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L'impossible réconciliation ?

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Le débat entre hérauts de la qualification et défenseurs des compétences s'apparente trop souvent à une « querelle des anciens et des modernes ». Un conflit que l'association CQFD, plaidant pour un nécessaire rééquilibrage entre les deux logiques, a tenté de dépasser.

Professionnalisation, qualification, compétences :autant de « notions complexes, polémiques, passionnelles », selon le constat d'un observateur averti du secteur social, le sociologue Claude Dubar, qui présida le comité scientifique chargé de préparer le programme « Observer les emplois et les qualifications des professions de l'intervention sociale » de la Mission de recherche (MIRE) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Le débat est si riche d'enjeux qu'il a mobilisé pendant un an et demi, dans le cadre de l'association CQFD (1), environ 250 professionnels du secteur sanitaire et social, universitaires, directeurs de centres de formation et de recherche. Créée dans le sillage de la recherche de la MIRE, CQFD a clairement affiché son parti pris : C'est la Qualification qu'il Faut Développer, pour tous les métiers de l'intervention sociale, quand l'air du temps, au contraire, est à la mise en doute des logiques professionnelles et à la promotion de la stricte compétence individuelle.

Ce parti pris, ses initiateurs ont cependant souhaité le « mettre en discussion », aussi bien dans des Cahiers - quatre entre juin 1999 et juin 2000, réunissant de nombreuses contributions - que lors d'un récent colloque (2). L'idée était de « produire une controverse positive », explique Didier Tronche, président de l'association et directeur général du Syndicat national des associations pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte  (Snasea). En évitant les « querelles de chapelle » entre tenants de la qualification par des diplômes et défenseurs des compétences : les premiers se représentant les seconds comme des « néo-libéraux ayant l'intention de rabattre la qualification, d'introduire la flexibilité, d'éviter l'emploi de personnels à statuts pour baisser les coûts salariaux » et les seconds voyant dans les premiers des « caciques figeant le marché du travail sur des positions et des statuts immuables », selon la description proposée, dans le premier Cahier de CQFD, par Marie-France Marquès, directrice de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social.

Le débat mérite d'être replacé dans son contexte historique. L'affaiblissement des logiques professionnelles remonte à la fin des années 70. Jusqu'alors, le travail social s'était construit dans un mouvement vers la qualification, articulé autour de diplômes d'Etat, de conventions collectives, de grilles hiérarchiques, de politiques de formation, de réflexions sur une déontologie des pratiques... Autant de remparts, souligne le sociologue Michel Chauvière dans les Cahiers, contre « les aléas des savoirs autant que ceux des politiques, les usures et autres burn out plus individuels ». « Penser la qualification, poursuit-il, c'est penser un accord normatif collectif qui concerne aussi bien les personnes, les postes que le type d'organisation globale. » Depuis 20 ans, en revanche, le travail social n'a pas échappé aux tendances de fond animant le marché de l'emploi, accueillant, venus de l'entreprise et du secteur marchand, un discours et des pratiques valorisant la compétence. Avec cette conséquence essentielle, relevée par Elisabeth Dugué, chercheur en sociologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers et au Cedias, que « l'individualisation imprègne progressivement tous les actes de la gestion de personnel », pour les salaires, la formation, l'évaluation, la construction des parcours...

L'autonomie professionnelle en peau de chagrin

Le processus ne va pas sans risque. Michel Chauvière évoque celui du « contrôle des seuls employeurs, sans qu'il y ait de socialisation de l'adéquation personne, postes et organisation » et d'une « dérive managériale », porte ouverte à l'instrumentalisation du travail social. De fait, ces dernières années, les employeurs, au sens large, qui se sont multipliés du fait de la décentralisation, ont fait preuve d'un interventionnisme croissant dans les pratiques des professionnels. Devenus des décideurs majeurs en matière sociale, les élus, départementaux ou municipaux, mettent en avant leur souci d'obtenir rapidement des résultats concrets, particulièrement en matière d'insertion ou de sécurité. Quant aux dirigeants des institutions sociales, influencés par les doctrines de management en vogue dans le secteur industriel et commercial, ils imposent davantage objectifs opératoires, procédures, pratiques, moyens...

Evidemment, comme le rappellent, dans l'ouvrage présentant les travaux de la MIRE (3), Roger Bertaux, responsable du département de recherche de l'IRTS de Lorraine, et Yvon Schléret, directeur, dans la même région, de l'Observatoire de la santé et des affaires sociales, un équilibre des forces entre des logiques également légitimes, apparaît souhaitable. « Les professionnels peuvent utilement rappeler aux gestionnaires les droits des usagers lorsque les seuls soucis de rentabilité et de compétition finissent par prévaloir. Les dirigeants peuvent utilement rappeler aux professionnels la nécessité de ne pas s'enfermer dans des routines professionnelles. » Mais le malaise des travailleurs sociaux provient du sentiment que leurs marges de manœuvre et leur autonomie ont été par trop réduites au profit d'un alignement sur les objectifs des organisations au sein desquelles ils évoluent. Ainsi, soulignent également les deux auteurs, alors que l'individu était auparavant le siège de la compétence, « désormais, l'organisation se définit surtout comme le lieu collectif de la compétence », comme un réseau, en quelque sorte, où la qualification professionnelle et la culture propre à chaque métier deviennent secondaires au regard de « la capacité de chaque élément à tenir la place qui lui est attribuée et à communiquer avec les autres éléments ».

« Nouveaux métiers »  : pas de régulation collective

Conséquence, dans le secteur social - au rebours de ce qui se passe ailleurs - la tendance est à une plus grande décomposition des tâches. La segmentation se fait par spécialisations thématiques (logement, insertion, santé...). Ou encore entre « métiers du front », du contact avec les usagers, et professionnels de la procédure ou de la conception. Issus de cette segmentation, sont apparus les « nouveaux métiers du social »  -des agents de médiation aux chefs de projet DSU - dont les fonctions, pointe Elisabeth Dugué, « ne sont pas, pour l'instant, organisées par la qualification : les formes d'emploi sont précaires, les postes et les appellations sont hétérogènes, il n'existe pas de lieux ni d'instances construisant des régulations collectives pour les cadres d'emploi, ni pour les formations et les savoirs dispensés ».

De fait, à la diversification des formes d'emploi, s'ajoute celle des offres de formation. La question est sensible, alors que les besoins en la matière sont en pleine expansion. Du fait de l'accroissement prévisible du secteur de l'aide à domicile, du vieillissement des professionnels, ou encore de la réduction du temps de travail qui accentue les problèmes de recrutement structurels de personnel diplômé. Dans ce contexte mouvant, que les schémas national et régionaux des formations sociales devront appréhender (4), le débat sur la priorité à accorder à la qualification ou à la compétence se trouve renouvelé. Avec l'arrivée des emplois- jeunes, par exemple, nombre de centres de formation ont élaboré des modules d'adaptation à l'emploi, centrés sur l'acquisition des compétences nécessaires au poste occupé (5). Christine Garcette, directrice de l'Association nationale des assistants de service social, oppose cette démarche, dans les Cahiers de CQFD, à la formation qualifiante « qui permet de développer des compétences mobilisables dans différents environnements professionnels ». La confusion entretenue entre les deux apparaît, selon elle, « préjudiciable, tant pour les jeunes eux-mêmes qu'on leurre, que pour ceux qui les forment qui, faute d'une commande suffisamment précise, se verront reprocher de ne former des gens opérationnels qu'à court terme » (6) .

La piste de la validation des acquis, qui - pour les emplois-jeunes comme pour d'autres « faisant fonction »  - pourrait mettre fin à cette confusion et amener des personnels disposant de compétences et de savoirs à une reconnaissance et à des diplômes, n'est pas elle-même exempte d'ambiguïtés. L'expérimentation menée avec les aides médico-psychologiques, l'a montré (7). Les personnes concernées n'ont pu parfois échapper au sentiment que les allégements de formation les privaient de la richesse de l'échange, et in fine à l'impression de bénéficier d'une qualification « au rabais ». Un aspect que l'extension du principe de la validation des acquis prévue par le projet de loi de modernisation sociale, qui devrait être examiné au Parlement en 2001 et qui envisage que la totalité d'un diplôme pourra être acquise par cette voie, ne devra pas occulter.

Autre question en suspens, celle de l'essor de nouveaux prestataires de formation, organismes privés ou universités. Ces dernières ont développé, y compris dans le secteur social, un ensemble de formations initiales à vocation professionnelle, du DESS à la licence professionnelle, venant concurrencer les acteurs traditionnels agréés par la tutelle sans en subir les contraintes. Non soumis aux discussions paritaires qui encadrent la mise en place des diplômes professionnels délivrés par les centres de formation en travail social, ils deviennent, grâce à cette souplesse, constate Elisabeth Dugué, « un instrument idéal pour développer la logique “compétence” et répondre, sans médiation institutionnelle, aux besoins de formation, hétérogènes et ponctuels, formulés par les employeurs ».

La compétence légitimée par la qualification

Qu'on ne s'y trompe pas : personne ne méconnaît les avantages des logiques d'organisation privilégiées par ces derniers, qui améliorent l'efficacité du travail collectif. Mais les acteurs réunis autour de CQFD refusent qu'elles relèguent les logiques professionnelles au rang des idées corporatistes et dépassées. Le travail social, ainsi, n'a pas à choisir entre les deux termes d'une alternative. Il lui faut au contraire les conjuguer, les articuler. Car, comme le souligne Michel Chauvière dans les Cahiers, la qualification n'est pas de l'ordre du stock - un capital immuable de savoirs- mais du flux - « une dynamique partagée, évolutive et interactive des savoir faire, à tous les niveaux de l'organisation du travail ». La compétence, de son côté, « a constamment besoin d'être [...] valorisée par la force légitimante du référentiel d'action publique commun ». Ainsi, « la compétence fait l'essentiel de la qualification, mais la qualification intègre et bonifie la compétence dans une politique plus large, plus transparente et surtout plus démocratique ».

Céline Gargoly

Notes

(1)  CQFD c/o Cedias-Musée social : 5, rue Las-Cases - 75007 Paris - Tél. 01 45 51 66 10.

(2)  Intitulé « Quel travail social pour le XXIe siècle ? Salariat, qualifications, démocratie » et organisé les 21 et 22 septembre à Paris, ce colloque national devrait, comme prévu dans les statuts de l'association, être la dernière manifestation publique de CQFD. Laquelle devrait se dissoudre après la publication des actes dans quelques mois. Ses initiateurs souhaitent que des relais soient trouvés dans les régions pour continuer à animer le débat sur ces questions.

(3)  Voir dans les ASH n° 2173 du 30-06-00, le compte rendu de cet ouvrage intitulé Les mutations du travail social et publié aux éditions Dunod, sous la direction de Jean-Noël Chopart.

(4)  Voir ce numéro.

(5)  Voir ASH n° 2132 du 10-09-99.

(6)  Précisons cependant que, selon les derniers chiffres disponibles de Promofaf, sur les 3 000 emplois-jeunes recensés fin 1999 dans ses établissements adhérents, 40 % avaient un projet de formation diplômante, dont 80 % dans le secteur social.

(7)  Voir ASH n° 2140 du 5-11-99.

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