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Une maison pour finir sa vie 

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Entre le confort du domicile et l'efficacité de l'hôpital, la Maison de Gardanne invente une nouvelle conception des soins palliatifs. Avec un soignant pour trois résidents, un travail d'équipe non cloisonné et une prise en compte des problèmes psychologiques et sociaux et de son entourage, la Maison envisage la personne dans sa globalité.

Des soignants sans blouse blanche, des équipements médicaux presque invisibles et des chambres pour l'hébergement gratuit des familles, l'environnement du centre de soins palliatifs extrahospitalier de Gardanne (Bouches-du-Rhône) respire la vie. Dans cette ancienne maternité ocre aux volets bleu Provence, l'équipe du docteur Jean-Marc La Piana invente, à sa manière, une nouvelle conception des soins palliatifs. Des pieds de lavande embaument le vestibule et le décor est soigné comme dans un hôtel de Toscane. Tout a été conçu pour aider ceux qui vivent leurs derniers jours à oublier un peu les contraintes médicales liées à leur maladie. Totalement indépendante de toute structure hospitalière, la Maison de Gardanne accueille chaque année une centaine de personnes malades du sida, atteintes de cancer ou d'autres pathologies (1). Avec des séjours moyens de un à deux mois, elles y passeront les dernières semaines de leur vie. Ici, l'aspect médical n'est pas prioritaire comme dans un hôpital et l'écoute des besoins et désirs du résident, et de ceux de son entourage, font partie du travail, au même titre que l'administration d'un traitement.

Une structure unique en France

A l'origine de ce projet atypique, Chantal Bertheloot, assistante sociale, et Jean-Marc La Piana, médecin généraliste, tous deux membres du réseau Aides. La première avait déjà monté un réseau de maintien à domicile pour les malades du sida. « Une fin de vie est un moment très dur pour tout le monde, souligne-t-elle. L'entourage est souvent sollicité à temps plein et cela est très lourd. Avec Jean-Marc nous avons vu mourir bien des personnes à l'hôpital, mais aussi à domicile. Nous avions envie de créer un lieu intermédiaire entre les deux. Chez elles, les personnes sont très isolées et l'hôpital reste un univers médical et froid, mal adapté à la fin de vie. » Ainsi, cette équipe à la fois médicale et sociale a monté son projet, aidée de Jean-Louis Guigues, infirmier libéral. Ils ont obtenu les autorisations, sollicité différents partenaires et gagné la confiance de nombreuses institutions. Fin 1996, l'ancienne clinique Saint- Roch de Gardanne, à mi-chemin entre Aix-en-Provence et Marseille, accueille la structure avec le soutien inconditionnel du maire (PC). Il faudra sept millions de francs pour réaménager et équiper cette grande bâtisse qui abrite 12 chambres de résidents et deux pour les familles. La région, le département, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, des dons privés et différentes associations ont permis de réunir le budget. Etablissement privé à but non lucratif, « participant au service public hospitalier », le centre fonctionne comme un hôpital et les prix de séjour y sont identiques. Pris en charge à 100 % pour les soins, les résidents doivent acquitter environ 80 F par jour de forfait hospitalier (hébergement et nourriture) remboursés par certaines mutuelles. Avec 18 soignants, un responsable des soins, trois médecins, une psychiatre, une assistante sociale coordinatrice, des agents administratifs, du personnel d'entretien et une vingtaine de bénévoles, la Maison accueille 12 résidents. Mais elle ne peut satisfaire les nombreuses demandes qui lui sont adressées par l'intermédiaire des médecins libéraux et des hôpitaux.

Un mode de travail différent

Dès le départ, l'association Ensemble contre le sida (2) soutient le projet. « Il répondait à un réel besoin de soins palliatifs dans un contexte humain pour des personnes malades du sida et en phase terminale », affirme Bertrand Audoin, son directeur exécutif. Le concept d'accueil axé sur la personne implique de nouvelles façons de travailler, déroutantes pour certains professionnels, mais séduisantes pour d'autres . « L'accompagnement des personnes en fin de vie ne se résume pas dans une grande théorie, précise Chantal Bertheloot. C'est une suite de petites choses. Nous sommes au service de ces personnes pour leur faciliter les choses sans avoir de modèles ni de recettes toutes faites ». Si les traitements médicaux restent classiques, l'intervention d'un ostéopathe ajoute au bien-être des résidents, les rythmes de vie et les activités quotidiennes sont libres et les contraintes réduites au minimum. Ici, les personnes accueillies ne sont pas des patients, mais des résidents. «  Si l'un d'entre eux n'a pas trouvé le sommeil avant l'aube, nous ne le réveillerons pas pour le petit déjeuner et nous le laisserons se lever lorsqu'il le souhaite, affirme Jean-Louis Guigues, responsable des soignants. Contrairement au fonctionnement de l'hôpital, c'est nous qui nous adaptons aux rythmes des résidents. Tout est conçu pour qu'ils se considèrent comme des personnes avant de s'envisager comme des malades. » Ce principe impose donc des manières d'intervenir bien différentes des pratiques hospitalières. Les soignants ne travaillent pas à la tâche, mais sont responsables de trois résidents durant une demi-journée. A 14 heures, une réunion de transmission rassemble tout le personnel présent à la Maison, cuisiniers compris, pour discuter de chaque personne suivie, donner les informations importantes et décider des ajustements à opérer.

L'individu au centre du dispositif

« Nous ne sommes pas partis de l'attitude professionnelle médicale mais de la réflexion sur l'individu, explique Jean- Marc La Piana, directeur de la Maison. Cela implique de prendre en compte tout ce qu'il vit au quotidien, les rapports avec son entourage, ses problèmes psychologiques, financiers, sociaux. Nous travaillons sur la priorité du moment. Ainsi les médecins ne font pas de visites à heure fixe, mais interviennent lorsque cela semble nécessaire. » Certains infirmiers ou aides-soignants issus de l'hôpital sont déroutés par ce mode de travail. Quitter la blouse blanche, même si les vêtements civils sont spécialement réservés au service, n'est pas évident pour tout le monde. Il arrive d'ailleurs que certains désaccords apparaissent lors des réunions, puisque chacun peut donner son avis. Mais, en dernier ressort, le médecin, la coordinatrice et le responsable des soignants restent décisionnaires.

Initialement prévue pour recevoir des malades du sida, la Maison a rapidement ouvert ses portes à des personnes atteintes d'autres pathologies. Seul critère d'admission : l'imminence du terme de la vie. La durée moyenne des séjours excède rarement deux mois. Certains ne viennent que pour de courts séjours afin de « récupérer ». C'est le cas de Pascal, malade du sida depuis bientôt dix ans et résident depuis six semaines. « En maison de repos, l'ambiance est assez froide et déprimante, explique-t-il . Ici, je me sens une personne avant d'être un cas médical. Le traitement anti-douleur est efficace et l'équipe a toujours le sourire. Certes, les règles existent : il faut prévenir si l'on veut sortir. Mais cela n'est pas pesant »

La présence de la mort

Malgré l'approche de la mort, tout est fait pour que la vie continue le moins mal possible. 20 bénévoles viennent une demi-journée par semaine accompagner un résident au marché, au cinéma ou à l'hôpital, donner un coup de main à la cuisine et, surtout, écouter et réconforter les résidents comme leur entourage. Parce que la convivialité fait naturellement partie du travail, il est parfois difficile pour certains de garder la bonne distance, et de ne pas s'impliquer dans une relation qui pourrait devenir douloureuse. Dans la mesure où la majorité des personnes reçues ne vivront que quelques semaines, le personnel comme les bénévoles doivent donc se préserver des séparations régulières causées par les décès. Une bougie est allumée à chaque « départ » pour honorer la mémoire du défunt. Et des groupes de parole hebdomadaires permettent à chaque membre de l'équipe de se décharger de ce qu'il a sur le cœur. Jeannine Boulaygue connaissait la Maison pour y avoir accompagné son fils, atteint du sida, il y a quatre ans. Depuis, elle est devenue bénévole, mais ne se sent pas encore prête à travailler en contact direct avec les résidents. « Pour l'instant, je reste au secrétariat. Le souvenir de la disparition de mon fils est encore trop douloureux. » La liberté de parole est de règle avec les résidents. Face à la mort imminente, l'équipe n'a pas de réponse toute faite. Elle s'efforce d'écouter et d'entendre la parole de celui qui s'en va. Les proches font également l'objet d'une grande attention. « Ils vivent et vont vivre au décès des moments traumatisants, explique Chantal Bertheloot. Il faut prévenir l'après, pour éviter les problèmes de santé de ceux qui restent et n'assument pas le deuil. Nous devons préparer les conjoints à se réorganiser pour toucher les aides auxquelles ils ont droit et continuer à vivre décemment. » Et il lui arrive de régler une cessation de paiement de pension d'invalidité ou de trouver des financements pour l'organisation des obsèques.

Si la Maison semble un endroit idéal pour terminer sa vie avec un peu de sérénité, aucun projet similaire n'a pour l'instant abouti. L'heure étant à la réduction des dépenses médicales, la caisse nationale d'assurance maladie favorise davantage les équipes mobiles de soins palliatifs qui coûtent moins cher car elles interviennent plus ponctuellement et touchent davantage de personnes. L'originalité de la Maison tient beaucoup à la composition de son équipe fondatrice. « Le concept est intéressant, puisqu'il s'agit de recréer une ambiance familiale autour de la fin de vie, avec un accueil des proches, remarque Thérèse Dossin, chargée de mission du programme soins palliatifs à la Fondation de France. Mais la Maison ne doit pas devenir un modèle à tout prix. Il faut surtout s'adapter aux besoins du terrain.  » Sur celui de Gardanne, la Maison a pour le moins fait ses preuves. Travaillant avec toutes les institutions médicales et sociales du département, elle est reconnue au-delà des Bouches-du-Rhône.

Florence Pinaud

UNE ÉQUIPE MOBILE

Parce que toutes les personnes qui en auraient besoin ne trouveront pas leur place à la Maison, une équipe mobile a été mise en place. Composée d'un médecin, d'une infirmière coordinatrice et d'une infirmière, elle intervient gratuitement 24 h sur 24 sur l'ensemble du département pour soulager la douleur physique comme morale de ceux qui arrivent au bout de leur vie. Collaborant avec les médecins généralistes ou hospitaliers dans la prise en charge et le suivi des patients, cette équipe aide également les personnels soignants pour leur permettre d'exprimer leur mal-être face aux situations de phase terminale. Elle travaille aussi en liaison avec différentes associations pour intervenir à domicile et fait connaître l'expérience de la Maison. Financée par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales des Bouches-du-Rhône, l'équipe mobile reçoit de plus le soutien de la Fondation de France pour ses campagnes d'information sur les différents thèmes relatifs aux soins palliatifs.

Notes

(1)  La Maison : Avenue de Nice - 13120 Gardanne - Tél. 04 42 65 91 20.

(2)  Ensemble contre le sida : 228, rue du Faubourg-Saint-Martin - 75010 Paris - Tél. 01 53 26 45 65.

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