Après le départ de Martine Aubry, quel est votre sentiment général ?
- Martine Aubry a été avant tout une politique. Elle s'est consacrée davantage aux politiques sociales et à leurs évolutions qu'à l'organisation du travail social lui-même. Ainsi, elle a porté le projet de loi contre les exclusions et celui sur la couverture maladie universelle alors que la réforme, plus technique, de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales est, elle, restée dans les tiroirs. Néanmoins, il faut reconnaître à la ministre d'avoir donné des orientations aux politiques sociales et, indirectement, au travail social. Par exemple, la loi contre les exclusions a reconnu explicitement les travailleurs sociaux comme des acteurs incontournables à l'accès de tous aux droits. De même, c'est sous son ministère qu'il y a eu une inflexion pour cibler davantage l'action des professionnels sur la prévention
- en mettant en particulier l'accent sur la nécessaire réorientation de l'action éducative en milieu ouvert sur le versant administratif
- et sur le soutien aux fonctions parentales. C'est, à mon sens, un changement de cap très positif pour l'action sociale et le travail social, inscrits jusque-là dans des logiques de discrimination positive et de réparation. Maintenant, on peut regretter que Martine Aubry n'ait pas réussi à communiquer ses orientations aux administrations locales, toujours enfermées dans des logiques de rationalisation et de coupes budgétaires.
Pourtant, cette réorientation ne s'est guère accompagnée d'un soutien aux professionnels...
- En effet, centrée sur les orientations politiques de l'action sociale, Martine Aubry ne s'est guère intéressée aux préoccupations des travailleurs sociaux et de leurs employeurs. Et bon nombre de réformes qui touchent directement le secteur n'ont pas avancé :la révision de la loi de 1975, mais aussi la réforme du diplôme des assistants de service social... A cet égard les nombreuses reculades de ses services vis-à-vis de l'avenant « cadres » ont été symptomatiques du manque de considération de la ministre
- qui a davantage soigné son image auprès de certaines grandes associations caritatives
- pour les professionnels et les organisations du travail social. Elle aura en particulier brillé par ses absences au Conseil supérieur du travail social ou lors des principaux colloques organisés sur le secteur.
Et sa communication avec le secteur a été plutôt défaillante...
- Sa communication a été déplorable dans la forme. Et les travailleurs sociaux ont très mal accueilli ses déclarations sur la judiciarisation des procédures de protection de l'enfance et l'augmentation des placements d'enfants pour des raisons économiques où elle stigmatisait les professionnels (2). Dans cette affaire, je crois qu'il était effectivement du devoir politique de la ministre de pointer les risques de dérives des politiques publiques et de remettre en cause certains modes d'organisation des conseils généraux conduisant plus à une fonction « de guichet » qu'à une proximité de terrain avec les usagers. Caricatural néanmoins, son discours a révélé sa mauvais connaissance d'un secteur où les travailleurs sociaux sont les premiers aujourd'hui à réinterroger le sens des missions qu'ils conduisent et à remettre en cause certaines options politiques et institutionnelles. En ce sens, elle a manqué son rendez-vous avec les travailleurs sociaux.
Propos recueillis par Isabelle Sarazin
(1) Education et société - Siège social : 116, rue de La Classerie - 44400 Rezé - Tél. 02 40 75 44 55.
(2) Voir ASH n° 2143 du 26-11-99.