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Les jeunes en difficulté se mettent en scène

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Dans la Seine-Saint- Denis, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide sociale à l'enfance ont mené, avec des jeunes en difficulté, une expérience éducative et culturelle originale. Et bousculé leurs pratiques habituelles.

30 juin 2000,20 h 30 : c'est l'effervescence à la Maison du peuple de Pierrefitte (Seine-Saint-Denis). Six grands panneaux abstraits, peints de couleurs vives, encadrent la scène. Partagés entre le trac et l'excitation, une trentaine d'adolescents, âgés de 15 à 17 ans, s'apprêtent à présenter le spectacle, Ma vie-ma ville, qu'ils ont créé ensemble, avec l'aide d'artistes professionnels. Dans les coulisses, un groupe de percussionnistes vêtus de tissus africains chauffent leurs djembés, tandis que les danseurs répètent dans un coin.

21 heures : devant une salle presque comble, tous ont enfin l'occasion de montrer à leur famille, à leurs copains, aux habitants de la ville ce dont ils sont capables ;un vrai spectacle de danse et de musique, dans des décors qu'ils ont réalisés eux-mêmes. Cette soirée est le résultat d'un travail collectif qui a duré près de huit mois et réuni des mineurs de la Seine-Saint-Denis sous mandat judiciaire ou administratif. A l'origine de cette initiative : le centre d'action éducatif (CAE) de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) de Pierrefitte (1) qui a, pour l'occasion, travaillé en collaboration avec les équipes de milieu ouvert et d'hébergement de Pierrefitte, Stains, Epinay-sur- Seine et Villetaneuse de la PJJ et de l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Depuis quelques années, les actions éducatives à caractère sportif ou culturel sont vivement encouragées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Mais si les projets autour du sport tendent à se développer, les créations artistiques demeurent encore rares. Encore plus lorsqu'elles sont conçues comme un support éducatif et non comme un outil d'animation ou de formation professionnelle. Quant au partenariat entre les équipes de la PJJ et de l'ASE, il reste très variable selon les départements. Et en ce sens le projet du centre d'action éducatif de Pierrefitte est particulièrement intéressant. « Une politique globale de partenariat sportif, culturel, éducatif est une nécessité. Or on a trop tendance à rester enfermés à l'intérieur de nos structures. Alors que si l'on parvient à tisser un réseau dans la ville, on arrive à replacer le jeune dans la réalité de la cité », défend Patrick Gueguen, cadre socio-éducatif à l'aide sociale à l'enfance de la Seine-Saint-Denis.

La réalisation de ce projet s'inscrit dans la réflexion menée par la PJJ et l'ASE sur leurs pratiques en direction des mineurs. Il s'agissait, pour les uns et les autres, de sortir de la relation duelle dont les équipes perçoivent les limites. « Compte-tenu de la complexité des difficultés des jeunes que nous rencontrons, il nous faut d'autres espaces et des activités pour les rencontrer et les connaître », explique Richard Brahimi, directeur du CAE de Pierrefitte.

Ce point de vue est partagé par une grande partie des équipes éducatives de l'ASE de la Seine-Saint-Denis. Notamment par celle du foyer d'Epinay qui venait d'accueillir quatre jeunes réfugiés de Sierra Leone ne parlant pas un mot de français. Ce projet culturel centré sur la musique, la danse et la peinture est alors apparu comme une opportunité pour les aider à s'intégrer. « En foyer, on a tendance à penser qu'un jeune qui a souffert a d'abord besoin d'être protégé pour se restaurer. On ne se rend pas compte que les solutions peuvent aussi être à l'extérieur. Et qu'il faut essayer de construire l'avenir plutôt que de regarder le passé », estime Patrick Gueguen.

« Une vraie production »

Le projet initial prévoyait six ateliers regroupant une centaine de jeunes. Il a finalement réuni une cinquantaine de filles et de garçons au sein de trois groupes animés par des artistes professionnels : un peintre, deux chorégraphes et un percussionniste. De septembre 1999 à juin 2000, les participants se sont retrouvés, une fois par semaine pendant quatre heures. Dès le départ il s'agissait de réaliser, en un temps limité, une vraie production dans le cadre d'une commande passée aux artistes (2). « Notre but était de leur proposer une expérience de création qui leur fasse découvrir d'autres moyens d'expression et leur révèle leurs potentialités. Soit une confrontation structurante du fait de la production obligée », explique Charles Sztulcman, éducateur au CAE de Pierrefitte et chef du projet.

Absentéisme scolaire, rejet des règles et de l'apprentissage théorique, manque de confiance dans les adultes. Les ateliers visaient à remédier à un certain nombre de dysfonctionnements, à favoriser la socialisation et à remettre en mouvement des jeunes qui, pour certains, n'étaient plus dans les dispositifs de droit commun. « Les mineurs que nous suivons connaissent des difficultés affectives et familiales importantes. Ils ont une mauvaise image d'eux-mêmes et une perception dévalorisée du monde. Le média culturel leur permet de réaliser un projet où ils ne se sentent pas leurrés, mais pleinement reconnus », défend Charles Sztulcman.

DU NÉGATIF... ... AU POSITIF

Pendant huit mois, la photographe Anna Rouker a suivi le travail des artistes chargés des ateliers. Le résultat de cette commande fera l'objet de deux expositions qui présenteront les images de la photographe et les panneaux peints par le groupe animé par le peintre Michel Razy. La première devrait se tenir à Bobigny en novembre. La seconde se déroulera en décembre à la Maison du théâtre et de la danse d'Epinay-sur-Seine. Elle ouvrira sur un débat autour du thème de l'identité et des pratiques professionnelles. Une autre façon pour les jeunes de passer du « négatif » au « positif ».

Des éducateurs, participants et observateurs

Chaque atelier était animé par un binôme composé d'un artiste et d'un éducateur. A l'artiste, le rôle de guide et de chef d'orchestre. Ni prof ni copain ni éducateur, il avait pour consigne d'être... lui-même. Et de partager avec les jeunes une expérience de création où il était le concepteur et, eux, les aides. « Ça n'a pas été toujours facile à gérer, se souvient le peintre, Michel Razi. Il y avait des histoires entre eux ; ils me faisaient des coups... Au fur et à mesure, nos rapports ont évolué. Ils me posaient des questions personnelles, voulaient savoir comment je vivais. J'ai rencontré des ados très éloignés de ce que j'imaginais. Et pas vraiment différents des autres. »

Quant aux éducateurs, placés en position de participants et d'observateurs, ils purent découvrir les jeunes sous un autre angle. « Au début, raconte Chahile Hammache, éducateur à l'ASE au foyer d'Epinay-sur- Seine, ils arrivaient en retard ou ne venaient pas. Il fallait les relancer, les encourager. Peu à peu, ils ont commencé à y croire et ils ont été plus motivés. Ce projet les a changés. Ils s'intéressent plus les uns aux autres. Maintenant, je suis sûr qu'ils vont réussir. »

De l'avis des équipes éducatives, l'expérience a été formatrice. « Du point de vue de la reconstruction de leur image, estime Charles Sztulcman, c'est positif à 100%. Pour la première fois de leur vie, ils ont produit du beau, de l'utile. Ils ont réussi quelque chose ensemble. Et ils ont été respectés. » De fait, à l'issue du spectacle, la majorité des jeunes se sont réinscrits dans des projets professionnels ou de scolarisation. Certains ont souhaité suivre un atelier de percussions à la rentrée ;quelques-uns ont décidé de réaliser un CD.

Seul regret pour les initiateurs du projet :l'opération n'a pu bénéficier aux 100 jeunes prévus au départ, en raison des problématiques particulièrement lourdes de ces publics et de leurs familles, mais aussi du poids des habitudes de travail au sein de certaines équipes éducatives. « Toutes ne sont pas accoutumées à avoir une vue d'ensemble de la prise en charge des jeunes avec des projets situés dans le temps et une notion de résultats, reconnaît Patrick Gueguen. Cela bouscule les pratiques éducatives habituelles. »

Quoi qu'il en soit, la dynamique de projet et de partenariat est en place. Et le CAE de Pierrefitte a l'intention de poursuivre sur sa lancée : un projet d'ateliers sur le théâtre en collaboration avec les écoles et des enseignants est d'ores et déjà en préparation pour l'année 2000-2001.

Françoise Nicol

MAX LONGERON : « FAIRE INTERVENIR LE CORPS DANS L'ESPACE »

Depuis quelques années, la direction de la PJJ encourage les actions éducatives fondées sur le groupe, et notamment les projets culturels. Pourquoi ? - Au début de l'éducation surveillée, on était dans le « tout groupal ». Le travail des éducateurs se basait essentiellement sur le collectif. Il y a une vingtaine d'années, avec le développement des sciences humaines, on a plutôt recruté des psycho- éducateurs. Et l'on a assisté à une prévalence de l'entretien individuel, que ce soit en milieu ouvert ou dans les lieux de placement. Mais on est en train de se rendre compte que l'entretien individuel ne permet pas d'englober tous les problèmes des jeunes dont les difficultés sont devenues plus importantes avec l'augmentation du chômage et l'évolution des rapports entre adultes et adolescents. De fait, nous revenons dans la formation des éducateurs à un équilibre entre la relation duelle, la « clinique éducative », et le « vivre avec, faire avec ». Pourquoi les projets artistiques et culturels restent-ils si peu nombreux ? - Disons que, depuis cinq ou six ans, on voit se développer un certain nombre d'opérations sportives ou artistiques dans les équipes éducatives de la PJJ. Et ce courant commence à prendre de l'ampleur. On peut citer en Ile-de-France, des actions autour du graf à Draveil, autour du sport à Savigny-sur-Orge et Bures-sur-Yvette, une production vidéo à Malakoff, des ateliers d'écriture dans les Yvelines... Mais les actions culturelles ou artistiques sont encore minoritaires. Il faut dire qu'on part de très loin. Jusqu'à ces dernières années à la PJJ,  comme d'ailleurs dans le reste de la société, l'accès au théâtre, à la vidéo, au cinéma était soit très confidentiel, soit réservé aux loisirs, soit inscrit dans le domaine de la scolarité. Il faudra encore un peu de temps pour que les professionnels comprennent que c'est une dimension qui peut les aider dans leur pratique. Justement que peuvent apporter les projets culturels à la pratique éducative ? - C'est un des rares domaines où les jeunes peuvent comprendre l'intérêt de faire quelque chose en groupe. Ils voient tout de suite le résultat. De plus, les projets culturels font appel au ressenti et font intervenir le corps dans l'espace. Or, nous avons affaire à des jeunes pour lesquels c'est un problème. C'est la raison pour laquelle les actions de ce type sont importantes et que nous les soutenons. Propos recueillis par F. N. Max Longeron est directeur régional de la PJJ Ile-de-France.

Notes

(1)  CAE de Pierrefitte : 19, rue de Paris - 93380 Pierrefitte - Tél. 01 48 29 05 84 . Le projet a été financé à hauteur de 450 000 F par les villes de Stains, Pierrefitte, Epinay-sur-Seine et Villetaneuse, le département de la Seine-Saint-Denis, la DRAC, le FAS et la délégation interministérielle à la ville.

(2)  Par l'intermédiaire de l'association Les petits ateliers mosaïques, chargée de la mise en œuvre artistique.

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