Recevoir la newsletter

Une évolution prudente mais cohérente

Article réservé aux abonnés

Nommée cet été pour succéder à Pierre Gauthier, Sylviane Leger prend la tête de la nouvelle direction générale de l'action sociale. Chronique d'une réorganisation plus technique que politique.

Simple redistribution des cartes sans grande portée politique, pour les uns ; schéma cohérent susceptible de relégitimer une administration affaiblie, pour les autres... « Ce n'est certes pas une révolution, concédait Pierre Gauthier, ex-directeur de l'action sociale, qui a piloté la réorganisation. Avant de céder son poste, fin juillet, à Sylviane Leger. Néanmoins, cette réforme consolide des mouvements déjà engagés, comme la fusion de la direction de l'action sociale [DAS] et de la délégation interministérielle au RMI [DIRMI]. »Pour lui, cela ne fait pas l'ombre d'un doute : cet organigramme devrait permettre à la nouvelle direction générale de l'action sociale (DGAS) d'opérer« un saut qualitatif important » dans l'animation des politiques sociales. Ce qui est sûr, c'est qu'il y avait urgence à restructurer une administration plus occupée à la gestion de l'action sociale qu'à son pilotage. Là-dessus, tous les hauts fonctionnaires et responsables associatifs interrogés par les ASH -dont la plupart ont préféré garder l'anonymat- sont d'accord.

De nombreux coups de boutoir

A l'image même de l'action sociale, la DAS a souffert de bien des chocs. Après la grande époque des « pionniers », qui a vu se succéder les Bernard Lory et René Lenoir à sa tête, elle a subi les coups de boutoir dus à la décentralisation, puis avec la montée de la précarité, des nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion : RMI, politique de la ville... Contestée dans sa légitimité à intervenir sur le champ devenu éclaté de l'action sociale - certains proposant même de la supprimer -, suspectée d'être « ringarde » dans ses modes d'intervention, sans véritables moyens humains et financiers, la DAS a mangé son pain noir dans les années 80-90. On se souvient des propos très amers de Michel Thierry, lors de son départ, en 1994, de son poste de directeur. « Je quitte une direction un peu déboussolée » avouait-il, évoquant avec émotion « la galère » des fonctionnaires de l'administration centrale ; « la DAS fait des miracles avec des bouts de ficelle ».

Certes, la direction a repris du poil de la bête. De fait, on est revenu d'une conception trop radicale de la décentralisation et les dispositifs transversaux ont, eux aussi, montré leurs limites. Il n'empêche, malgré les efforts de remise en ordre de Pierre Gauthier, cette administration est restée « une petite direction », « un peu rigide et cloisonnée », sans véritable capacité d'arbitrage. Si certains responsables associatifs reconnaissent « la forte capacité de dialogue et d'écoute » de ses fonctionnaires, souvent animés d'un esprit militant, on lui reproche son poids politique insuffisant, face au cabinet du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Notamment, à côté des puissantes direction de la sécurité sociale et délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Le long enlisement du chantier de la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales est, à cet égard, significatif. De même, l'échec de la prestation spécifique dépendance montre bien la difficulté de l'institution à piloter des dossiers lourds. Enfin, les difficultés de la direction à peser auprès du cabinet pour faire agréer l'avenant « cadres » dans la convention collective de 1966 en dit long sur le mal qui la ronge. « On a un peu trop tendance à prendre la DAS comme la voiture-balai pour s'occuper des problèmes laissés en plan par les autres », résume avec amertume un haut fonctionnaire. Preuve de cette image peu attractive : depuis sept ans, la direction n'a pas vu un seul jeune franchir sa porte à la sortie de l'Ecole nationale d'administration.

C'est dire si la réforme était nécessaire. C'était même devenu un serpent de mer, puisque les premières propositions de restructuration avaient été formulées vers 1992 par Michel Thierry, avec l'idée déjà de regrouper la DAS et la DIRMI. Le principe de cette fusion avait été annoncé par le gouvernement en 1996, au moment où Pierre Gauthier ajoutait à sa casquette de DAS, celle de directeur par intérim de la DIRMI. Il aura fallu attendre le processus de réforme de l'administration centrale des affaires sociales et de la santé, enclenché par les rapports Rollet et Vallemont, pour que l'on s'intéresse, enfin, au sort de cette direction.

Une structure classique

Désormais, devenue direction générale de l'action sociale (DGAS), cette administration centrale ne compte plus trois, mais cinq sous-directions. Elle reprend également les attributions auparavant exercées par la direction de la sécurité sociale en matière de revenu minimum d'insertion, d'allocation aux adultes handicapés et d'allocation de parent isolé. La structure est restée classique : « Pas de mini- bureaux, pas d'organigramme en peigne ou en système solaire où graviteraient des objets administratifs mal identifiés », précisait, en début d'année, Pierre Gauthier. Un classicisme parfois interprété comme une marque de timidité... Pour autant, l'augmentation du nombre des sous-directions peut apparaître comme le gage d'une plus grande identification des fonctions et, surtout, la garantie d'une meilleure défense des dossiers : les sous-directeurs ont plus de poids que les chefs de bureau. A condition qu'ils acquièrent une réelle autonomie par rapport à leur direction au fonctionnement actuel très centralisé.

Parmi les principaux bénéficiaires de la réorganisation, le secteur du handicap, dédié à une population dont la DGAS a la responsabilité « du berceau jusqu'à la tombe », selon l'expression d'un haut fonctionnaire. Jusqu'ici géré par un seul bureau, il se voit doté d'une sous-direction à part entière. L'évolution réjouit Paul Boulinier, ancien président de l'Association des paralysés de France, qui la replace dans le droit-fil du programme d'action annoncé par le Premier ministre et de la nomination d'une secrétaire d'Etat aux handicapés.« Tout ceci va dans le sens d'une politique fortement rééquilibrée, mettant en avant le citoyen handicapé, qui demande à être intégré dans tous les domaines », se félicite-t-il. Voilà en tout cas qui devrait aider la DGAS à sortir la politique du handicap des effets d'annonce : en effet, certains plans gouvernementaux antérieurs n'ont pu être mis en œuvre et bon nombre de rapports de l'inspection générale des affaires sociales dorment encore dans les tiroirs, faute pour la direction d'avoir eu les moyens d'en assurer le suivi. Reste néanmoins la question de l'interministérialité et de l'articulation de cette sous-direction avec les autres services de l'emploi, de l'éducation, de l'équipement, des transports...

Redonner souffle à l'insertion

Incontestablement, la création d'une sous-direction dédiée à la lutte contre les exclusions, chargée d'animer les politiques d'insertion en absorbant notamment la DIRMI, et d'impulser une politique cohérente des minima sociaux, apparaît comme une avancée. Il y a urgence, en effet, à redonner du souffle à une DIRMI devenue « moribonde » et réduite peu à peu à une peau de chagrin. Néanmoins, cette sous-direction aura-t-elle le poids politique suffisant pour éviter d'être un simple bureau des prestations ? Surtout, pourra-t-elle s'imposer davantage face aux financeurs, comme la caisse nationale des allocations familiales, l'assurance maladie ou l'Unedic ?

Changement majeur également pour l'action sociale et médico-sociale en direction des personnes âgées. Réunie jusqu'ici avec le handicap, celle-ci rejoint, à côté de l'enfance et de la famille, la sous- direction des âges de la vie. Certains, pourtant, mettent en doute la pertinence de ce découpage. La séparation des secteurs des personnes âgées et du handicap « ne paraît pas aller dans le sens de l'histoire », affirme ainsi Pascal Champvert, président de l'Adehpa.« Mais ce n'est pas dramatique si le rapprochement avec l'enfance-famille permet une réelle dynamique intergénérationnelle et si les deux sous-directions travaillent ensemble. »

C'est surtout le transfert de la gestion des crédits de la partie médicalisée des établissements d'hébergement et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) à la nouvelle direction de l'hospitalisation et de l'organisation de l'offre de soins qui suscite les inquiétudes des associations. Certaines d'entre elles y voient même les prémices de l'intégration, à terme, du secteur médico-social tout entier au sein des agences régionales de l'hospitalisation. Sans aller jusqu'à ce scénario jugé « catastrophe », ce transfert porte pourtant le risque d'« un retour aux mouroirs », s'alarme Jean-Paul Peneau, directeur général de la FNARS. « La culture hospitalière n'est pas la culture de projet de vie et d'accompagnement des personnes », avertissent certains responsables de l'Uriopss Ile-de-France. Et beaucoup s'interrogent sur la possibilité, dans ces conditions, de conduire une politique gérontologique globale.

Argument fallacieux, rétorquent plusieurs hauts fonctionnaires : la cohérence est déjà entamée par la disparité, de fait, des crédits - sanitaires, départementaux, municipaux - destinés à l'action sociale et médico-sociale en direction du troisième âge. Au contraire, ils estiment cohérent de rapatrier les crédits de l'assurance maladie dans les mains de l'autorité qui gère l'enveloppe sanitaire globale.« Les hôpitaux sont pleins de personnes âgées qui n'ont rien à y faire. Que la gestion de l'hôpital, de la partie médicalisation des maisons de retraite et des SSIAD soit aux mains d'une même entité, c'est la garantie d'une réponse médicale de bonne qualité pour les personnes âgées », explique un ancien conseiller technique du ministère des Affaires sociales. Mais la question est peut-être ailleurs. « Peu importe qui gère le sous-ONDAM personnes âgées,tranche Pascal Champvert, les vraies questions sont :quelle politique, avec quels moyens et quels résultats ? »

Moins sujette à débats passionnés, la création d'une sous-direction de l'animation territoriale et du travail social suscite malgré tout des interrogations. Personne, bien évidemment, ne conteste la nécessité de décloisonner localement les politiques d'action sociale et de faire remonter les besoins locaux. Mais s'il est souhaitable, ce changement culturel passe-t-il par la création d'une sous-direction ad hoc ? Oui,  si elle exerce réellement une fonction d'étude et de synthèse sur le terrain, défendent certains. Alors que d'autres, notamment des responsables associatifs, craignent que cet interlocuteur supplémentaire n'alourdissent les circuits de négociation.

Quel pôle social ?

Quoi qu'il en soit, pour plusieurs responsables, l'organigramme ne va pas assez loin. Simple réorganisation technique « sans restructuration véritable du pôle social », déplorent ainsi plusieurs hauts fonctionnaires. On peut effectivement s'interroger sur les moyens, pour la DGAS, de s'imposer véritablement dans le champ de l'action sociale quand on maintient à côté d'elle une constellation de petites entités : DIIJ, DIV, DIF, DPM (1). Comment dans ces conditions peut-elle piloter une politique globale de la jeunesse ou de la famille ? Dès 1995, pourtant, plusieurs hypothèses avaient été formulées autour de la création d'un pôle social par la fusion DIV/DIIJ/DIRMI et DAS/DPM ou DAS/DIRMI/DPM. Il est vrai que de telles réorganisations supposaient de profonds bouleversements et une réelle volonté politique. A cet égard, le maintien de l'action sociale aux migrants sous la compétence de la DPM, illustre bien, selon certains, « la frilosité » du gouvernement.

Finalement, la question de fond, c'est de savoir si un projet plus ambitieux avait des chances d'aboutir, dans un contexte politique fragilisé encore par les échéances électorales. En ce sens, le nouvel organigramme a le mérite de dépoussiérer une direction qui n'avait pas bougé depuis 1991. Sous réserve bien sûr que les moyens suivent. « Mais ce n'est pas tant le nombre de ses agents qui pose problème que la difficulté de la DGAS à recruter des profils diversifiés : médecins, architectes, sociologues, travailleurs sociaux », nuancent plusieurs de nos interlocuteurs. Lesquels s'accordent sur l'atypisme d'une direction qui « s'occupe de tout en lien avec de nombreux partenaires et n'a pas d'objectifs aussi ciblés que la direction de la sécurité sociale ». Et qui, quoi qu'on fasse, restera, par nature, « difficile à piloter ».

Céline Gargoly et Isabelle Sarazin

Notes

(1) Délégation interministérielle à l'insertion des jeunes (DIIJ), délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain (DIV), délégation interministérielle à la famille (DIF), direction de la population et des migrations (DPM).

LES POLITIQUES SOCIALES

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur