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L'hémorragie d'une profession

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Pénurie chez les techniciens de l'intervention sociale et familiale. Les associations cherchent à embaucher, mais les professionnels formés manquent à l'appel. L'inquiétude grandit dans les rangs des employeurs et des centres de formation.

« L'aide à domicile ne peut plus attendre ! » C'est le slogan choisi par le secteur de l'aide à domicile pour manifester son ras-le-bol, demain, sur le pavé parisien. Emplois précaires, salaires bloqués au SMIC, 35 heures en attente, sentiment général de dévalorisation, ont pris suffisamment d'ampleur pour faire descendre dans la rue employeurs et salariés. Ce qui n'est guère dans les us et coutumes ni des professionnels (aides- ménagères, techniciens de l'intervention sociale et familiale, employées familiales...) ni des fédérations qui regroupent les associations employeurs (1). Parmi leurs pré-occupations actuelles, la pénurie de techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF, ex-travailleuses familiales) sur le marché du travail, aggravée par l'impossi- bilité d'appliquer la réforme des études qui devait entrer définitivement en application cet automne. « D'ici trois ans, nous aurons besoin de près de 2 000 TISF de plus sur le marché si l'on veut répondre aux besoins des familles en difficulté ou en situation d'exclusion, affirme Michel Gâté, délégué général de la Fédération nationale d'aide aux mères et aux familles à domicile (FNAAMFD)   (2). Au rythme actuel, on en perd une centaine par an alors qu'il faudrait en former 400 chaque année si l'on veut calmer l'hémorragie ! Mais même si la réforme était en place, les effectifs ne seraient pas suffisants ! » Au manque de personnel formé, il faut ajouter l'érosion due à la pyramide des âges. Ce que confirme Dominique de Guibert, secrétaire général de la Fédération nationale de l'aide familiale à domicile (FNAFAD), dont 12 % des techniciens de l'intervention sociale et familiale ont plus de 55 ans (3). « Dans l'ensemble des réseaux d'aide à domicile, il y aura besoin de 800 professionnels supplémentaires pour remplacer les seuls départs à la retraite », estime-t-il.

Une inquiétude partagée par les centres de formation alors même qu'une réforme récente des études vient de donner du poids à une profession qui compte environ 8 000 personnes aujourd'hui. En septembre 1999, date d'application de la réforme, huit centres qui dispensaient déjà la formation étaient agréés pour mettre en selle la nouvelle formule conduisant au diplôme d'Etat (4). L'agrément était transitoire pour un an. D'autres centres devaient être agréés pour permettre le mois dernier la rentrée de nouvelles promotions.

Les retards du calendrier

Or, à ce jour, aucun centre supplémentaire n'a reçu l'onction administrative. Explication officielle :un décret doit auparavant déconcentrer auprès des préfets des régions les décisions d'agrément des centres de formation en travail social. De plus, les demandes d'agrément vont être liées aux orientations des schémas national et régionaux des formations sociales qui ne sont pas encore bouclés. Le calendrier d'application de la réforme est donc, faute de combattants, tout bonnement repoussé à la rentrée scolaire 2001. Pour des raisons que ni les deux fédérations, ni l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts), ni la CFDT Santé-sociaux ne s'expliquent. Amorcée en 1994, relancée par la direction de l'action sociale en 1998, et appréciée largement in fine par l'ensemble des intéressés, la réforme signait, selon ces derniers, une véritable ambition pour la profession de la part de l'administration. La création d'une filière professionnelle de l'aide à domicile - avec la première réunion, le 12 octobre, d'un groupe de travail technique sur la refonte du certificat d'aptitude à la fonction d'aide à domicile (CAFAD, niveau V)  - est censée, de surcroît, se bâtir autour des TISF (niveau IV). Ce qui n'est pas sans importance puisque l'organisation d'une filière construit une logique professionnelle d'intervention et permet l'identification de métiers dans un même champ professionnel.

« Le report du calendrier de la réforme et surtout, l'absence des crédits correspondant au financement de son surcoût dans le projet de loi de finances 2001 sont de mauvaise augure », assure Michel Gâté. Sachant, par ailleurs, que le cadrage budgétaire définitif pour les formations initiales en 2000 prend en compte les 221 étudiants TISF (5), ce qui comprend seulement le nombre de stagiaires formés annuellement sans montée en charge.

Comment interpréter ce qui ressemble davantage à une incohérence administrative qu'à une volonté machiavélique de saborder un bateau, tout juste renfloué ? On peut sûrement y voir un défaut de conception de la réforme, pensée en amont et insuffisamment dans sa mise en œuvre, cumulé à des retards dans bon nombre de dossiers et au changement de ministre. Mais on peut aussi se demander si la vraie raison de cet atermoiement n'est pas avant tout stratégique :selon cette hypothèse, l'Etat souhaiterait repositionner le financement des formations sociales en se déchargeant d'une partie du fardeau sur les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA)...

En tout cas, les conséquences risquent, pour les associations employeurs, d'être sévères. A court et à moyen terme. « Pour obtenir des diplômés sur le marché, on perd un an, qui en font en réalité trois. Si la formation démarre à l'automne 2001, les premières promotions sortiront à l'automne 2003 ! », s'alarment les employeurs. Difficile dans ces conditions de répondre à une demande qui explose. Certains d'entre eux risquent d'être contraints de recruter un personnel moins qualifié (aides à domicile par exemple) et donc de discréditer l'intervention des techniciens de l'intervention sociale et familiale. Avec néanmoins un bénéfice qui ne sera pas secondaire : les économies substantielles ainsi réalisées.

Autre conséquence non négligeable : les répercussions négatives sur les ressources cette fois à plus long terme. Financées à l'heure actuelle par les conseils généraux et les caisses d'allocations familiales, les structures employeurs sont tributaires de leur main-d'œuvre et fonctionnent à flux tendu. Or, si elles ne peuvent effectuer le volume d'heures prévu faute de personnel ad hoc, elles risquent de voir leur budget diminué d'autant les années suivantes.

Ce mode de financement est d'ailleurs un handicap sérieux qui ne correspond plus à la prise en charge sur le long terme de familles fragilisées. Les fédérations réclament à cor et à cri un financement soit au poste, soit au projet ou encore sous la forme d'une véritable enveloppe globale. Ce qui reste à négocier avec les conseils généraux, les caisses nationales d'assurance maladie et des allocations familiales.

LE CURSUS DES TISF : LES POINTS FORTS

A travers l'aide à la vie quotidienne et à l'éducation des enfants, l'intervention des TISF concerne désormais les personnes en difficulté sociale, âgées ou handicapées, soit à domicile soit en établissement ou dans un service. Cette nouvelle polyvalence de leur mission, due aux évolutions des problématiques sociales, s'adosse à une méthodologie de l'intervention sociale qui traduit la prise en compte de la dimension collective : les TISF n'agissent plus seulement au domicile des familles mais à partir de celui-ci. Deux éléments importants marquent l'ouverture de la profession : l'accès en voie directe à la formation qui n'était auparavant possible qu'en cours d'emploi ; la durée de la formation en alternance qui se déroule sur deux ans au lieu de huit mois pour l'ancien certificat de travailleuse familiale.

L'absence de gestion prévisionnelle des emplois

Le challenge ne s'arrête pas là : sans agrément des accords sur les 35 heures (6), les associations vont devoir payer des heures supplémentaires à compter de janvier prochain. De toute façon, on voit mal, si elles étaient en situation de le faire, comment elles pourraient réaliser les embauches compensatrices.

Il faut pourtant reconnaître que les services employeurs n'ont pas brillé par leur gestion prévisionnelle des emplois. Ils se voient contraints de s'y résoudre aujourd'hui en raison de l'allongement de la formation, de l'accès en voie directe et du cadrage national institué par la loi contre les exclusions. Quant aux centres de formation, ils se contentaient auparavant de répondre aux demandes des employeurs. Désormais, ces derniers doivent les communiquer aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales pour qu'ils soient pris en compte dans l'élaboration du schéma régional de formation. Et les centres, disposant d'un nombre de places limité, ne pourront pas dépasser les quotas conventionnés avec le ministère.

Pas simple non plus pour les écoles de formation qui ont à faire face à plusieurs écueils. D'abord, la faible implantation et la mauvaise répartition des centres qui obligent à un recrutement géographique de proximité et ne tiennent pas compte des besoins des départements. « Il en faudrait un agréé pour cette formation par région », estime Denise Crouzal, directrice de l'Institut régional de formation et de recherche en aide à domicile  (IFRAD)   (7), seul centre en Ile-de-France. « Cela freine les candidatures car les jeunes, généralement de condition modeste, ne peuvent assumer les frais liés à une formation dans une autre ville. Et depuis la réforme, la bourse versée aux travailleuses familiales en cours d'emploi a été supprimée. » Pour cette raison, mais aussi parce que le métier n'est ni valorisé, ni médiatisé, les centres sont également confrontés à une fuite des stagiaires en cours de formation.

Les besoins sont d'autant plus difficiles à évaluer que le métier évolue et que la réforme implique pour les associations une nouvelle définition de leur rôle. Précédemment l'identité professionnelle des travailleuses familiales se construisait, d'une part, sur le terrain auprès des employeurs qui intervenaient directement sur le profil des personnes embauchées, en fonction de leur projet associatif et définissaient les besoins, et d'autre part, auprès de leurs collègues en activité.

Or, « cette construction va maintenant se faire dans un centre de formation qui ne sera plus spécialisé et dans la confrontation avec d'autres étudiants de formation sociale », souligne Denise Crouzal. En outre, les employeurs vont devoir sérier les interventions au domicile en proposant les plus délicates, plus proches d'une intervention sociale (familles ou personnes en grande difficulté, en situation d'exclusion...) aux techniciens de l'intervention sociale et familiale. Et confier les situations plus légères, qui ne nécessitent pas forcément un soutien psychologique et éducatif, aux aides à domicile qui, en grande majorité, ne sont pas formées. C'est déjà d'ailleurs le cas dans certains services. Mais on risque d'aboutir à un scénario paradoxal :une volonté affichée de professionnaliser le métier de TISF tandis que la pénurie de professionnels s'accroît et que se développe parallèlement un marché de l'emploi de personnel non qualifié...

Nouvelle donne pour l'avenir : intéressés par leur nouveau profil, des services qui n'employaient pas de TISF commencent à s'y intéresser : RMI, Fonds de solidarité logement, ASE, AEMO, des CHRS, etc. dans une optique visant davantage la vie quotidienne que l'aide à domicile. Une évolution positive pour la profession, qui a d'ailleurs servi à tracer le canevas de la réforme. Encore faudrait-il que cette dernière voie le jour. Le secteur attend un signe du ministère et de la DGAS.

Dominique Lallemand

Notes

(1)  L'appel à manifester de l'UNASSAD, l'UNADMR, la FNADAR, la FNAFAD, la FNAAMFD et de la FNAAFP-CSF a reçu le soutien de l'ADEHPA -Voir ASH n° 2184 du 13-10-00.

(2)  FNAAMFD : 80, rue de la Roquette - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 75 50.

(3)  FNAFAD : 13, rue des Envierges - 75020 Paris - Tél. 01 43 15 12 12 .

(4)  Voir ASH n° 2136 du 8-10-99.

(5)  Voir ASH n° 2183 du 6-10-00.

(6)  Voir ASH n° 2184 du 13-10-00.

(7)  IFRAD : 4, rue Alfred-de-Musset - 92240 Malakoff - Tél. 01 46 55 61 08.

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