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Au-devant des jeunes prostituées de l'Est

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Depuis mars 1999, à Nice, un service spécialisé a créé un poste de médiatrice culturelle russophone pour contacter les jeunes femmes d'Europe de l'Est amenées à se prostituer.

« Bonsoir. Vous parlez russe ? » Nice, Promenade des Anglais, une nuit de juin entre 22 heures et 2 heures du matin. Leïla Zeinalova, médiatrice culturelle et linguistique, aborde un groupe de jeunes prostituées. Elle se présente, ainsi que René Spadari, assistant social qui l'accompagne. En russe, elle explique qu'il existe un service de prévention et de réadaptation sociale (SPRS)   (1) où elles pourront recevoir un accueil convivial, une écoute et un soutien. En même temps, elle leur donne une miniplaquette en caractères cyrilliques. Elles y trouveront ce qu'il faut faire en cas de prise de risque (rapports sexuels non protégés) ainsi qu'une liste des associations ressources en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Originaires d'Europe de l'Est

Issues de l'ex-bloc soviétique, les Olga, Tania, Roxana, Gallina, 22 ans en moyenne, sont de plus en plus nombreuses sur les trottoirs de Nice. Comment échouent-elles ici ? Soit par le biais de petites annonces bidons demandant des baby-sitters, des serveuses, des mannequins. Soit en sachant ce qui les attend, mais bien décidées à fuir la misère. Des Lituaniennes, des Ukrainiennes acceptent de travailler pour un souteneur contre la promesse d'une ristourne de 50 %, tout en s'imaginant que, sur la Côte-d'Azur, elles exerceront une activité de luxe. En fait, elles se retrouvent à faire des passes dans des voitures avec un bénéfice nul. D'autres sont amenées de force comme ces Tchèques venues de Prague par l'Allemagne. L'une d'elles, la nuit même de son arrivée à Nice, s'est fait conduire directement à la police par son premier client, ce qui a permis le démantèlement d'un réseau.

« Notre but est de gagner leur confiance, explique la médiatrice. On ne leur demande rien. Surtout pas d'information sur les proxénètes. » Cette étudiante en communication et sciences du langage qui prépare une thèse de droit, n'est pas une professionnelle du social. Leïla Zeinalova s'est formée sur le tas avec l'aide des éducateurs et des assistantes sociales du service : « Au début, on pense qu'on va sauver des victimes. Plus on avance, plus on a de doutes. Après l'enthousiasme du départ, on est moins dans l'improvisation, on s'organise, on se fait une éthique. Il s'agit de les écouter avec empathie, de rester neutre avec bienveillance. Je m'intéresse en premier lieu à leur santé et leur parle des possibilités de dépistage du sida. D'abord, elles affirment qu'elles n'en ont pas besoin. Ensuite, souvent elles disent oui. »

De retour à la voiture, après chaque contact, la médiatrice note le prénom de la personne rencontrée et le lieu, pour pouvoir la repérer la prochaine fois. Elle inscrit également les rendez-vous au service, pour un entretien ou un accompagnement à la consultation de dépistage anonyme et gratuit. Cette nuit-là, l'équipe aura vu 18 personnes, dont six pour la première fois car cette population est très mobile. A raison de deux jeudis de tournée nocturne par mois, elle va sans cesse au-devant de nouvelles venues. Elle revoit également des « anciennes » qui manifestent un réel plaisir à discuter avec elle.

L'une a maigri de 5 kg en un mois : la médiatrice la convainc de consulter un médecin. Une autre, entrée en France avec un visa touristique, veut décrocher. Elle a suivi des cours de français au service de prévention et de réadaptation sociale et attend une promesse d'embauche comme serveuse : elle voudrait savoir comment régulariser sa situation. Une jeune Russe, qui n'a que 18 ans, veut continuer pour aider sa mère malade. Elle a un ami de cœur français et participe aux activités de loisirs organisées par le service. « Certaines s'arrêtent à cause de leur copain, constate René Spadari. En général, les femmes des pays de l'Est ne revendiquent pas le métier, elles le font temporairement par nécessité. En outre, même si elles ne sont pas toujours surveillées de près par leur souteneur, les menaces sur la famille au pays sont des moyens de pression efficaces. »

Des situations très complexes

Le service de prévention et de réadaptation sociale a été créé en 1976 par l'association Accompagnement-Lieux d'accueil-Carrefour éducatif et social (ALC). C'est en France l'un des rares services sociaux spécialisés dans le domaine de la prostitution alors que l'ordonnance du 25 novembre 1960 faisait obligation à l'Etat d'en créer un dans chaque département. Le 10 novembre 1999, l'ALC signait avec le préfet des Alpes-Maritimes une nouvelle convention réactualisant la mission du SPRS en mettant l'accent sur la lutte contre l'exclusion des personnes prostituées. Une avancée positive pour Patrick Hauvuy, directeur du service, agacé de voir que la prostitution ne figure pas dans la loi contre les exclusions. Ce qui ne l'empêche pas de se féliciter du soutien de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales des Alpes-Maritimes et de la coopération avec la chargée de mission départementale des droits des femmes.

Les jeunes femmes contactées dans la rue sont invitées à venir au service pour rompre leur isolement. Qu'il s'agisse de débrouiller leurs problèmes avec un éducateur ou un assistant social, de s'entretenir avec la psychologue, ou de rencontrer d'autres personnes dans un espace convivial.

Une éducation à la santé

Les femmes de l'Est connaissent souvent des situations très complexes : faux passeports, fausses nationalités, sans possibilités de prouver leur identité. Leurs cas donnent lieu à un important traitement administratif et social. Indépendamment du travail individuel avec l'aide de la médiatrice comme interprète et comme accompagnatrice dans les services, le SPRS organise des réunions d'information sur la contraception et la prévention du sida. Soit une véritable éducation à la santé pour faire tomber les idées fausses : expliquer qu'en France la pilule est bien dosée et qu'elle ne donne pas le cancer, que l'interruption volontaire de grossesse n'est pas une méthode contraceptive (de toutes jeunes femmes en ont déjà subi trois ou quatre). L'occasion également d'informer sur le préservatif tant masculin que féminin.

D'autres activités sont proposées : cours de français, repas mensuels, sorties nature (canyoning, plongée) pour s'aérer, mieux se connaître et pouvoir s'épauler en cas de besoin. Un animateur de proximité, ancien prostitué transsexuel, parlant l'anglais et l'arabe, est là pour garantir un accueil chaleureux et une bonne entente entre les Françaises et les autres. « Elles savent qu'ici c'est un lieu neutre et apprennent à s'accepter. Elles se confient facilement sachant d'où je viens. Je les mets en garde contre certains dangers et je leur donne des conseils. Je suis l'exemple qu'on peut s'en sortir et je suis fier quand je reçois une carte ou un coup de fil de quelqu'un qui a quitté la prostitution. »

Les travailleurs sociaux du service coopèrent en bonne entente avec la brigade de protection sociale de la police. « Nous avons des missions complémentaires, observe Patrick Hauvuy. Quand ils ont réuni tous les renseignements utiles pour arrêter les proxénètes, ils nous envoient les filles qui les ont dénoncés. On les accueille et là, c'est la panique car il faut les mettre à l'abri. Or nous ne disposons pas de lieu pour cela. En hâte, il faut trouver un hôtel pour les cacher. Nous avons payé des rapatriements sur Prague en avion. Ce qui est hors de nos moyens. » Et Patrick Hauvuy de déplorer que, malgré l'explosion des problèmes prostitutionnels dans les Alpes-Maritimes, la subvention d'Etat versée pour financer le service n'a quasiment pas augmenté depuis cinq ans. « On nous suggère de diversifier nos financements mais nous avons une approche sociale spécifique. Si l'on se fait financer par la Santé, alors qu'on dise carrément qu'on fait du sanitaire... »

Pour le directeur du service, les femmes qui dénoncent les proxénètes devraient bénéficier d'un minimum de protection, au moins un visa pour rester sur le territoire national, ce qui se fait en Belgique et en Italie. Si l'office central de répression de la traite des êtres humains centralise les informations et travaille de façon globale, les services sociaux doivent quant à eux se débrouiller par eux-mêmes. «  Nous avons pu envoyer quatre Ukrainiennes à Marseille grâce à un service de l'Amicale du nid : ils ont été formidables en nous répondant oui dans l'après-midi », estime Patrick Hauvuy. Lequel regrette l'absence de structure de protection au niveau national et de réseau de familles d'accueil, comme en Italie.

Souvent à la suite d'une rafle, les femmes sont expulsées. Et doublement pénalisées. Repartant de France sans un minimum de préparation, elles retombent dans les mêmes pièges. D'autant plus que, soumises à l'opprobre social, elles sont fréquemment rejetées par leurs proches, même s'ils ont profité de leur argent.

Une coopération transfrontalière

L'idée est de rechercher des partenaires dans les pays d'origine pour accueillir à leur retour les victimes du trafic. C'est ainsi que le service a établi des liens privilégiés avec une organisation non gouvernementale (ONG) tchèque « La Strada » qui a pu héberger et suivre plusieurs femmes. Le service participe également au projet Sécu-Cités porté par le forum européen pour la sécurité urbaine. Celui-ci regroupe plus de 200 villes européennes et propose un jumelage de sept villes d'Europe de l'Ouest avec sept villes d'Europe de l'Est. Dans ce cadre, Nice et Vilnius se sont rapprochées. La première va réaliser une brochure en lituanien présentant les services spécialisés en France et donnant les coordonnées d'ONG lituaniennes. Les deux municipalités vont coopérer pour faire progresser des actions préventives en Lituanie et rechercher des financements en vue de créer un centre d'accueil à Vilnius.

L'ambition du SPRS ? Multiplier les relations transnationales avec les décideurs et les opérateurs de terrain comme il l'a fait lors de rencontres en Italie. Notamment à Turin avec le réseau Transnational AIDS/STD prevention among Migrant Prostitutes in Europe Project (TAMPEP). C'est là que Leïla Zeinalova a pu participer à un travail de rue avec des médiatrices expérimentées. Car Turin doit faire face, depuis plusieurs années, à la prostitution albanaise.

Par ailleurs, plusieurs associations à Avignon, Marseille et Toulon se sont unies pour collaborer avec le SPRS à l'édition en plusieurs langues de la plaquette de prévention et d'accueil dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Françoise Gailliard

DU SOUTIEN ÉDUCATIF À L'ACCÈS AUX SOINS

L'année dernière le service a suivi 133 personnes dont 76 françaises et 57 étrangères. 51 provenaient de 12 pays d'Europe de l'Est. Parmi ces dernières :

 30 ont bénéficié d'un soutien éducatif grâce à l'intervention de la médiatrice.

 24 ont eu accès à des soins, surtout par les services d'urgence et l'antenne médicale de Médecins du monde, du fait de l'irrégularité de leur séjour sur le territoire.

 11 se sont trouvées enceintes ; 7 ont subi une IVG.

 Sur les 27 ayant effectué un test de dépistage du sida, aucune n'était séropositive.

 15 ont suivi des cours de français.

 21 ont arrêté toute activité prostitutionnelle : 11 sont retournées dans leur pays. Parmi les autres, 2 hébergées en CHRS sont demandeuses d'asile ; une est en centre maternel ; plusieurs vivent avec un Français.

Notes

(1)  SPRS : 15, boulevard du Parc-Impérial - 06000 Nice - Tél. 04 93 37 12 09.

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