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Au contact des étudiants en situation précaire

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Après la polémique concernant le nombre d'étudiants pauvres, quel regard portent les professionnelles du service social étudiant sur la situation et sur leurs moyens d'y répondre ? Zoom sur l'académie de Poitou-Charentes.

Combien y a-t-il d'étudiants pauvres en France ? La question a agité les couloirs des universités et du ministère de l'Education nationale durant le dernier semestre de l'année universitaire 1999-2000. Il faut dire que le rapport rendu en février 2000 par Jean-François Dauriac, directeur du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Créteil (1), au ministre de l'Education nationale, a fait figure de pavé dans la mare, à peine 18 mois après le lancement du nouveau plan social étudiant (2). Le chiffre de 100 000 étudiants « vivant potentiellement en dessous du seuil de pauvreté » avancé par le rapporteur était alors contesté par le gouvernement, qui commandait immédiatement une étude sur les revenus des étudiants. Rendu public en mai 2000, le travail du président du comité scientifique de l'Observatoire de la vie étudiante, Claude Grignon, intitulé Les étudiants en difficulté ; pauvreté et précarité  (3), est beaucoup plus prudent. Il souligne l'extrême difficulté à mesurer la pauvreté, évoque parallèlement les situations de précarité des 70 000 étudiants obligés de travailler, et retient finalement le nombre de 23 000 étudiants (1,3 %) en état de pauvreté chronique.

D'abord des demandes d'aide financière

Ces jeunes, les professionnelles du service social étudiant les connaissent bien puisque ce sont elles qui recueillent et instruisent leurs demandes d'aide financière exceptionnelle, faisant des services sociaux des CROUS et de la médecine préventive universitaire les meilleurs observatoires de la précarité étudiante.

Dans l'académie Poitou-Charentes - une région rurale semée de villes moyennes (119 000 habitants pour l'unité urbaine de Poitiers, 103 000 pour Angoulême), qui connaît son lot de précarité étudiante avec, en toile de fond, des familles à revenus modestes, un chômage persistant et des bourses trop faibles -, elles sont cinq assistantes sociales pour près de 43 000 étudiants. Quatre d'entre elles sont basées à Poitiers avec un système de permanences dans les antennes universitaires de Niort, Angoulême, Châtellerault, leur collègue étant installée à La Rochelle. Ici les services du CROUS et de la médecine préventive ont mutualisé leurs moyens en se répartissant la tâche selon les disciplines universitaires et les secteurs géographiques. Les étudiants trouvent ainsi exactement le même service chez les unes ou les autres. « La seule différence est qu'en médecine préventive, nous travaillons au sein d'une équipe pluridisciplinaire composée d'infirmières, de médecins et autres thérapeutes  », précise Nathalie Leroux, assistante sociale à La Rochelle. En outre, les secteurs (environ 8 000 étudiants chacun) ne se ressemblent pas tous. «  Il y a des disciplines plus sensibles que les autres comme les sciences humaines et les lettres et d'autres qui nous sollicitent moins comme la médecine », souligne Nicole Meteau, assistante sociale du CROUS à Poitiers. Au-delà des seuls étudiants de l'université, le service social étudiant a en effet sous sa compétence l'ensemble des inscrits dans l'enseignement supérieur ce qui inclut notamment les classes préparatoires, les écoles des autres ministères et les BTS.

Les professionnelles de Poitiers sont unanimes : sur les 500 à 700 étudiants vus dans l'année par chacune d'entre elles (environ 8 % de l'effectif couvert), la plus grande partie les sollicite pour une demande d'aide financière, loin devant les demandes d'information, les questions de santé ou de scolarité. « Et la plupart n'ont que leur bourse pour vivre », précise Michèle Durand, assistante sociale de la médecine préventive à l'université de Poitiers (4). Il s'agit alors de faire face aux charges : loyer, énergie, transport et nourriture parfois. Pour ces aides, une commission se réunit dorénavant chaque semaine et permet de débloquer rapidement les situations . « Il est rare que l'urgence soit telle que l'étudiant ne puisse attendre une semaine, mais il arrive que l'on donne des aides alimentaires sous forme de tickets de restaurant universitaire par exemple. En 1998-1999,40 étudiants en ont bénéficié », expliquent Nicole Meteau et sa collègue, Catherine Lavalette. Toutes observent aussi les mêmes périodes de difficulté et de précarité dans le cursus étudiant, rejoignant d'ailleurs les constats des deux rapporteurs. Ainsi, les étudiants de premier cycle constituent près des trois quarts des entretiens réalisés. Ils sont certes surreprésentés dans la population étudiante (23 250 sur 43 000 dans l'académie de Poitou-Charentes), mais surtout ils sont mal installés dans la vie étudiante, encore peu adaptés, en recherche d'un emploi et sachant mal gérer leurs faibles ressources. Autre population sensible : les étudiants en troisième cycle, jusque-là boursiers sur critères sociaux, et ne bénéficiant ni de la bourse de DEA (plutôt rare), ni d'aide familiale. Christine Laurin, assistante sociale à Poitiers, cite le cas de Laure, 25 ans, commençant en octobre 1999 un DEA de biologie avec comme unique ressources 2 000 F gagnés pendant l'été et 946 F d'aide personnalisée au logement. Ses charges sont évaluées à 2 730 F par mois, son père est sans emploi. Dans l'attente d'une hypothétique attribution de bourse, Laure a du mal à payer son loyer et à manger. Le don de 2 000 F qui lui est accordé au titre du Fonds de solidarité universitaire (FSU) est censé lui permettre d'attendre. Une chose est sûre, en l'absence de bourse, Laure risque, comme beaucoup d'autres dans son cas, d'être obligée d'abandonner ses études. « Si les étudiants sont rarement très pauvres, c'est parce que les très pauvres deviennent rarement étudiants », rappelait Jean-Claude Grignon dans son rapport. Mais au cas où elle en aurait épargné quelques-uns, la sélection sociale joue en tout cas de nouveau à plein en fin de cursus. Enfin, les étudiants étrangers qui viennent en France, hors programme de type Erasmus et sans bourse du gouvernement français, sont la plupart bien connus des assistantes sociales. « On les porte vraiment à bout de bras. Ils ne peuvent pas être boursiers et la première année, ils ne peuvent pas travailler. Pour eux c'est une vraie galère », alerte Michèle Durand. Pour ces derniers comme pour tous les autres, il est, en outre, une période particulièrement difficile à gérer : le début d'année. Les frais d'inscription (pour les non-boursiers) et de sécurité sociale se cumulent aux frais de logement (cautions) et de fournitures. De leur côté les bousiers, qui n'ont rien touché pendant l'été (la bourse est versée sur dix mois) doivent attendre mi-octobre pour le premier paiement. Or, le CROUS Poitou- Charentes estime à 6 821 F le budget du mois d'arrivée d'un jeune logé en résidence universitaire et à 8 473 F celui d'un jeune louant dans le privé.

Inquiétude pour les étudiants en travail social

Mais de l'avis des « anciennes » du service social, le pire semble passé. Et les « années noires », entre 1990 et 1996 sont derrières. A Poitiers la crise du logement est terminée et dans certaines sections, les effectifs étudiants diminuent. L'amélioration de la situation économique profite aussi aux étudiants. Dans ce contexte, difficile d'évaluer ce qui, dans cette embellie, peut être mis au crédit des mesures du plan social étudiant comme l'allocation d'études, la bourse de cycle ou la bourse à taux zéro (exonération des droits d'inscription). Selon les professionnelles, le plan a ouvert des solutions pour beaucoup de jeunes dans l'impasse, notamment ceux ayant un faible échelon de bourse ou encore ceux ne percevant aucune aide familiale. Mais des failles persistent notamment dans la gestion des débuts d'année et pour les troisièmes cycles. « Mais ceux qui m'inquiètent encore le plus, avoue Nathalie Leroux , ce sont les étudiants qui relèvent d'autres ministères, notamment ceux des écoles d'infirmières ou de travail social. Leurs droits universitaires sont plus élevés, leurs cursus plus exigeants et rendant souvent impossible une activité salariée, et le système des bourses y est encore plus sélectif. » Elle souligne aussi les problématiques sociales spécifiques des jeunes fréquentant les antennes universitaires délocalisées, sorte « d'universités de proximité » et qui « bien souvent, issus de familles modestes, n'auraient pas entamé d'études s'il avait fallu partir plus loin. A La Rochelle, 30 % des étudiants sont boursiers sur critères sociaux. » De même, poursuit Michèle Durand, « il y a, à Angoulême, environ 3 000 étudiants et pas de résidence universitaire alors qu'il faut compter 1 700 F pour louer un studio ».

De plus, avec 500 à 600 entretiens réalisés par an et par assistante sociale, le temps consacré à chaque situation est pour le moins limité. « Non seulement nous ne pouvons traiter que des situations individuelles sans jamais ou si rarement entreprendre des actions collectives, et pas toujours dans des délais acceptables, mais nous n'avons pas non plus le temps de faire le suivi de ceux qui nous sollicitent », regrette Catherine Lavalette. Il reste alors bien peu de temps, de moyens et d'énergie pour mener des actions de prévention en matière de suicide, de sida, de contraception ou des actions collectives concernant les budgets ou les transports.

Au Centre nationale des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS), on assure que des créations de postes sont en cours et que le plan social étudiant a encore quelques mesures à dévoiler. Mais le chemin reste long pour que, de gestionnaire des lacunes du système des bourses, de l'urgence et de la massification, le service social étudiant devienne acteur de la promotion sociale et de la démocratisation des études supérieures.

Valérie Larmignat

24 000 ÉTUDIANTS ONT REÇU DES AIDES D'URGENCE EN 1999-2000

Sur les deux millions d'étudiants recensés en France (5) pendant l'année universitaire 1999-2000, 453 000 sont boursiers. La très grande majorité d'entre eux (425 321) le sont sur critères sociaux ; les autres sont titulaires de bourses de troisième cycle (environ 11 000), d'agrégation, de service public, de mérite ou encore d'une allocation d'études (5 286), dernière née du système des bourses et instaurée en 1999 par le plan social étudiant (6) . Au total, 28 % des étudiants relevant des établissements du ministère de l'Education nationale sont donc boursiers, 44 % de ces derniers touchant le montant maximal soit 21 402 F sur l'année. Parallèlement au système des bourses d'études, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) gèrent le Fonds de solidarité universitaire (FSU), lui-même complété par le Fonds d'aide à la vie étudiante (FAVE). Au total ce sont 34 millions de francs (dont 22,8 pour le FSU) qui ont été distribués pour des aides exceptionnelles ou d'urgence en 1999-2000 à environ 24 000 étudiants. Le montant moyen de ces aides s'élève à 1 300 F. « Elles sont à la fois un indicateur et une réponse aux difficultés passagères des étudiants », explique Denis Lambert, sous-directeur des services de la vie étudiante du CNOUS. Lequel souligne que les fonds disponibles sont intégralement utilisés chaque année et que le montant total distribué est stable depuis quelques années.142 assistantes sociales des CROUS, auxquelles il faut ajouter celles des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé, sont chargées du dossier social étudiant et de la distribution des aides exceptionnelles.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2154 du 18-02-00.

(2)  Voir ASH n° 2080 du 17-07-98.

(3)  Voir ASH n° 2169 du 2-06-00.

(4)  Service interuniversitaire de médecine préventive et de promotion de la santé : Campus - Avenue Jacques-Cœur - 86000 Poitiers - Tél. 05 49 45 33 54.

(5)  Source : CNOUS. Ces chiffres concernent uniquement les étudiants relevant du ministère de l'Education nationale.

(6)  Voir ASH n° 2114 du 9-04-99.

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