« Les centres d'adaptation et de redynamisation au travail (CART) ne constituent pas des centres de formation des apprentis spécialisés, ni des centres de rééducation professionnelle, ni des services d'accompagnement à la vie sociale, ni des centres d'aide par le travail, ni des centres d'hébergement et de réinsertion sociale. Ils reprennent en fait certaines caractéristiques de ces trois dernières catégories [...]. » C'est en ces termes qu'un rapport d'évaluation, réalisé en 1998 à la demande du ministère de l'Emploi et de la Solidarité par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de Poitou-Charentes, reconnaissait la spécificité de la prestation de ces institutions, atypiques dans le paysage médico-social.
Ces structures - au nombre de quatre, situées en Poitou-Charentes - sont nées de l'initiative d'un pasteur des œuvres et institutions des diaconesses de Reuilly (OIDR) qui ouvre les deux premiers centres en 1969. Objectif ?Alors que les centres d'aide par le travail (CAT) n'existent pas encore, il s'agit de permettre à certains jeunes inadaptés d'intégrer le monde ordinaire de travail via une aide adaptée qui prend alors la forme d'un service de suite.
Celui-ci assure un accompagnement tant médico-psychologique qu'éducatif et pédagogique. La réinsertion sociale est d'abord visée, le « replacement » professionnel n'en étant qu'un des éléments.30 années plus tard, les quatre centres existants (voir encadré) sont toujours mus par la même ambition pour les 112 personnes qu'ils suivent. Sur la base d'un accueil de trois années au maximum, il s'agit « de réinsérer en milieu ordinaire de vie des jeunes adultes qui se trouvent initialement à l'écart de lieux sociaux du fait de leur handicap ». Un système d'évaluation des compétences, d'ateliers et de soutien des apprentissages d'un côté, et une prestation d'hébergement à autonomie progressive de l'autre, permettent aux jeunes adultes -déficient intellectuels légers, ayant souffert de carences éducative et affective à la source du handicap ou encore psychotiques stabilisés - de franchir les étapes vers l'autonomie sociale avec ou sans travail.
Nul doute : de telles structures ont anticipé depuis bien longtemps les orientations actuelles des politiques concernant les personnes handicapées. Mieux, il semble qu'elles aient anticipé la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales avant même 1975 ! Or, paradoxalement, les CART ne se sont jamais autant senti en danger. Auraient- ils eu le tort d'avoir raison trop tôt ? Le statut expérimental sous lequel ils ont pu voir le jour est en effet resté le leur, malgré leur 30 ans d'existence. Une situation dont d'ailleurs chacun - associations gestionnaires et organismes de contrôle - semblait s'être accommodé... jusqu'au début des années 90. « Dans un contexte de rationalisation budgétaire, notre coût à la place élevé faisait désordre dans l'enveloppe budgétaire régionale des centres d'aide par le travail à laquelle nous sommes rattachés », explique Olivier Lafon, directeur général de l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte (ADSEA) de la Vienne. S'ensuit une période de coupes claires dans les budgets et d'enclenchements de contentieux de la tarification. Plus récemment, en 1998, la DRASS est interpellée par son ministère. Pour Jean-François Saumonneau, responsable du pôle action sociale à la DRASS Poitou-Charentes, « les instructions ministérielles sont alors claires : il s'agit de mettre fin au non-sens que représente un statut expérimental de 30 ans en faisant rentrer les CART dans les cadres connus des structures existantes : soit CAT, soit centre d'hébergement et de réinsertion sociale ». Investies d'une mission de contrôle et d'évaluation, la DRASS et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales concernées concluent, à l'issue d'un rapport détaillé, à la qualité et à la spécificité des CART, non réductibles à un modèle existant. Néanmoins, la direction générale de l'action sociale refuse toujours « de créer un statut spécifique pour de trop rares établissements » et persiste dans sa volonté de voir les CART intégrer le statut des CAT. « Il est clair pourtant que si le régime budgétaire qu'on nous applique est celui des centres d'aide par le travail, avec notamment une section commerciale que nous n'avons pas, nous allons être obligés de leur ressembler », fulmine Olivier Lafon.
« Les CAT ont leurs raisons d'être et sont parfois le bon endroit pour la personne, mais notre positionnement est différent. Même si le travail d'insertion que nous faisons fait partie des tâches qui leur incombent également, et qu'ils disent ne pas pouvoir mettre en place, faute de moyens notamment », défend Jacques Saumonneau, directeur du CART de L'Aubreçay, près de La Rochelle. « Avec ces jeunes qui sortent d'un institut médico- professionnel, d'un institut médico-éducatif, de sections spécialisées de l'Education nationale, ou qui ont connu un échec en apprentissage, on va travailler globalement à partir de leurs acquis et de leurs compétences tant au niveau des connaissances que du social », explique Chantal Vacheron, directrice du CART de Châtellerault. Pendant les trois années, l'exigence est forte et l'encadrement très présent, tant dans les activités d'ateliers sans but productif (bois, espaces verts...), les stages en entreprise, que durant la vie au foyer, à un autre endroit de la ville. Le fait d'inscrire son action dans un temps prédéterminé - trois ans et 18 mois de service de suite - est essentiel pour les équipes (éducateurs, éducateurs techniques, assistantes sociales, formateurs, psychologues), obligées de viser la sortie du dispositif et de travailler sur les objectifs. Ces dernières insistent, en outre, sur l'importance de l'accompagnement social de cette démarche d'autonomie :aide à la maturation, soutien dans les actes de la vie quotidienne, aide à la reconstitution de liens sociaux de proximité, accompagnement vers la vie affective, sexuelle, mais aussi à la parentalité. Cet accompagnement, qui s'inscrit dans la continuité (soir, week- end), semble bien être la clé de la réussite des CART. Lesquels répondent ainsi aux besoins d'une frange de la population des jeunes adultes qui trouve rarement sa place ailleurs. Malgré une grande hétérogénéité, « nous voyons globalement ceux qui sont instables mais aux capacités évolutives, à l'inverse des CAT qui reçoivent schématiquement des personnes plutôt stables mais avec peu de capacités », souligne Catherine Gavallet, psychologue au CART de Poitiers. Ainsi ces structures apparaissent particulièrement pertinentes pour les jeunes sortis d'hôpital psychiatrique. Autre atout : le fait d'être en mesure de bâtir un projet de vie professionnelle et sociale avec des adultes qui peuvent avoir jusqu'à 30 ans. « En effet, pour nombre de ces jeunes, dont la maturation a pris du retard, la période de l'institut médico-professionnel, à partir de 14 ans, et de l'éventuelle orientation professionnelle arrive souvent trop tôt », estime Jacques Saumonneau. « Les CART nous rendent des services en proposant des solutions souples et variées à des publics habituellement sans solution satisfaisante », précise- t-on, d'ailleurs, à la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel de la Vienne.
Enfin, les résultats sont là. Une étude réalisée en 1996 sur un échantillon représentatif d'anciens stagiaires des CART (sortis en moyenne depuis sept ans) montrait non seulement que, pour plus de 80 % d'entre eux, le pari de la vie sociale autonome était assuré, mais aussi que cette autonomie acquise était maintenue, voire développée :50 % des personnes vivaient avec l'allocation aux adultes handicapés et 37 % touchaient un salaire.
Par ailleurs, face aux préoccupations avant tout financières et juridiques des autorités de tutelle - les CART consommant à eux seuls 10 % de l'enveloppe régionale des CAT - les associations gestionnaires demandent un autre regard sur leur coût. « La seule logique du coût annuel à la place ne veut pas dire grand-chose pour les CART qui n'accueillent que pendant trois années et font faire à moyen et long terme de substantielles économies à la collectivité en termes de prise en charge lourde d'adultes et de places de CAT », défend Olivier Lafon.
Alors, l'enjeu consiste bien à trouver une forme juridique qui offre une issue à une situation de fragilité mal vécue par les salariés et les stagiaires. Privés de leur pécule, sans le statut de travailleurs de CAT, ces publics doivent en effet se contenter de l'allocation aux adultes handicapés amputée de la récupération de l'aide sociale départementale. Malgré l'instauration de régimes locaux spéciaux de l'aide sociale, plus avantageux, les stagiaires avaient en moyenne 1 098 F par mois à leur disposition en 1998. Un manque à gagner, par rapport à l'entrée en CAT, qui peut représenter un réel obstacle dans certaines familles. Il n'en demeure pas moins que cette précarité a favorisé au sein des établissements une vraie culture de l'évaluation, de la remise en cause, de la recherche permanente de méthodes pédagogiques nouvelles et de la communication avec l'extérieur. Les CART sont ainsi, aujourd'hui, les détenteurs d'une expérience et d'un savoir-faire formalisés et évalués en matière d'insertion socio-professionnelle des personnes handicapées et d'accompagnement social. Serait-ce, à terme, en pure perte, faute de case administrative adaptée alors même que l'injonction gouvernementale à l'intégration en milieu ordinaire se fait plus pressante ? « On peut penser que ces compétences pourraient être mises à dispositions des autres structures », suggère-t-on à la DRASS. Reste qu'on peut légitimement douter, à financement et organisation égaux, de la capacité des CAT à mettre en œuvre de telles pratiques. Au-delà du seul problème des CART, c'est bien la question générale de la capacité des pouvoirs publics à accompagner, financer et pérenniser les innovations locales en matière de solutions souples et individualisées qui est posée.
Valérie Larmignat
La formule des centres d'adaptation et de redynamisation au travail (CART) n'existe qu'en région Poitou-Charentes. Deux structures sont implantés en Charentes, à Arvert (35 places) et à L'Aubreçay (17 places), et sont gérées par l'association des œuvres et institutions des diaconesses de Reuilly (1). Deux autres fonctionnent dans le département de la Vienne, à Poitiers (32 places) et à Châtellerault (28 places), gérées par l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte (2) . En 1991, les deux associations gestionnaires ont fondé la Fédération des CART (3). Non reconnus par la loi du 30 juin 1975 relatives aux institutions sociales et médico-sociales, les quatre établissements sont répertoriés comme des établissements expérimentaux en faveur des adultes handicapés (code FINESS 379). Ils relèvent de la double compétence de l'Etat - pour la partie réadaptation et service de suite - et du conseil général pour l'hébergement. Ils accueillent, pour trois années au maximum et 18 mois de « postcure », des adultes des deux sexes, âgés de 18 à 30 ans, reconnus travailleurs handicapés et orientés par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel après décision volontaire de la personne. Le public reçu est hétérogène : il s'agit soit de déficients intellectuels légers sortants d'IME, soit de personnes psychotiques stabilisées, avec une intelligence normale ou proche de la normale (mais ayant été orientées dans un cursus pour déficitaires), soit de jeunes « inadaptés » présentant des carences affectives et éducatives avec échec scolaire et tendance à la marginalisation. Troubles cognitifs et séquelles psychologiques se cumulent pour nombre d'entre eux et une forte proportion, variable selon les centres, dépendent de l'aide sociale à l'enfance.
(1) OIDR : 14, rue Porte-de- Buc - 78000 Versailles - Tél. 01 39 07 30 29.
(2) ADSEA : 1, rue du Sentier - 86180 Bruxerolles - Tél. 05 49 61 06 00.
(3) C/o : CART de L'Aubreçay - 4, rue Cavelier-de- la Salle - 17138 Saint-Xandre - Tél. 05 46 37 20 46.