Environ 2,2 millions d'anciens bénéficiaires de l'aide médicale départementale, basculés automatiquement sur la couverture maladie universelle depuis le 1er janvier dernier, ont jusqu'au 31 octobre pour faire renouveler leurs droits. Dans la vingtaine de départements qui avaient fixé des plafonds de ressources plus généreux que ceux retenus au niveau national (1), ce réexamen conduira parfois à la perte de la couverture complémentaire. La CMU, perçue à sa création comme une grande avancée sociale, constituera concrètement, pour les personnes concernées, une régression. Combien sont-elles ? Difficile d'avancer des chiffres précis, tant les critères d'admission à l'aide médicale variaient selon les départements. La caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) se montre prudente dans ses estimations : entre 100 000 et 500 000. D'autant plus que seul un petit tiers des candidats au renouvellement des droits s'étaient présentés aux guichets des caisses primaires fin septembre.
Que faire pour atténuer les effets de seuil ? La loi avait prévu la possibilité, pour les organismes complémentaires d'abonder volontairement un fonds d'accompagnement à la protection complémentaire des personnes dont les ressources dépassent le plafond. Il n'existe toujours pas. Ainsi, ce sont les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) qui se retrouvent les premières sollicitées, via leurs fonds d'action sociale. La CNAM débloquera d'ailleurs, en 2001,400 millions de francs, pour alimenter ces fonds (2), une somme qu'elle reconnaît elle-même être insuffisante au regard des besoins. D'où ses encouragements aux CPAM à aller négocier avec des partenaires locaux. Certaines caisses ont déjà décidé des mesures en solitaire : celle de La Rochelle, par exemple, prend en charge, depuis le 1er avril, une partie de la cotisation de couverture complémentaire pour les foyers situés dans la tranche de 500 F au-dessus des plafonds CMU. Mais la plupart d'entre elles nouent des contacts pour partager les charges, qu'elles ont d'ailleurs du mal à évaluer précisément, faute de recul. Premiers partenaires ciblés, les conseils généraux. Le dialogue n'est pas toujours facile, car les départements s'interrogent : est-ce à eux, à qui on a retiré cette compétence, d'assumer les effets de seuil, sur lesquels ils n'ont pas d'influence ? Certains ont déjà répondu positivement : dans le Val-de-Marne, c'est même le conseil général qui a pris l'initiative, fin septembre, d'instaurer une aide à la mutualisation sous forme d'un chèque pour les assurés hors plafonds, aide à laquelle la CPAM a accepté de s'associer. Du côté des organismes complémentaires, on cherche également des solutions. La Fédération des mutuelles de France, par exemple, préconise le développement de fonds communs de mutualisation, abondés par le mouvement mutualiste, les CPAM, les départements, mais aussi les financements d'Etat des programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins des plus démunis (PRAPS). Une expérience réunissant mutualité, PRAPS et Secours populaire est ainsi en cours en Corse, permettant une aide à la mutualisation pour les personnes disposant de moins de 5 500 F par mois.
Aucune institution, aucun acteur, ne juge pleinement satisfaisantes ces négociations et ces mesures locales, qui recréent des disparités territoriales en contradiction avec l'ambition « universelle » de la CMU. Pourtant, le sentiment général est de ne pas avoir le choix : pointer les effets pervers du système et se regarder en chiens de faïence ne remédiera en rien aux besoins des intéressés.
Céline Gargoly
(1) 3 500 F mensuels pour une personne isolée, 5 250 F pour un foyer de deux personnes, 6 300 F pour trois, 7 350 F pour quatre, et 1 400 F en plus par personne supplémentaire.
(2) Voir ASH n° 2185 du 20-10-00.