La pauvreté n'est pas forcément corrélée à l'inactivité et au chômage. La France compte ainsi 1,3 million de travailleurs pauvres, soit 6 % de l'ensemble des travailleurs, dénombre la première étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) réalisée sur le sujet (1). Au total, avec l'entourage proche de cette population, c'est plus de deux millions de personnes de 17 ans et plus qui vivent dans un ménage concerné par la « pauvreté laborieuse ». « Auxquelles il faut ajouter 830 000 enfants de moins de 17 ans », précisent les auteurs. Bien que beaucoup moins étudié, jusqu'à présent, en France que dans les pays anglo-saxons, le phénomène n'est donc pas marginal.
Qu'est-ce qu'un « travailleur pauvre » ? L'INSEE, dans sa définition, combine plusieurs facteurs. D'une part, il faut être « actif » - c'est-à-dire avoir un emploi ou en rechercher un - six mois ou plus dans l'année, et avoir travaillé au moins un mois. D'autre part, il faut vivre dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé à la moitié du niveau de vie médian de l'ensemble des ménages. Ce seuil se situe actuellement, par exemple, à 3 500 F par mois pour une personne seule et à 7 350 F pour un couple avec deux enfants.
On pourrait croire, d'après la première partie de cette définition, que sont touchées au premier chef les personnes qui ont alterné dans l'année les périodes de chômage et d'emploi. Les statisticiens de l'INSEE balayent ce préjugé : « L'exercice continu d'une activité ne met pas à l'abri de la pauvreté : les deux tiers des “travailleurs pauvres“ ont occupé un emploi, salarié ou indépendant, toute l'année ». S'agissant de la catégorie particulière des travailleurs indépendants, 14 % (350 000) peuvent être considérés comme « pauvres », parmi lesquels une moitié d'agriculteurs ou d'aides familiaux sur une exploitation agricole.
Pour les salariés occupés toute l'année et néanmoins comptabilisés parmi les travailleurs pauvres (510 000), le temps partiel - autre idée préconçue à revoir -n'explique pas tout. Il ne concerne qu'un quart d'entre eux. De même, si être titulaire d'un contrat aidé ou d'un contrat à durée déterminée accroît « sensiblement » le risque de pauvreté, le contrat à durée indéterminée (CDI) n'en protège pas :376 000 salariés en CDI vivent en dessous du seuil fatidique. Plus du quart de ces derniers sont employés dans les secteurs des services aux particuliers et de la construction.
Ne pas confondre « travailleurs pauvres » et « bas salaires »
Qu'on ne se méprenne pas : les « travailleurs pauvres » (2) « ne doivent pas être confondus avec les personnes à “bas salaires” », insistent les auteurs. Certes, les deux catégories se recoupent largement :les trois quarts des travailleurs pauvres ont des revenus d'activité personnels annuels inférieurs à 42 000 F, soit 70 % du SMIC. Cependant, on peut être rémunéré décemment mais vivre en dessous du seuil de pauvreté du fait de charges de famille élevées. Ainsi, 11 % des travailleurs pauvres gagnent plus du SMIC. Inversement, un faible salaire peut être compensé par des revenus du patrimoine, des prestations sociales ou encore les revenus des autres membres du ménage : seuls 20 % des personnes ayant des revenus personnels inférieurs à 70 % du SMIC peuvent être considérés comme pauvres. La situation familiale, on le voit, intervient pour une large part dans le niveau de vie du travailleur. « S'il vit seul, son risque de pauvreté est de 8 %. Lorsqu'il vit en couple, son risque de pauvreté dépend de l'activité de son conjoint : 2 % si son conjoint travaille, 16 % sinon », notent les statisticiens. Plus de la moitié des travailleurs pauvres vivent seuls ou dans des familles où ils sont les uniques pourvoyeurs de revenus.
Enfin, l'étude fait apparaître que, dans les ménages comprenant au moins un travailleur pauvre, le travail contribue pour moitié aux ressources. Le reste est constitué par les indemnités de chômage (9 %) et les prestations sociales (37 %), les revenus du patrimoine et les pensions de retraite jouant un rôle marginal. Plus de 80 % des ménages de travailleurs pauvres perçoivent des prestations sociales, contre moins de la moitié des autres ménages.
(1) Les « travailleurs pauvres » - INSEE Première n° 745 - Octobre 2000 - Disp. à l'INSEE : 18, boulevard Adolphe-Pinard - 75675 Paris cedex 14 - 15 F. Fondée sur les données fiscales de 1996, cette étude a été rendue publique le 27 octobre à l'occasion d'un colloque organisé à l'université d'Evry-Val d'Essonne par le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), dont la première partie s'était déroulée le 29 mai dernier - Voir ASH n° 2169 du 2-06-00.
(2) 60 % d'hommes et 40 % de femmes.