La polyvalence de secteur a-t-elle vécu ? Le profil de l'assistante sociale qui intervenait seule sur un secteur d'environ 4 000 habitants, s'occupait de l'ensemble des problèmes de « ses » familles, y compris l'agrément des assistantes maternelles et le suivi des enfants placés, dans le cadre de permanences de 25 à 30 personnes, est semble-t-il en voie de disparition. Pourtant la polyvalence n'est pas morte, au contraire. Elle reste le pivot de l'accueil et de l'accompagnement des populations. Mais c'est au prix d'un véritable lifting perceptible dans bon nombre de départements. Deux études croisées de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) sur la réorganisation territoriale en 1995 et sur le travail social départemental en 1998 le confirment (1). Et mettent en évidence la diversité des formes que peut prendre cette réorientation.
Depuis les années 90, les départements se sont engagés dans un mouvement de réorganisation de leurs services d'action sociale en s'appuyant néanmoins sur des logiques communes : une démarche de territorialisation des services et des ressources logistiques, une approche globale, un souci de transversalité. Objectif : construire un service adapté aux spécificités locales, capable de répondre au plus près des attentes de populations moins marginales que précaires, d'une clientèle plus consommatrice et revendicative que l'usager de l'aide sociale d'antan.
Il était donc logique que la polyvalence, au cœur du repositionnement de l'action sociale, soit dans le collimateur des conseils généraux. « C'est une mission que les départements revalorisent », souligne Sylvie Teychenné, chargée de mission à l'ODAS. Ce dont témoigne Mireille Montagne, directrice de la vie sociale de la Savoie. « Nous sommes en train de boucler une étude sur la polyvalence qui montre que la fonction d'écoute et d'accueil effectuée par les professionnels est primordiale. Mais les départements doivent porter des politiques multiples- enfance, personnes âgées, cohésion sociale, etc. Pour nous, la question est de savoir comment le service social peut prendre sa place. » Sur le terrain, le discours est moins optimiste. « Les problématiques et les publics changent rapidement. Ces derniers exigent des réponses rapides et sophistiquées », observe Antoinette Quéré, présidente de l'Association nationale des conseillères techniques. « Les assistantes sociales polyvalentes restent toujours des fantassins de première ligne pour observer la réalité sociale. Mais l'accroissement et la complexité des dispositifs et des prestations polluent le travail social ; le poids des tâches administratives transforme encore trop souvent les polyvalentes en bureaucrates. » « Les collègues sont submergées par les demandes d'aide financière, et l'instruction des dossiers de RMI », confie pour sa part Paola Paravano, présidente de l'Association nationale des assistants de service social et encadrante technique dans l'Oise. « Elles n'ont plus le temps d'exercer leur métier en faisant un véritable travail d'écoute. »
En réorganisant leurs services, les départements tentent d'améliorer aussi les conditions de travail des personnels en polyvalence.
Première étape : le redécoupage des circonscriptions d'action sociale en fonction du nombre d'habitants (45 % des départements ont aujourd'hui des territoires de plus de 50 000 habitants), de l'espace urbain, semi-urbain ou rural ; parfois aussi de l'aménagement du territoire selon les bassins de vie ou d'emploi, etc.
Deuxième palier que certains hésitent encore à franchir : la déconcentration du pouvoir hiérarchique, des moyens techniques et humains. La déconcentration des décisions, elle, est surtout effective dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance. Sauf en Ille-et-Vilaine, par exemple, champion toutes catégories de la déconcentration, ou bien encore dans le Rhône où plus d'une quarantaine de maisons du département déclinent sur chaque territoire l'ensemble des services de compétence départementale.
Ce repositionnement territorial s'accompagne d'un autre mouvement qui ébranle l'un des fondements de polyvalence : la désectorisation. Celle-ci met fin à un modèle unique d'exercice du service social sur un secteur déterminé. Dans cette configuration, plusieurs assistantes sociales se relaient pour recevoir le public sur des secteurs regroupés et selon des modalités diverses. « Les départements utilisent depuis quelques années cet outil à tâtons, au gré d'expérimentations diverses, surtout en milieu urbain. En milieu rural, cela n'est pas une solution adaptée », explique Mireille Montagne.
Pionnière, la Côte-d'Or a désectorisé les zones urbaines il y a plus de dix ans. « Cela nous a permis de remédier à l'isolement des travailleurs sociaux, de favoriser les échanges entre professionnels et d'apporter des réponses réfléchies à plusieurs sur des situations complexes. Lorsque la charge de travail augmente, il faut remettre en cause le partage des dossiers, ce qui nous permet de mieux connaître la répartition des tâches entre les personnels », analyse Dominique Blain, responsable du service développement social et insertion. « Pas négligeable non plus en termes de gestion des ressources humaines : plus de secteur découvert puisque les collègues peuvent se substituer au chaînon manquant. Le plus réside sans nul doute dans la continuité du service rendu à la population, la réduction des délais entre la demande des usagers et la réponse des services, sans que ces derniers soient submergés par l'urgence. Nous avons désectorisé ensuite le rural, sauf les cantons les plus grands, où l'habitat est dispersé et la densité de population faible. Et nous n'avons pas l'intention d'aller plus loin. »
Dans l'Ain, en revanche, le département a abandonné la désectorisation tentée sur deux secteurs pourtant urbains. « Notre logique est celle d'un fonctionnement en équipe où chacun est responsable individuellement et collectivement sur son secteur. De plus, nos partenaires avaient besoin d'identifier l'assistante sociale responsable sur le quartier », explique Thierry Clément, directeur de la prévention et de l'action sociale.
Les cas de figure sont donc multiples. Selon l'ODAS, 60 %des départements auraient désectorisé partiellement, le tiers aurait conservé la sectorisation, quelques-uns, comme l'Ariège, fonctionnant en désectorisation totale.
En appui à cette rénovation de l'accueil du public, certains départements (par exemple, la Gironde, la Haute-Garonne, ou l'Isère) choisissent de dissocier l'accueil de l'accompagnement et testent différentes formules, avec ou sans le filtre de secrétaires médico-sociales. Dans les Pyrénées-Atlantiques, deux circonscriptions expérimentent un pôle accueil-évaluation découplé de l'accompagnement. Sur un quartier de Pau (17 000 habitants) désectorisé, un pré-accueil succinct est assuré par la secrétaire qui effectue déjà une première orientation, explique Christine Denis, assistante sociale chargée de l'accueil- évaluation. « Il y a une permanence tous les jours ; on reçoit les dix premières personnes, les autres sur rendez-vous ; elles n'attendent plus et les files d'attente ont disparu. De plus, les gens peuvent désormais choisir l'assistante sociale qu'ils souhaitent voir. On s'occupe des situations d'urgence, de l'adoption, des signalements, des familles d'accueil à temps complet, mais pas du RMI. » Lors de l'accueil, soit l'assistante sociale peut régler la question, soit elle oriente la personne, avec son accord, vers les collègues du pôle suivi qui ont en charge environ 35 familles chacune. Des réunions hebdomadaires ponctuent ces passages d'un service à l'autre au cours desquelles les intervenantes font le point et expliquent les situations rencontrées. « On est sous le regard des autres ; c'est rassurant. On est moins seules », ajoute Francine Dugene, assistante sociale au pôle suivi. Travaillant uniquement sur rendez-vous, les assistantes sociales se fixent des objectifs à atteindre avec la personne sur une période d'environ trois mois ; six au maximum. Et font régulièrement le point à l'aide d'une grille d'évaluation pour vérifier qu'elles gardent le cap. « L'intérêt, c'est de ne plus porter une famille pendant des années », souligne Francine Dugene. Un bilan positif pour elles qui leur laisse enfin la possibilité de faire de la prévention. Même son de cloche à Hendaye (13 000 habitants) où le travail d'accompagnement contractualisé sur objectifs, avec un calendrier à respecter, satisfait les professionnelles qui retrouvent un positionnement clair, précis et cohérent. « On est davantage disponible, on ne se disperse plus et on a le sentiment de faire un travail de qualité », reconnaît Cathy Martija, assistante sociale à Hendaye. « Les usagers sont contents de la rapidité de réaction du service social et les professionnelles ont retrouvé le plaisir de travailler », note Chantal Baros, responsable de la circonscription de Saint-Jean-de-Luz.
Parmi les pistes qui restent à explorer, l'une pourrait apparaître comme la voie de l'avenir, selon le rapport du Conseil économique et social (2) :une polyvalence d'équipes au sein desquelles coexistent à la fois une pluridisciplinarité et une certaine spécialisation, soit d'un membre de l'équipe- par exemple une assistante référente sur le logement, sur la toxicomanie, sur la santé -, soit hors de l'équipe, grâce à l'intervention ponctuelle de référents spécialisés. C'est dans cette direction que se sont engagés l'Ille-et-Vilaine ou l'Hérault qui a mis en place un accueil polyvalent et un dispositif de traitement spécialisé en fonction de la nature du problème. Avec, en arrière-plan, la volonté d'inscrire l'action de leurs services sociaux polyvalents dans une démarche de développement local.
Dominique Lallemand
Malgré une organisation restée très classique et centralisée, la direction de la prévention et de l'action sociale (DPAS) du conseil général de la Seine-Saint-Denis (3) a pris une initiative particulièrement originale : l'organisation d'un séminaire de réflexion sur la polyvalence, qui a réuni sur une durée de deux ans une centaine de travailleurs sociaux sur 300 en poste. De surcroît, à la demande des élus. « Ces derniers tiennent à conserver la polyvalence. Mais avant de définir des orientations, ils voulaient comprendre le malaise des professionnels et saisir le sens du travail social en polyvalence », explique Mathilde Sacuto, directrice de la DPAS. Pendant une première phase achevée fin 1999, travailleurs sociaux et personnel d'encadrement ont donc planché en groupes de travail ponctués par des forums, avec l'aide de l'association Pratiques sociales (4) . Pour ménager une certaine liberté de parole à ceux qui ne pouvaient participer directement aux groupes, un « journal de bord » a fait le lien. « Lors de la deuxième phase, nous avons l'intention de travailler sur notre organisation interne (circulation de l'information, aide à l'encadrement autour des objectifs de l'institution, appui aux équipes...) et sur nos modalités de travail : le partenariat, l'action collective, etc., afin d'offrir une lecture plus homogène de notre fonctionnement », poursuit Mathilde Sacuto. Bouclage du chantier prévu fin 2001. A la clé, un document d'orientation qui devrait permettre de redéfinir l'offre de service.
(1) A paraître fin 2000 - ODAS : 37, boulevard Saint-Michel - 75006 Paris - Tél. 01 44 07 02 52.
(2) « Mutations de la société et travail social » - Mai 2000 - Voir ASH n° 2168 du 26-05-00.
(3) DPAS : conseil général - Immeuble Pablo-Picasso - BP 193 - 93003 Bobigny - Tél. 01 43 93 93 93.
(4) Pratiques sociales : 15 bis, avenue Carnot - 94230 Cachan - Tél. 01 46 63 06 31.