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Les lenteurs de l'expérimentation

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Très attendu, le décret sur le numéro départemental unique d'enregistrement de la demande de logement social est promis pour ce mois-ci. Bilan d'une expérimentation mise en œuvre laborieusement.

Pour améliorer l'égalité des chances des demandeurs et l'accueil des plus défavorisés d'entre eux, les règles d'attribution des logements locatifs sociaux ont été modifiées par la loi de lutte contre les exclusions. Parmi les moyens retenus figure l'attribution d'un numéro départemental unique d'enregistrement de la demande. Ce nouveau mécanisme, géré conjointement par l'Etat et les bailleurs sociaux, est en fait issu du protocole d'accord signé le 17 décembre 1997 entre la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC) et l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM (UNFOHLM) (1).

Si le calendrier envisagé au départ (2) avait été respecté, la mesure aurait dû être généralisée début 2000, après une expérimentation menée en 1999 dans dix départements. En fait, se sont vraiment investis dans l'opération, la Moselle, l'Ain, le Val-d'Oise, et surtout le Loiret et la Haute-Garonne - les deux vrais pionniers. Quant aux premiers numéros, ils n'ont été délivrés qu'en juin 1999 dans le Loiret. Au total, le 15 février 2000, 95 000 numéros étaient attribués et le 15 août, 160 000.

La lenteur des avancées tient sans doute, pour partie, au principe même de l'expérimentation partenariale, qui oblige à discuter des règles au plan national et au sein de chaque département avec des interlocuteurs multiples. Dans le Loiret, le comité de pilotage comprend dix membres : cinq représentants des 14 organismes HLM, deux de l'Etat et trois des collectivités territoriales (département, association des maires et SIVOM d'Orléans). Dans la Haute-Garonne, les 16 bailleurs sociaux y sont conviés, plus six communes, pour une réunion tous les deux mois. Des groupes aussi nombreux sont forcément lourds à gérer. A Toulouse, un petit comité technique échange plus souvent. Mais personne n'a la progression de ce dossier comme tâche principale. De plus, les communes - dont le rôle est fort variable entre les départements où elles arbitrent l'essentiel des attributions et ceux où ce travail revient aux organismes HLM - sont souvent restées dans l'expectative.

Deuxième motif de lenteur : les dysfonctionnements du logiciel informatique mis en place pour gérer le serveur de numéros, hébergé le temps de l'expérience sur deux sites : Bordeaux (Gironde) et Bourg-en- Bresse (Ain). Tous les organismes HLM, préfectures et communes étant habilités à recevoir les demandes donc à délivrer le numéro, ce serveur devait en effet pouvoir être saisi à la fois par échange de fichiers informatiques et par accès direct via le Minitel (pour les petites communes). Deux standards bien différents. En outre,  les organismes HLM utilisant des logiciels très divers, il a fallu prévoir autant d'interfaces pour éviter une double saisie- condition sine qua non de leur participation à l'expérience. Autant de problèmes à aplanir avant la généralisation... d'autant que l'expérimentation conduit à privilégier un troisième standard : les échanges par Internet.

Simple enregistrement d'une demande

Au-delà, les retards dans la mise en œuvre tiennent peut-être aussi aux limites mêmes de l'opération. Et aux réticences des organismes HLM, soucieux de ne pas voir rogner trop fortement leur autonomie. En fait, dès l'origine, le numéro unique est une garantie pour le postulant au logement que sa demande est bien enregistrée et qu'elle fera l'objet d'un examen particulier en cas de délai d'attente « anormal ». Rien de plus. Ce n'est ni un numéro d'ordre, ni un outil de gestion de la demande, ni même le moyen de constituer un observatoire de la demande.

Pour « ne pas monter une usine à gaz », le protocole d'expérimentation a, en effet, prévu la délivrance d'un numéro à tout demandeur, s'il justifie simplement de ses nom, prénom, date de naissance, adresse, et du titre de séjour pour les étrangers. Créé très en amont et fonctionnant avec un minimum d'informations, ce numéro ne permet donc en rien de « qualifier » la demande par rapport à la taille de la famille et du logement souhaité, à sa localisation, au revenu familial, etc. « Des numéros sont délivrés à des gens qui n'ont jamais complété leur dossier ou, même, qui ne l'ont jamais retiré », déplore Daniel Leclerc, président du groupement des organismes HLM de la Haute-Garonne.

Bien des règles concourent d'ailleurs à accroître le nombre de numéros : aucune attribution de logement ne sera plus possible sans numéro, même s'il ne s'agit que de changer de cage d'escalier. Une même personne peut déposer plusieurs demandes auprès des différents organismes de son secteur et reçoit autant de numéros. Mais, quand elle accepte un logement, ses autres demandes ne tombent pas automatiquement, car la radiation reste de l'initiative du demandeur, pas du serveur. La désactivation du numéro n'intervient donc que lors du non-renouvellement de la demande, au bout d'un an. Une disposition dont l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM demande la modification. Dans la Haute-Garonne, Daniel Leclerc va plus loin en souhaitant une « définition plus rigoureuse de la demande » et l'attribution du numéro à partir du dépôt d'un dossier complet afin d'éviter le gonflement artificiel des chiffres. « La demande est de plus en plus volatile. Si on ne la cible pas mieux, le dispositif risque de périr par asphyxie. »

Le numéro unique permet-il, au moins, de repérer et de favoriser le traitement des cas les plus difficiles ? Le délai d'attente « anormalement long » est apprécié « au regard des circonstances locales ». Les départements l'ont pour la plupart fixé à un an. Le Loiret avait d'abord retenu une durée de six mois, vite apparue irréaliste. Dans la Haute- Garonne, un premier signal d'alerte est déclenché au bout de dix mois. En tout état de cause, l'UNFOHLM juge le délai d'un an « court ».

Trois départements seulement ont commencé à réfléchir au traitement des « hors délai ». Dans le Loiret (620 000 habitants, 249 000 résidences principales, 42 200 logements sociaux), après 16 mois de fonctionnement et la prise en compte de toutes les demandes en stock, 24 510 postulants et 33 390 demandes avaient été enregistrés le 19 septembre 2000. En décomptant les erreurs de saisie (5 %), les attributions (13 %) et les non-renouvellements (20 %), il restait, ce même jour, 20 274 demandes en instance et 6 243 demandes « hors délai », soit 30,8 %. Beaucoup trop pour envisager un traitement individualisé. Il a donc fallu trier. Une liste de 11 motifs de non-attribution a été dressée. Une fois la part faite des dossiers incomplets ou non retournés, des dépassements de plafond de ressources, des demandes très ciblées ou pour des immeubles encore en construction, trois motifs ont été retenus comme vraiment prioritaires : demande inadéquate, nécessité d'un logement adapté, politique de peuplement et de mixité. Un test a été réalisé par huit bailleurs sur cent demandes ainsi sélectionnées, et 11 dossiers examinés par la commission de relogement des ménages en difficulté.

Dans la Haute-Garonne (48 000 logements sociaux, 20 077 demandeurs et 24 450 numéros attribués le 19 septembre), les « hors délai » sont moins nombreux (7 %). En effet, instruit par l'expérience du Loiret, on a décidé de ne pas rentrer les anciennes demandes et de ne les prendre en compte qu'au fur et à mesure des renouvellements (méthode qui sera étendue lors de la généralisation). Mais une grille d'examen a aussi été établie afin de repérer les difficultés « spécifiques ». A Orléans comme à Toulouse cependant, on estime que l'analyse doit encore être affinée avant d'en arriver vraiment à l'examen individuel et systématique souhaité.

REPÈRES

  Le numéro attribué durant l'expérience est constitué de 14 chiffres :trois pour le département, six pour le numéro d'ordre d'arrivée et cinq pour le code du lieu de dépôt. Le numéro définitif comportera quatre chiffres de plus pour l'année et le mois de la demande... Une référence longue et jugée « peu transparente » par certains organismes, qui continuent d'attribuer, en sus, leur propre numéro d'ordre à quatre chiffres.

  Le parc social totalise 3,5 millions de logements et 50 000 logements neufs construits par an. Mais, avec la rotation, de 400 000 à 500 000 logements sont attribués chaque année.

Le manque de logements adaptés

Pourtant, dans les deux cas, on cerne déjà les situations les plus lourdes : « Il s'agit soit de grandes familles - au-delà de six enfants -, soit de personnes isolées et fragilisées, d'un public faisant déjà l'objet d'un suivi social, ou connu pour des difficultés comportementales interdisant le logement en collectif », explique Yolande Buckel, directrice des affaires locatives et sociales à l'OPAC du Loiret.

« Un stock - qui se renouvelle - de 150 à 200 familles à problèmes », dit-on dans la Haute-Garonne. « Une cinquantaine de dossiers pendants en permanence dans le Loiret, estime Virginie Stora, chargée d'études à la direction départementale de l'équipement. Et qu'il ne faut pas forcément traiter à l'ancienneté : en cas de maltraitance, d'expulsion, de famille en caravane au seuil de l'hiver, il y a urgence, même si la demande n'a été déposée que depuis trois mois. Sans compter la demande non-exprimée ! Le vrai problème, c'est le manque de construction adaptée. » Dans un contexte de forte baisse des mises en chantier de logements sociaux (900 par an au début des années 90,387 seulement en 1999, dont 135 dans l'agglomération orléanaise où s'expriment 70 % des demandes), seuls neuf logements adaptés ont été construits en 1998 et dix en 1999. « Les crédits ne sont pas consommés », constate Virginie Stora. La direction départementale de l'équipement pourrait financer des prêts locatifs aidés (PLA) d'intégration « autant que de besoin, car c'est une réelle priorité du ministère. Mais, même avec l'accord du maire, les projets sont très difficiles à monter ». Le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées devrait d'ailleurs être relancé dans le Loiret pour les trois prochaines années.

C'est aussi le cas dans la Haute-Garonne où, pour s'attaquer au nœud de l'exclusion, le groupement départemental des organismes HLM a en outre recruté, le 1er septembre, un prospecteur foncier. A charge pour lui de rechercher de petits terrains, bien desservis en transports et services, pour construire des PLA d'intégration dispersés dans le paysage urbain.

Les choses bougent donc dans les deux départements, où les partenaires sont habitués à travailler ensemble. « Les choses étaient dans l'air, le travail sur le numéro unique a sans doute servi d'accélérateur », commente Virginie Stora. Néanmoins, nuance Daniel Leclerc, « le principe était bon pour le demandeur, mais sa traduction trop complexe. Et puis, on pourra difficilement l'empêcher de croire qu'il détient un numéro d'ordre, qui ouvre un droit au logement. »

A Orléans également, on s'inquiète de l'information qu'il faudra marteler auprès du public et des communes. Virginie Stora compte aussi sur la mise en place de la commission de médiation prévue dans chaque département, que les demandeurs « hors délai » pourront saisir eux-mêmes. « Actuellement, on examine le cas d'une famille sans qu'elle le sache », remarque-t-elle. Mais pour créer cette commission, il faut d'abord que le décret sorte. Depuis quelques mois, dans les deux départements pionniers où un gros travail a été consenti et la preuve faite que le numéro unique pouvait marcher... on piétine. Ailleurs, on attend prudemment.

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Voir ASH n° 2050 du 19-12-97.

(2)  Voir ASH n° 2094 du 20-11-98 et n° 2135 du 1-10-99.

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