses. Toutes ces difficultés sont source d'insatisfaction », reconnaît Marie-Claire Munka .

Les responsables ont également dû mener un important travail de communication. Non seulement pour faire connaître le bus dans les 43 communes situées dans le rayon d'action de ce service mobile (les mairies se sont ainsi engagées à faire passer l'information par voie d'affichage ou dans le bulletin municipal), mais aussi pour faire face aux réticences de la population. « Outre les personnes au chômage, ce service mobile accueille des élus ou encore des employeurs en quête de renseignements. Nous avons tenu à véhiculer cette information de façon à ce que les gens ne puissent pas dire “Tiens, il monte dans le bus de l'emploi, donc il a des problèmes” », souligne Caroline Parâtre. Si le chômage est moins vécu comme une situation dégradante du fait de l'évolution des mentalités, la peur du regard de l'autre peut rester très forte dans des villages ne dépassant souvent pas quelques centaines d'habitants. Afin de balayer les obstacles de cette nature, l'équipe a en outre souhaité laisser la liberté aux personnes de venir à n'importe quel point d'arrêt : « On s'était aperçu, poursuit Caroline Parâtre, que certaines d'entre elles ne voulaient pas monter dans le bus lorsqu'il était stationné dans leur commune.  »

60 % de personnes placées

A l'issue de deux ans de fonctionnement et avec plus de 400 personnes accueillies, les cas d'abandon ne sont pas nombreux, constate Marie-Claire Munka. Laquelle reconnaît néanmoins que certaines personnes sont incapables de garder leur emploi malgré toute la préparation effec-tuée avec les consultantes. C'est le cas, en particulier, de personnes d'un niveau cadre supérieur qui sont un peu déphasées lorsqu'elles n'ont pas réussi à se recycler. « C'est très douloureux pour elles, car elles n'arrivent pas à faire le deuil d'une situation antérieure et vont mettre parfois autant de temps à retrouver quelque chose qu'une femme de 45 ans décidant de passer un CAP “petite enfance”. »

Malgré ces cas problématiques, l'équipe du Bus de l'emploi juge le bilan globalement positif avec un taux de placement de près de 60 % depuis le début de l'année. Le retour à l'emploi s'est fait sous la forme d'un contrat à durée indéterminée pour un tiers des personnes, d'un contrat à durée déterminée pour plus de 37 % et dans le cadre de missions d'intérim pour plus de 21 %. Une réussite qui pourrait d'ailleurs déboucher sur une extension des services. Contactée par le tribunal d'Evry, l'ADEE envisage en effet de jumeler, dès l'année prochaine, le dispositif avec un service d'accès aux droits. Afin d'apporter également des conseils juridiques dans les petites communes rurales du sud de l'Essonne.

Henri Cormier

À LA RECHERCHE DE FINANCEMENTS

Avec quatre consultantes mobilisées chaque semaine (deux équipes se relaient un jour sur deux pour parcourir les neuf villes-étapes), le budget annuel de fonctionnement du Bus de l'emploi s'élève à 780 000 F. Aujourd'hui, les financeurs sont l'Etat (à hauteur d'environ 80 000 F en 1999) et le conseil général de l'Essonne (276 000 F en 1999). « C'est un des gros problèmes pour cette action qui ne vit que de subventions, souligne Caroline Parâtre, déléguée générale de l'Association pour le développement économique et l'emploi. On a fait une demande de subvention au Fonds social européen cette année. On essaie également d'avoir des financements par le biais de la politique de la ville. Mais ce n'est pas facile. »

Notes

(1)  ADEE : Immeuble « Le Républicain » - Rue Gutenberg - 91000 Evry - Tél. 01 69 36 58 26.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur