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Une alternative à la médecine gestionnaire ?

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Les progrès de l'offre et de l'accès aux soins obligent les centres de santé à réaffirmer leur vocation d'une médecine plus humaine. Encore faut-il qu'ils en aient réellement les moyens.

Il y a un an, la publication d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) mettait le monde des centres de santé en émoi. Certes, ces structures - les anciens « dispensaires » - y étaient qualifiées de « pilier important de l'offre locale de soins qu'il ne faudrait pas ébranler ». Toutefois, « sur [leur] rôle social comme sur leur “différence médicale”, [elles] sont rarement en mesure de prouver leur spécificité », ajoutait la mission (1). Pourtant, même s'ils refusent d'être des « ghettos » sanitaires et sociaux et revendiquent leur ouverture à un public dont la diversité sociale et culturelle reflète celle du quartier où ils sont implantés, les centres de santé estiment faciliter, par leur proximité, la pratique du tiers payant et la modération des tarifs, l'accès aux soins des habitants les plus démunis. Ils revendiquent aussi la pratique d'une médecine moins productiviste, plus à l'écoute du patient dans sa globalité. Mais aussi plus coordonnée, donc plus économe en examens inutiles, du fait de la présence dans un même lieu de généralistes et de spécialistes et de l'existence fréquente d'un dossier médical unique.

En fait, ce n'est pas vraiment la sévérité du rapport, axé sur les seuls centres « polyvalents », qui a choqué. Les acteurs du secteur reconnaissent volontiers la grande disparité des structures, à la sensibilité plus ou moins sociale, et l'inégale qualité des services rendus. Leurs critiques ont surtout porté sur des défauts méthodologiques. L'Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS)   (2) lui a ainsi reproché des erreurs manifestes, des généralisations abusives et des « chiffres grossièrement falsifiés », accusant même les inspecteurs d'avoir produit une « fausse expertise pour justifier une réforme comportant des restrictions réclamées par la caisse nationale d'assurance maladie [CNAM] et les compagnies d'assurance ». Quant à Mario Salvi, médecin-directeur de la santé et de la prévention de Saint-Ouen et administrateur du Comité national de liaison des centres de santé (CNLCS) (3), il regrettait que l'IGAS n'ait pas appréhendé toutes les dimensions de l'impact social des centres de santé (4).

Tout le monde, à présent, semble vouloir tourner la page. Il est vrai que ces établissements ont obtenu entre temps, à force de lobbying, une victoire significative avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (5). Celle-ci, pour la première fois, a inscrit dans le code de la santé publique leur statut et leurs missions. Toutes leurs missions : les soins, mais aussi les actions de santé publique, de prévention et d'éducation pour la santé, et les actions sociales. Alors que dans les précédents textes - de simples décrets, en 1991 -, seule la mission de soins était affirmée, les autres étant facultatives. Pourquoi une reconnaissance si tardive ? « Du fait de l'absence d'un projet commun, fédératif », explique Marc Schoene, directeur de la promotion de la santé à Saint- Denis, qui a occupé des responsabilités tant au CNLCS qu'au sein de l'USMCS. « Les centres de santé ont longtemps eu du mal à être visibles dans le paysage de la santé en raison de la faiblesse quantitative de leur activité  (6) et de la diversité de leurs gestionnaires et de leur activité », renchérit Yvonne Couderc, qui dirige le secteur santé des Mutuelles de Provence et représente la Fédération des mutuelles de France (FMF) au sein du Regroupement national des organisations gestionnaires des centres de santé (RNOGCS) (7). Une instance créée en 1995, justement pour présenter un front uni dans les discussions avec les pouvoirs publics.

L'espoir d'une qualité accrue

L'attention du secteur, désormais, est tendue vers l'avenir immédiat : la négociation avec la CNAM, d'ici au début de l'année 2001, d'un « accord national » pour cinq ans (8). Cet accord, auquel l'adhésion sera facultative, devra notamment prévoir les modes de rémunération des actions « hors soins », préventives et sociales. Un aspect dont les gestionnaires, comme les professionnels de santé, attendent beaucoup, car le financement du volet non curatif a toujours été aléatoire, reposant sur des conventions ponctuelles signées avec l'Etat, les régions, les départements, sur la planification, l'alcoologie, les vaccinations, etc.

Les centres de santé espèrent aussi de ces négociations une bouffée d'oxygène pour assumer leurs frais de structure. Arguant, entre autres, que leur dimension institutionnelle n'est pas exempte d'implications sociales. « Nous ne sommes pas un cabinet isolé, mais rassemblons des médecins, des infirmières, des secrétaires. Ce qu'apprécie le public, particulièrement le plus modeste, qui sait qu'en entrant chez nous, il sera totalement pris en charge », remarque Daniel Wizenberg, médecin-directeur au centre municipal de santé de Bagneux et président de l'USMCS. Le travail de réseau, essentiel pour l'accès aux soins, que mènent les centres de santé, - particulièrement les municipaux - avec les services sociaux des communes, des CPAM, des CAF..., reste aussi à financer. « Nous voulons avoir les moyens d'accomplir notre mission d'accompagnement social et d'en être défrayés », résume André Aoun, directeur des établissements et de la formation à la Croix-Rouge française. D'autant plus qu'il reste beaucoup à faire : « Il faudrait un travailleur social présent en permanence pour transformer systématiquement la demande de soins en occasion de recouvrement des droits », constate Alain Brémaud, médecin-directeur du centre municipal de santé de La Courneuve et secrétaire général de l'USMCS. Au final, gestionnaires et praticiens espèrent que cet accord national permettra de faire progresser la qualité de l'action des centres de santé. Pour le Regroupement national des organismes gestionnaires, ce nouveau cadre de relation avec la CNAM constitue « une chance ». Puisque, tout en offrant de nouvelles possibilités financières, il va « obliger ces structures à préciser leurs projets, les modalités d'évaluation... » « Idéalement, on va avoir de l'argent et, en face, il va falloir améliorer les prestations », résume Alain Brémaud.

La crainte de l'instrumentalisation

« Idéalement », car, de fait, les craintes anciennes réapparaissent. L'USMCS redoute une nouvelle fois que la CNAM ne tente de « faire passer ses idées de maîtrise strictement comptable des dépenses de santé ». Ainsi, le fait qu'ils n'aient pas été conviés à la table des négociations inquiète les professionnels salariés par les centres de santé. Le texte de loi oblige la CNAM à conclure l'accord avec au moins deux « organisations représentatives » des centres, ce qui a été traduit dans les faits par « gestionnaires ». « Un parti pris que nous ne pouvons accepter, souligne Daniel Wizenberg . Nous sommes les témoins directs des besoins des publics. Et nous constatons tous les jours qu'il faut “faire la guerre” aux plus défavorisés d'entre eux pour qu'ils veuillent bien se soigner. » Les gestionnaires, par nature particulièrement soucieux de l'équilibre financier, apparaissent cependant également bien décidés à ce que l'accord n'induise pas un rationnement des soins et ne les transforme pas en instruments de régulation comptable des dépenses de santé des plus pauvres. Les acteurs du secteur ont d'ailleurs été échaudés par la mise en œuvre de la couverture maladie universelle (CMU) dans le domaine dentaire, considérée par beaucoup comme l'amorce d'une médecine « au rabais » pour les moins fortunés. En effet, nombre de centres assistent à une augmentation sensible de la fréquentation de leurs consultations dentaires, les praticiens libéraux jugeant les conditions de prise en charge de ces soins trop désavantageuses. « Nous refusons d'être des ghettos pour bénéficiaires de la CMU », s'insurge Mario Salvi.

Au-delà de l'aspect financier, c'est bien la liberté des centres à élaborer leurs propres projets qui est en jeu. Une liberté dont leur personnel médical craint la confiscation. « Nos actions ne doivent pas rester “à la remorque” de ce que l'assurance maladie propose aux libéraux », résume Alain Brémaud. C'est pourquoi les professionnels de santé n'ont pas renoncé à la création d'une instance de concertation à laquelle ils participeraient aux côtés des pouvoirs publics et des gestionnaires : à la fois lieu de réflexion et de propositions innovantes spécifiques aux centres. L'idée,  paraît-il, fait son chemin parmi les gestionnaires.

De fait, il semble difficile que les centres échappent à la nécessité d'affirmer plus nettement leur originalité au sein du système de santé. Car le mouvement continu d'amélioration de l'offre de soins et de la couverture sociale, dont les carences ont souvent été à l'origine de leur vocation, pourrait, à terme, poser la question de leur pertinence. Ils n'ont d'autre choix, de l'avis général, que de mieux mettre en avant leur « valeur ajoutée », « qui n'est pas de reproduire le mode dominant d'exercice de la médecine », défend Marc Schoene. Pas question, donc, de se contenter d'être des lieux empilant les consultations et les prestations de tiers payant. « Ils n'ont d'avenir que s'ils mettent l'accent sur la prévention et les progrès de la santé globale de la population, et offrent un service différent des libéraux », estime-t-on à l'USMCS. Il y a déjà longtemps qu'ils l'ont compris et se sont engagés dans les divers réseaux - toxicomanie, sida, veille épidémiologique... « C'est le sens de l'histoire », plaide Yvonne Couderc, de la FMF. Un point sur lequel la rejoint Marc Schoene, qui « ne [croit] plus à une médecine isolée, coupée de tout projet de santé publique, collectif ». Les centres de santé, pionniers de la médecine de demain ?

Céline Gargoly

UN PAYSAGE HÉTÉROGÈNE

On comptait en France en 1995, selon une étude de la caisse nationale d'assurance maladie, 1 454 centres de santé : polyvalents, dentaires, infirmiers (les plus nombreux). Les associations gèrent 31 % de ces établissements, les mutuelles : 24 %, les congrégations : 19 %, les collectivités locales : 14 % et les organismes de sécurité sociale : 6 %.

  Les centres de santé médicaux et polyvalents sont « avant tout le produit d'une culture ouvrière et se retrouvent en zone urbaine », note le rapport de l'IGAS . Plus de la moitié se situent dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis et Paris. Ils sont surtout gérés par les collectivités locales - notamment les municipalités - et les associations.

  Les centres de santé dentaires sont également en majorité urbains. De nombreux centres polyvalents municipaux comportent une section dentaire, mais ceux spécialisés dans ce domaine sont surtout gérés par les mutuelles et les organismes de sécurité sociale.

  Les centres de santé infirmiers, qui assurent le maintien à domicile des personnes âgées, sont essentiellement ruraux. Présents surtout à l'Ouest et à l'Est, ils sont gérés presque à égalité par les congrégations et les associations.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2130 du 27-08-99.

(2)  USMCS : 65/67, rue d'Amsterdam - 75008 Paris - Tél. 01 40 23 04 10.

(3)  Il regroupe des gestionnaires de centres de santé polyvalents, municipaux, associatifs et mutualistes. CNLCS : 3, rue de Metz - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 80 40.

(4)  Voir ASH n° 2130 du 27-08-99.

(5)  Voir ASH n° 2148 du 7-01-00.

(6)  La dépense qu'ils génèrent représente environ 1 % des dépenses totales de soins de ville.

(7)  Le RNOGCS regroupe le CNLCS, la Croix-Rouge française, la FMF, la Fédération nationale de la mutualité française, Religieuses en professions de santé, l'Union nationale des associations coordinatrices de soins et santé, l'Unaadmr et l'Uniopss. Contact : FMF : 3/5, rue de Vincennes - 93108 Montreuil cedex - Tél. 01 49 88 52 25.

(8)  Egalement prévu par la loi de financement de la sécurité sociale 2000.

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