L'été dernier, l'association Aide aux mères et aux familles à domicile (AMFD) de l'Hérault (1), présente sur Montpellier et Béziers, organisait des séjours en villages de vacances pour deux groupes de familles : l'un à la mer à Port-Leucate, aux Carrats (Aude), l'autre à la montagne dans les Pyrénées-Orientales près de Mont-Louis, à La Solaze. Le projet concernait des personnes suivies dans le cadre de mesures de prévention de l'aide sociale à l'enfance. Dans l'optique d'assurer la continuité d'une guidance parentale, les travailleuses familiales encadraient les groupes à deux ou trois.
Au vu des résultats encourageants, celles qu'on appelle désormais les techniciennes de l'intervention sociale et familiale (TISF) ont renouvelé l'expérience cet été, avec d'autres familles. C'est ainsi qu'en juillet, trois groupes - 18 familles dont 42 enfants - sont partis à la montagne ou à la mer. Deux pères participaient aux séjours. Ils ont été accueillis dans des centres de vacances appartenant aux caisses d'allocations familiales (CAF) de l'Hérault et habitués à recevoir des publics en difficulté en plus de leur clientèle ordinaire. Cette opération était d'ailleurs cofinancée par les CAF et le conseil général de l'Hérault dans le cadre de son dispositif de prévention territorialisée moyennant une petite contribution des intéressés (10 % des frais).
« De toute la semaine, les enfants n'ont pas mis les pieds dans la salle de télévision. On a appris aux mères à jouer avec eux. Elles se sont aperçues qu'elles pouvaient être des mamans aimantes malgré leurs difficultés », se réjouit Annie Sanchez, travailleuse familiale, partie deux années de suite en trio avec deux collègues à La Solaze. Venues de Sète et de ses environs, les familles, monoparentales pour la plupart, ont vécu quelques jours de détente et de découverte avec leurs enfants, habitués pour certains à être placés d'ordinaire en famille d'accueil.
L'objectif est d'encourager les mères à s'investir auprès de leurs enfants et d'aider celles qui ne les ont pas constamment à renouer avec eux. « Il s'agissait aussi de voir si elles étaient capables de les assumer pour un éventuel retour à la maison », explique Sylviane Lefèvre, responsable du service de Béziers.
Aux Carrats, on a pu assister à des attitudes extrêmes. Des mères, habituellement privées de leurs enfants, ont voulu s'en occuper en permanence, les empêchant de ce fait de participer aux activités proposées par les animateurs. D'autres, au contraire, rentraient systématiquement après la fermeture de la garderie comptant sur les travailleuses familiales pour aller chercher leurs petits. Celles-ci s'en sont bien gardées : « On ne refuse pas de prendre le relais, à condition qu'elles ne nous mettent pas devant le fait accompli », remarque Jovita Boix. Pour qui il s'agit de faire « avec » et non pas « à la place de ».
Vivant continuellement avec les familles, les accompagnatrices ont pu observer des comportements qui d'habitude leur échappaient et profiter du regard neuf de leurs collègues. Un soir, entendant un bébé pleurer, elles ont constaté que sa mère l'avait laissé seul avec sa sœur de 6 ans. Elles se sont aperçues également qu'une autre, à la tête d'une famille de cinq enfants, était venue avec la ferme intention de se reposer sur elles. Autant de situations qui ont été reprises avec les mères afin de les responsabiliser et les aider à gérer les moments difficiles.
L'un des atouts de ce séjour pour ces femmes isolées dans leur vie quotidienne réside dans la rencontre avec d'autres personnes ayant les mêmes problèmes : elles ont osé parler sans crainte d'être jugées, ont beaucoup échangé, se sont entraidées. Une mère qui vivait mal de ne voir son enfant qu'une fois par mois en présence de la travailleuse familiale a été spontanément encouragée par les autres. Certaines ont reconnu leurs propres difficultés et exprimé le désir d'être soutenues : l'une a admis qu'elle avait besoin d'un suivi psychologique ; une autre, qui appréhendait le placement temporaire de ses enfants, l'a finalement compris comme une aide. Une troisième a accepté une action éducative renforcée à domicile. Dominique Izoird, qui la suivait, avait beaucoup travaillé avec elle la préparation du séjour : « Elle avait pris sur elle pour venir. Deux fois, au moindre mécontentement, elle a voulu repartir ; finalement elle est restée. »
Les travailleuses familiales, qui avaient amené quelques familles dont elles n'étaient pas référentes, se sont rendu compte qu'avec elles les relations étaient plus compliquées. L'expérience montre qu'il est nécessaire de bien connaître les personnes afin d'éviter d'être confrontées à des comportements imprévisibles ou à des problèmes d'alcool. Dans ces cas-là, « il faut les surveiller discrètement et s'arranger pour qu'elles fassent des activités », observe Nadine Lacan.
La présence auprès des familles exige tact et patience, attention permanente, écoute empathique. Tout en sachant garder la bonne distance. Pour calmer une femme qui en vient aux mains avec une vacancière extérieure au groupe ; pour libérer une adolescente de la charge excessive de ses petits frères ; pour freiner sans la vexer une participante voulant diriger les autres ; pour apprendre à ne pas gaspiller la nourriture.
Le départ en village de vacances est décidé avec le feu vert de l'assistante sociale qui suit la famille. Le travail d'équipe est facilité quand les deux professionnelles se connaissent bien. Mais certaines travailleuses familiales ont parfois le sentiment d'être plutôt considérées comme des sous-traitantes. Quand l'une d'elles doit intervenir dans une famille, la procédure prévoit une concertation préalable. L'assistante sociale doit présenter les objectifs du projet à la TISF et l'introduire dans la famille. Mais les choses se font trop souvent dans l'urgence.
Pour ce qui est des séjours de vacances, les TISF aimeraient que les travailleurs sociaux ne se contentent pas des comptes rendus qu'elles ont rédigés. « Nous voudrions que l'assistante sociale ou l'éducatrice vienne prendre la température en passant une journée avec nous », explique Lydie Rovira, venue pour la deuxième fois à Port-Leucate en tandem avec Nadine Lacan. Cette année, elles amenaient des femmes, allocataires de minima sociaux, faisant partie d'un atelier d'insertion de Bédarieux. Parallèlement, un couple hors du dispositif avait tenu à séjourner en même temps pour profiter de la présence rassurante du groupe.
La vie en village familial opère de petits miracles et la valeur de l'exemple est incontestable : des sœurs jouant pour la première fois ensemble sans se disputer ; une femme maquillée par les autres décidant de mieux soigner son apparence ; des enfants découvrant que leur mère sait nager ; des parents s'initiant avec plaisir à la poterie...
Pour ces projets de vacances, l'AMFD obtient un financement global. Ce qui n'est pas le cas lorsque les travailleuses familiales interviennent dans les foyers puisqu'elles sont payées sur la base d'un tarif horaire. D'où l'obligation, chaque fois qu'elles veulent travailler avec des groupes, de solliciter un budget spécifique. L'idéal serait un financement au poste. « Qu'on arrête de nous parler d'heures et de dire qu'on coûte cher, s'insurge Agnès Waulle, directrice de l'AMFD de l'Hérault. Je demande une grille d'évaluation au conseil général pour valoriser notre travail. »
C'est que le métier change. Et cette action autour des vacances en est la parfaite illustration. Si l'intervention des professionnelles s'appuie toujours sur les tâches matérielles de la vie quotidienne, elle s'ouvre de plus en plus à l'approche collective, sociale, éducative et relationnelle. Ce que reconnaît la création du diplôme d'Etat de technicien de l'intervention sociale et familiale, instituant une nouvelle formation mise en application à la rentrée 1999 (2). Les anciennes s'adaptent à cette mutation en se formant en continu. A l'AMFD, elles ont pu approfondir leurs connaissances sur des thèmes comme la médiation dans la relation mère-enfant et l'insertion professionnelle. Sans oublier la pratique de l'écrit. « Elles prennent conscience qu'elles ont besoin de s'approprier l'écrit pour rendre compte de leur travail et que cet acte les valorise », note Anne-Laure Vails, psychologue, responsable du service de Montpellier, qui leur dispense cette formation et, par ailleurs, assure la régulation et la concertation.
Grâce à ces vacances accompagnées, action collective complémentaire de l'intervention à domicile, les familles conquièrent une certaine autonomie. Cette année, sur les cinq parties en 1999 à la montagne, trois y sont retournées ensemble sans encadrement. Entre elles se sont tissés des liens d'amitié et de solidarité qui ne se sont pas distendus dans l'année. Ce qui facilite grandement l'action des professionnelles obtenant d'un coup ce que des mois de travail n'auraient pas forcément acquis. « Une semaine tremplin » comme le souligne l'une d'elles, donnant l'exemple d'une mère qui s'est laissé convaincre par une autre de mettre son enfant au centre aéré alors qu'elle s'y refusait obstinément jusque-là.
« Au retour, elles ont eu une formidable envie de faire des choses », constate Chantal Soulier. L'une ou l'autre a ainsi passé le permis de conduire, repris des démarches pour trouver un emploi, déménagé, participé aux réunions de parents d'élèves, fait du théâtre, pris de l'assurance vis-à-vis d'un conjoint autoritaire, d'un enfant tyrannique... Soit une ouverture sur le monde extérieur qu'a pu accélérer cette semaine pas comme les autres. Françoise Gailliard
Une lettre-circulaire de la CNAF du 11 juin 1999 détermine le cadrage général du projet social des centres familiaux de vacances appartenant aux caisses d'allocations familiales (CAF). Dans ce cadre, un service commun à disposition des CAF et de leurs allocataires, le VACAF, vient d'être créé. Il est géré par la CAF de Montpellier. « L'objectif, explique Olivier Jouen, son coordinateur , est de mettre en relation les partenaires entrant dans le processus d'accompagnement et de financement, de tisser un réseau entre les villages de vacances et les travailleurs sociaux organisant les séjours. Chaque caisse détermine le type d'aide apportée. A Montpellier, nous avons fait le choix de passer par les associations (AMFD, Secours populaire, Relais du Cœur...) pour assurer le suivi des familles. Environ la moitié des CAF a monté des projets. Nous en sommes encore à la phase de mise en place. Un forum est prévu cet automne pour analyser les expériences et adopter une charte. »
(1) AMFD : Parc de la Guirlande - Bât. D2 - 130, impasse Jean-Bruller-dit- « Vercors » - 34000 Montpellier - Tél. 04 67 92 84 01 - AMFD : 57, avenue Jean-Constans - 34500 Béziers - Tél. 04 67 62 18 30.
(2) Voir ASH n° 2136 du 8-10-99.