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Mettre en synergie les acteurs de la cité

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Depuis plusieurs années, au Havre, le service de prévention spécialisée de l'AHAPS monte des opérations en collaboration avec les représentants des services publics et les parents. Objectif : apporter ensemble une réponse préventive aux violences et incivilités de jeunes de deux cités sensibles.

« Pour les éducateurs de mon équipe, c'est important de voir qu'ils ne sont pas tout seuls, qu'ils peuvent travailler avec des partenaires comme des représentants de l'Education nationale, des transports ou du SAMU. De constater que, devant les mômes, on peut tenir, ensemble, un discours un peu cohérent par rapport à la loi. » Sans faire de triomphalisme excessif, Ludwig Fuchs, l'un des deux chefs du service de prévention spécialisée de l'Association havraise d'action et de promotion sociale (AHAPS)   (1), résume un des résultats les plus probants obtenus à la suite des dispositifs quelque peu inhabituels mis en œuvre, depuis plusieurs années, dans les quartiers du Bois-de-Bléville et de la Mare-Rouge. Deux cités difficiles du Havre, hébergeant plus de 10 000 habitants. Avec un taux de chômage élevé, une proportion importante de familles monoparentales, une part croissante de la population jeune, celles-ci constituaient la plus grande zone d'éducation prioritaire de France jusqu'à l'an dernier... Aussi face aux problèmes que cumulent ces quartiers et à la montée des violences urbaines et autres incivilités, les quatre éducateurs de l'AHAPS ont-ils développé, depuis dix ans, un travail de prévention impliquant les représentants des services publics de la ville.

Des séances de sport d'opposition

A partir des actions d'insertion par le sport développées par le club omnisports de la Mare-Rouge, l'équipe de Ludwig Fuchs a décidé d'associer, dès 1990, certains professeurs d'éducation physique et sportive  (EPS) du collège Jean-Moulin aux séances de sport d'opposition. « Lors de mon arrivée dans le collège, voici 12 ans, la violence était bien réelle, le racket existait et les bagarres étaient fréquentes, se souvient Alain Vassor, principal du collège. J'ai donc prôné une politique d'ouverture en travaillant notamment avec l'AHAPS, persuadé que tout problème dans le quartier se ressentait au collège. »

Sept classes, parmi les plus dures, participent chaque année à des séances de boxe française, encadrées par un éducateur de l'association. « L'idée, poursuit Alain Vassor, c'était de faire prendre conscience aux élèves qu'il existe des règles, un arbitre et de leur apprendre à se maîtriser. » Mais l'originalité de cette action tient surtout à la participation des professeurs aux séances. « Il est important que le professeur d'EPS vienne ici au même titre que l'élève et prenne part aux échanges de boxe. De cette façon, il peut voir ses élèves autrement, réaliser que certains jeunes très turbulents dans ses cours se trouvent valorisés dans une activité qui sort du cadre traditionnel de l'école », souligne Allahoui Guenni, éducateur au service de prévention spécialisée et initiateur du projet.

En 1996, sur la lancée de cette première expérience, l'équipe ouvre ces séances de sport d'opposition au personnel de plusieurs services publics havrais. Pour de nombreux jeunes des deux cités, les agents des transports, du SAMU, les pompiers, les agents de l'EDF et les postiers représentent non seulement l'autorité, mais aussi une catégorie de « nantis » bénéficiant de la sécurité de l'emploi, d'un logement, etc. Aussi, certains services publics cherchent-ils, à travers l'action menée par l'AHAPS, une nouvelle réponse aux actes d'incivilité, voire d'agression. Sans rien changer au dispositif, les éducateurs tentent alors d'établir une communication directe entre les élèves résidant au Bois-de-Bléville et à la Mare-Rouge et les représentants des services publics.

Des débats autour du ring

Après la rencontre de boxe française organisée entre le jeune et l'adulte, encadrée par l'éducateur, un débat d'une vingtaine de minutes s'engage entre les adolescents et l'agent de service public. « Au départ, ce sont souvent des histoires de fraude, et ensuite on en vient à des questions sur la nature du boulot de l'agent, sur le parcours pour devenir contrôleur, etc. On arrive, pour ainsi dire, tout de suite à la citoyenneté », note Allahoui Guenni. A travers ces confrontations, il s'agit avant tout d'établir une communication permettant de dédramatiser des réactions émotionnelles et de donner l'occasion aux jeunes de voir l'individu au-delà de la fonction. Et d'éviter tout amalgame entre la personne et le service qu'il représente.

A ce jour, plus de 700 jeunes et une centaine d'agents ont été accueillis dans ces cycles de sport d'opposition. Bus océane, la compagnie de bus du Havre, cible privilégiée des actes de vandalisme et d'agression, a envoyé à elle seule une quarantaine de conducteurs et de contrôleurs volontaires au club omnisports de la Mare-Rouge. S'il est vrai que les incidents n'ont pas diminué de façon significative, les responsables de la compagnie soulignent que le vrai bénéfice est ailleurs : « A travers ces rencontres, nos agents ont pris conscience que d'autres relations pouvaient se nouer avec les jeunes. Ils ont constaté que, rapidement, les jeunes ne voyaient plus le contrôleur, mais Monsieur Untel, puis Pierre et qu'à la fin ils disaient “bonjour Pierre”. Aujourd'hui, ils ont compris que lorsqu'on jette des cailloux sur un bus, ce ne sont pas eux qui sont visés mais l'institution. Et que cette violence ne concerne que quelques éléments », explique Etienne Marchal, directeur adjoint de Bus océane. Résultat, les agents vivent mieux leur métier au quotidien, assure-t-il. Aucun préavis de grève significatif n'a été déposé depuis quatre ans.

Ne pas laisser s'instaurer des stratégies de l'isolement

Mais l'objectif des éducateurs vise également à créer un réseau d'adultes responsables, capables d'avoir un discours commun face aux comportements « transgressifs » des jeunes. « L'intérêt pour certains d'entre eux, c'est de tout parcelliser. Quand ils ont un problème au collège par exemple, de dire : “Je règle ça avec le collège”, en mettant à l'écart, les parents, les éducateurs, etc., explique Ludwig Fuchs . L'avantage de ces partenariats, c'est de complexifier leur vision des choses, de leur faire comprendre qu'ils ne peuvent plus renvoyer les adultes dos à dos. »

C'est également dans l'optique d'empêcher certains adolescents de « diviser pour régner » que le service de prévention a lancé, en 1997, une action auprès des familles de jeunes des deux cités havraises, intitulée « On en parle ». Profitant des contacts établis avec les élèves à travers les cycles de sports d'opposition du club omnisports, les éducateurs se déplacent, tous les mercredis, chez des parents qui ouvrent également leur porte à d'autres familles. Une manière d'instaurer un échange sur les problèmes du quartier et de les sensibiliser à la prévention en abordant des questions comme le racket et la citoyenneté, à travers les thèmes de la responsabilité des parents dans le droit français, la fonction éducative des uns et des autres, etc. « Le moyen d'entrer dans ces familles, c'est toujours le donnant- donnant. On leur propose, par exemple, des sorties à Paris pour faire des achats, on leur apporte des conseils, et, à partir de là, on peut amorcer une discussion », explique Allahoui Guenni. La démarche a été bien comprise, si l'on en croit les éducateurs, qui expliquent que les mères de familles commencent à utiliser elles-mêmes le terme de « prévention ».

Soucieux d'aller toujours plus avant dans cette mise en réseau des principaux acteurs des cités et de développer les échanges, le groupe de Ludwig Fuchs a créé, l'an dernier, les conseils de médiation. Une action qui réunit, cette fois, les enfants, les parents, les professeurs et les représentants des services publics et des institutions, pour aborder, au sein du collège, des thèmes touchant aux problèmes des cités.

Après de courtes scènes jouées par les adolescents, sur des sujets concernant le transport, la santé ou le racket à l'école, un débat s'engage entre les familles et les autres participants, pour se poursuivre de façon plus informelle et détendue autour d'un verre. Cette opération a notamment permis aux éducateurs, comme aux représentants des services publics, de prendre la mesure de l'attente des familles elles-mêmes.

« Le but de ces conseils de médiation, rappelle Alain Vassor, c'était de faire comprendre aux familles, de culture étrangère pour la plupart, qu'elles avaient un rôle à jouer dans l'éducation de leurs enfants. On s'est rendu compte qu'elles sont très demandeuses de ce type d'opération, tout simplement parce qu'elles veulent la réussite de leurs enfants. » Du côté du service de prévention, cette action a également remis en question certains a priori relatifs à l'implication des familles dans les questions de citoyenneté. « Avant ce dispositif, nous pensions que beaucoup de parents avaient démissionné. On s'est aperçu, en fait, qu'une grande partie d'entre eux n'avaient jamais été sollicités. Mais qu'il fallait leur donner la chance d'être responsabilisés », affirme Allahoui Guenni. « Notre idée, notamment dans les actions de médiation, c'était d'intégrer une certaine complexité, le fait qu'il n'y a pas que le travailleur social et son public et qu'on doit mettre en place une synergie avec tous les acteurs concernés pour permettre aux jeunes d'accéder à la citoyenneté, ajoute Philippe Lemeignant, directeur de l'AHAPS. Cette action de médiation est en phase avec l'actualité de ces dernières années, à savoir une dégradation socio- économique de ces quartiers du Havre, qui a pour conséquence un rejet de l'intervention des services extérieurs. Cela demande d'aller prudemment sur le terrain tout en sachant que tout repose sur la bonne volonté de nos partenaires. »

Des réseaux fragiles

De fait, ce travail de partenariat, engagé depuis plusieurs années par les éducateurs, n'a pu se faire que grâce à une patiente implantation des équipes de prévention sur le terrain. Cet ancrage a non seulement permis à l'équipe de gagner la confiance des jeunes, mais aussi de devenir un intermédiaire crédible auprès des divers partenaires.

Il aura fallu néanmoins dépasser certaines difficultés, comme les risques d'empiètement sur d'autres champs d'intervention. « On a dû réfléchir, par exemple, à la manière d'organiser les conseils de médiation à l'initiative des services sociaux, dans la mesure où on ne voulait pas marcher sur les plates-bandes des conseils de quartier mis en place par les élus », note Ludwig Fuchs.

Enfin, ces opérations montées en réseau, selon le coresponsable du service de prévention, ont un caractère informel et les contacts entretenus avec certains partenaires restent fragiles. « Tout cela n'est pas inscrit dans un cadre institutionnel, remarque Ludwig Fuchs. C'est la relation personnelle qui compte et rien n'est donc acquis. Ces réseaux ne sont pas pérennes. Si on ne les alimente pas régulièrement, ça retombe. »

Henri Cormier

Notes

(1)  AHAPS - Service de prévention spécialisée : 13, rue Fontenoy - 76600 Le Havre - Tél. 02 35 53 17 27.

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