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La France malade de ses inégalités sociales en matière de santé

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Il y a quelques mois, l'Organisation mondiale de la santé distinguait la qualité du système de santé français en le plaçant en tête d'un classement de 191 pays. L'ouvrage rendu public le 12 septembre par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et consacré aux « inégalités sociales de santé » dans l'Hexagone, vient froidement doucher toute velléité de triomphalisme (1). Les données concernant ce sujet étaient jusqu'à présent éparses. Et les scientifiques français s'étaient peu mobilisés sur ces questions - au contraire, par exemple, de leurs homologues britanniques, sensibilisés depuis le début des années 80. La condensation en 440 pages des études disponibles fait l'effet d'un véritable choc.

L'inéquitable progression de l'espérance de vie

Ainsi, si l'espérance de vie s'est, d'une façon générale, considérablement accrue au cours du XXe siècle, passant de 43,4 ans à 74 ans pour les hommes et de 47 à 82 ans pour les femmes, toutes les catégories sociales n'ont pas profité équitablement de ces progrès. A 35 ans, par exemple, les hommes cadres ou exerçant une profession libérale peuvent espérer vivre 6,5 ans de plus que les ouvriers. Lesquels ont deux fois plus de risques de décéder entre 35 et 65 ans que les premiers. La régression des taux de décès, générale quel que soit le groupe de pathologies, a davantage bénéficié aux cadres supérieurs qu'aux ouvriers-employés, pour lesquels, depuis les années 70, « on observe même une tendance à l'augmentation des risques de décès par cancer du poumon et par suicide », notent les chercheurs. La décroissance globale de la mortalité prématurée imputable aux maladies cardio-vasculaires, par exemple, est très inégalement répartie : - 14 % chez les employés et ouvriers et - 47 % chez les cadres et professions libérales entre 1982 et 1990.

La France, mauvaise élève de l'Europe

Ces chiffres prennent d'autant plus de relief si l'on considère que la France est « l'un des pays d'Europe occidentale où les inégalités des hommes devant la mort sont les plus fortes ». La mortalité prématurée des hommes âgés de 45 à 54 ans y est ainsi de 71 %plus élevée parmi les manuels qu'au sein des non-manuels, alors que chez la plupart de ses voisins européens, cet écart est environ deux fois moindre.

Pourquoi cette « exception » française ? Les auteurs évoquent notamment la consommation d'alcool, plus forte, selon les enquêtes françaises, dans les groupes socio-économiques les plus bas. Outre l'alcool, une multitude de facteurs viennent évidemment s'imbriquer pour expliquer les différences de survenue des maladies entre les groupes sociaux. L'inégalité des expositions aux risques - tabagisme, mauvaise nutrition, sédentarité, conduites dangereuses... - joue un rôle important. Mais une fois que la pathologie s'est déclarée, les temps de survie varient aussi, plus brefs pour les populations les plus défavorisées. Par exemple, dans le cas des cancers, quels qu'ils soient, celles-ci pâtissent plus souvent d'un retard de diagnostic, pouvant résulter d'un accès plus difficile au système de soins. Les lésions sont donc prises en charge à un stade plus avancé. L'isolement social augmente également considérablement le risque de décès, comme l'ont montré des études sur l'infarctus du myocarde : le pronostic après une telle attaque se révèle moins favorable du fait de l'absence de réseau social, qui prive le convalescent de soutien matériel et émotionnel, l'incite moins à utiliser les soins médicaux et de prévention...

Le système de soins sans effet sur les injustices sociales

A côté de l'espérance de vie, un autre indicateur apparaît particulièrement intéressant à étudier :l'espérance de vie sans incapacité (EVSI), qui a progressé pour toutes les catégories socio-professionnelles - et de façon plus importante que l'espérance de vie - mais encore une fois de façon disparate. Les mieux placés dans l'échelle sociale sont non seulement susceptibles de vivre plus longtemps, mais aussi d'être, au cours de la vieillesse, moins limités dans les activités de la vie quotidienne. En revanche, « tout se passe comme si on devenait vieux plus tôt lorsqu'on est au bas de la hiérarchie sociale, lorsqu'on a eu un travail pénible et chichement payé ». Ce qui conduit les chercheurs à souligner que « les fins de vie sont bien dans la continuité des trajectoires antérieures », les avantages et les handicaps acquis durant la vie active continuant de s'exprimer au cours du vieillissement jusqu'à la mort. Et à pointer que « le système de soins [...] semble être peu capable d'entrer dans une logique de réparation des injustices sociales. Il accompagne les évolutions de l'état de santé des individus jusque dans leurs disparités sociales les plus criantes. »

Les auteurs, cependant, ne s'en tiennent pas au diagnostic, mais formulent quelques préconisations pour l'action. Première d'entre elles : « La manière la plus efficace de réduire les inégalités de santé est de réduire les inégalités dans la société. » Une assertion qui, reconnaissent-ils, « peut sembler aller de soi », mais qui trouve sa pertinence au regard de la démarche la plus fréquemment adoptée en France pour remédier aux disparités de santé :rendre l'accès aux soins plus équitable. Certes, les chercheurs de l'Inserm saluent la création récente de la couverture maladie universelle, des permanences d'accès aux soins de santé dans les hôpitaux ou l'instauration du tiers payant auprès des médecins référents. Mais ils relèvent aussi la perversité des effets de seuil et celle de la création des dispositifs pour les catégories précarisées qui « conduit les intervenants extérieurs, qu'ils soient à l'hôpital ou en ville, à se considérer comme désinvestis de ces populations qu'ils renvoient vers les structures ad hoc ».

Selon les auteurs, c'est bien en amont de la maladie qu'il faut agir pour obtenir de meilleurs résultats. « Prétendre réduire les inégalités de santé, c'est avant tout diminuer les écarts entre les revenus par une politique salariale et redistributive, améliorer les conditions de travail et l'accès à des emplois stables, améliorer les conditions d'habitat et l'accès au logement social[...], lutter contre toutes les discriminations, en particulier à l'égard des populations étrangères ou d'origine étrangère. »

Mieux cibler la prévention

Autre recommandation : « Penser [les actions de prévention] d'emblée, et en mesurer ultérieurement les effets, en termes de réduction des inégalités et non seulement en termes d'efficacité globale. » Les programmes préventifs se révélant en effet plus efficaces parmi les catégories sociales supérieures, il conviendrait de les « adapter davantage aux contextes sociaux spécifiques ».

Enfin, les auteurs plaident pour « un plus large débat dans l'espace public » sur les inégalités de santé, tant dans les milieux scientifiques ou médicaux que dans le monde politique et les médias. «  Nous pensons que les actions de réduction des inégalités impliquent des choix politiques, dans lesquels l'expertise apporte un éclairage essentiel, mais qui relèvent, in fine , de l'exercice démocratique », concluent-ils.  C.G.

Notes

(1)  Les inégalités sociales de santé - Sous la direction d'Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang - Ed. La Découverte - 225 F.

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