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Nouveau concept ou « gadget » ?

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La résilience désigne la faculté des individus à résister aux chocs de la vie. Ce concept, importé des Etats-Unis, peut-il être utile au travail social ? Christine Arbisio et Maryse Vaillant, praticiennes, confrontent leurs regards.

Actualités sociales hebdomadaires  : la résilience est à la mode en France depuis quelques mois. En quoi pensez-vous que ce concept peut intéresser les travailleurs sociaux ? Maryse Vaillant  : « Résilience » serait un terme d'ancien français - qu'on trouve dans « résilier un contrat » -, utilisé dans la sidérurgie pour définir la capacité d'un métal à reprendre forme après un choc. Le concept, lui, nous revient des Etats-Unis et du Canada - c'est peut-être ce que déplorent les cliniciens français - par l'intermédiaire de Boris Cyrulnik (1). Selon lui, la résilience est « l'aptitude à reprendre un développement malgré un accident fracassant ». Ses travaux portent sur la manière dont les enfants victimes de l'inceste et de la maltraitance parviennent à ne pas rester sidérés par le traumatisme, à tenir debout. Pour moi, la résilience, c'est le don, l'art, la capacité de survivre aux traumatismes de la vie. Dans le travail social, nous rencontrons constamment des personnes qui butent sur les chocs de leur existence et qui répètent sous des formes multiples les accidents traumatiques. Ce concept me paraît utile pour lutter contre les forces implacables de cette répétition en offrant un espace transitionnel, c'est-à- dire un espace d'imagination et de créativité aux familles et aux enfants. Ainsi, ils peuvent se réparer en s'appuyant sur un environnement contenant, et en gagnant confiance en leurs capacités de changer le monde. Christine Arbisio : Personnellement, je critique ce concept car il appartient à une approche anglo-saxonne qui privilégie les signes de la maltraitance, c'est-à-dire la réalité externe du traumatisme- elle va même jusqu'à la mesurer par des échelles de stress ! Je ne dis pas qu'elle fait abstraction de la souffrance des enfants, mais elle nie, de fait, sa réalité psychique. Or nous savons qu'un événement catastrophique vu de l'extérieur ne sera pas forcément traumatisant pour quelqu'un ; et à l'inverse, un événement qui nous paraîtra, à nous, infime, sera éprouvé comme un choc terrible par quelqu'un d'autre. Bref, je me méfie de la résilience car elle entérine la confusion qui existe chez les psychologues et encore plus chez les travailleurs sociaux, entre la réalité psychique et la réalité sociale. Pourtant, la littérature est remplie d'exemples de personnes qui ont beaucoup souffert dans leur enfance mais ont très bien réussi socialement !

Qu'est-ce que ce concept apporte de vraiment nouveau ?

M. V.  : Mais je n'ai jamais dit que c'était un nouveau concept ! C'est juste un mot à la mode, qui sort du chapeau comme les  « incivilités », il y a quelque temps. La résilience, je le reconnais, est parfois empreinte d'une bonne volonté un peu dégoulinante, certains l'interprètent comme une façon de dire « si on veut on peut ». Mais ce n'est pas avec cette approche qu'on peut aider les travailleurs sociaux à retrouver une estime d'eux- mêmes et à mieux aider les personnes. Non, pour moi, ce nouveau mot présente l'intérêt de faire la synthèse de plusieurs notions, dont la sublimation (Freud), les mécanismes de défense (Anna Freud), la réparation (Melanie Klein) et l'espace transitionnel (Winnicott). On résume ainsi presque 100 ans de psychanalyse. C. A. : Pour justifier la résilience, ses partisans mènent deux formes d'études. L'une, prospective, consiste à prendre un échantillon de personnes ayant vécu une enfance très difficile et à constater ce qu'elles sont devenues adultes. Ils démontrent ainsi que la grande majorité s'en sort très bien. L'autre méthode est rétrospective : on sélectionne des personnes qui vont mal et on se tourne vers leur enfance. Statistiquement, elles ont eu plus de problèmes que le reste de la population. Tout cela n'est pas surprenant. Encore une fois, à partir du moment où l'on privilégie l'événement extérieur, forcément, on s'étonne :  « Comment se fait-il qu'il s'en sorte si bien ? » Alors que moi, en tant que psychanalyste, je ne me dis jamais d'un patient : « Quel malheureux ! » Non, je le perçois comme un être humain avec son histoire. Et le plus fracassé n'est pas forcément celui qui a vécu les événements les plus tragiques en apparence. M. V.  : Je pense que nos positions divergent parce que nous ne faisons pas référence à la même chose : l'intériorité psychique dont il est question dans le travail social n'est pas la réalité inconsciente dont parlent les psychanalystes. En tant que psychologue clinicienne travaillant avec des éducateurs, j'appréhende une réalité interne, en interaction avec l'extérieur (le social, le parental, l'environnemental). Et la résilience nous donne des clés pour créer des conditions favorables aux enfants afin qu'ils réorganisent le monde par leurs fantasmes, rêvent, donnent, créent, imaginent, recyclent leur violence et leur haine, bref soient en interaction positive avec l'extérieur. Le travail sur cette réalité psychique n'est pas sans effets sur la réalité inconsciente, bien sûr. Mais les travailleurs sociaux raisonnables n'ont pas la prétention de travailler directement sur la réalité inconsciente. Alors, en quoi la résilience peut-elle être utile aux travailleurs sociaux ? M. V.  : La résilience me permet de donner une bouffée d'oxygène aux professionnels avec qui je travaille en leur disant : « Faites en sorte que les personnes dont vous vous occupez ne soient pas écrasées par la réalité factuelle, sociale et judiciaire. Ne mettez pas toujours le projecteur sur la vérité de l'événement, donnez au contraire du champ, un espace psychique, un droit au rêve, au mensonge, à l'invention. Quoi que vous fassiez pour eux, donnez- leur l'espace d'être eux-mêmes. C'est cette liberté qui fera que certains survivront de façon créative à des événements infimes ou énormes. » C. A.  : Vous avez une lecture très personnelle de ce concept, dont je me sens proche. Mais je trouve malgré tout qu'il comporte le danger de nous mettre à l'affût des signes de résilience. De la même façon que nous avons fait l'erreur, psychologues et travailleurs sociaux, de nous mettre, à un certain moment, à l'affût des signes de maltraitance : on ne voyait plus qu'eux, on en oubliait l'enfant ! C'est cette focalisation sur les signes que je crains. M. V.  : Ne pas entendre les personnes parce qu'on reste choqué de ce qu'elles mettent en avant, c'est le quotidien et la difficulté du travail social. Vous craignez que la résilience renforce cela. Pour moi, au contraire, elle permet de prendre une distance avec l'événement traumatique et de débloquer la capacité des personnes à raconter leur histoire. C. A.  : Je reste convaincue que la résilience nous amène à poser un regard extérieur sur le traumatisme et donc à considérer les personnes en tant que victimes. Or lorsque l'on renvoie une image à quelqu'un, il l'endosse. M. V. : Je suis entièrement d'accord sur le fait que traiter la personne comme victime, c'est lui ôter toute capacité à trouver sa propre voie. Il me semble qu'au contraire, la résilience permet de faire confiance dans les ressources propres de chacun, de se laisser surprendre par la capacité fabuleuse des enfants à réinventer leur vie.

En somme, la résilience amènerait les travailleurs sociaux à changer de regard, mais aussi leurs pratiques professionnelles ?

M. V.  : Oui, c'est un moyen de quitter un regard de commisération, mais aussi un statut de « sujet sachant », qui veut faire effraction dans la vie de l'autre pour lui extraire sa souffrance. La résilience, de même que la réparation, l'étayage de la fonction parentale et les groupes de parole forment une mouvance qui remet en cause cette attitude protectrice issue du XIX e siècle. Elle implique la perte de ce pouvoir imaginaire du travailleur social. C. A.  : En effet, il faut faire passer le message aux professionnels que lorsqu'ils changent de regard sur les personnes dont ils s'occupent, ils leur ouvrent un espace pour exister autrement. Mais on peut parvenir au même but par des voies beaucoup plus traditionnelles, moins « gadget » que la résilience. D'une part, je préfère utiliser la notion de transfert, un outil qui ne se démode pas. D'autre part, je pense qu'à partir du moment où chaque professionnel, quelle que soit sa place - chef de service, psychologue, travailleur social - s'ouvre à un tiers, il transforme son regard, bouge de position et par conséquent, réduit les risques de se trouver piégé dans l'image qu'il se fait des personnes auxquelles il vient en aide. C'est une façon de travailler beaucoup plus modeste mais dans la pratique, c'est cela qui marche. M. V.  : Mais cela ne fonctionne pas toujours !Car les travailleurs sociaux s'épuisent dans la répétition et les échecs : ils ne rencontrent que de multiples reproductions d'inégalités, l'arbitraire, la bêtise administrative et la détresse individuelle. De plus, ils ne constatent quasiment jamais l'issue positive de leur travail. Il me semble que la résilience leur apporte sur ce plan également une bouffée d'oxygène. Parce qu'elle comporte l'idée que tout n'est pas joué d'avance, que la surprise peut surgir à tout moment du sujet souffrant. Bref, elle permet aux professionnels de sortir de la culture du malheur. C. A.  : Ce concept peut sans doute redonner espoir, surtout si on en fait, comme vous, une force de vie. Mais comme la plupart des effets de mode qu'on a beaucoup connus dans le secteur, j'ai peur qu'il ne retombe comme un soufflé. Est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt s'efforcer de comprendre, au fond, pourquoi le monde du travail social est si désespéré ? Par ailleurs, je crains que la résilience ne soit récupérée par les hommes politiques - d'autant qu'avec la décentralisation, leur pression s'est largement accrue sur les travailleurs sociaux -et qu'ils nous imposent des grilles d'évaluation de la maltraitance, afin d'obtenir des statistiques. Mais comment les travailleurs sociaux vont-ils faire rentrer leurs relations fragiles avec les familles dans ces cases ? M. V.  : Si ce concept nous amène à réifier les personnes et s'il permet aux décideurs d'imposer de telles grilles, alors je suis d'accord avec vos objections. Quoique, même sans résilience, je pense que les conseils généraux ne s'interdiraient pas d'inventer des grilles pour pouvoir maîtriser leurs finances. Mais je crois que par-delà ces outils, nous nous retrouvons sur l'éthique : nous croyons à cette nécessité de civiliser l'Homme. En France, les travailleurs sociaux se sont toujours inspirés des sciences humaines cliniques (psychologie, ethnologie, anthropologie, psychanalyse, sociologie, etc.) qui considèrent le sujet dans son histoire et son environnement. Et il serait dangereux qu'ils adoptent des théories extérieures à cette vision humaniste, telles que le comportementalisme, par exemple. Si la résilience devait se révéler être un outil - et ce n'est qu'un outil - relevant de cette dernière mouvance, alors je la rejetterais. Propos recueillis par Paule Dandoy

Notes

(1)  Ethologue, auteur de Un merveilleux malheur - Ed. Odile Jacob - Voir ASH n° 2143 du 26-11-99.

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