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Les femmes précaires peu autonomes dans leur vie sexuelle

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Déficit de contraception et de protection face au sida, désir et plaisir considérés comme illégitimes, rapports parfois violents, tabou entretenu dans la famille, mauvais dialogue avec les gynécologues : tels sont les grands traits de la sexualité des femmes précaires sur lesquelles Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherches au Centre d'études de la vie politique française (Cevipof), a enquêté durant l'année 1999 (1). La religion, facteur déterminant

L'initiative est née à l'issue d'un colloque, tenu en novembre 1997, sur « Femmes et infection VIH en Europe »  : les experts y constataient une augmentation alarmante des cas de sida parmi les femmes. La division sida de la direction générale de la santé a donc demandé au Mouvement français pour le planning familial d'organiser des groupes de paroles de femmes en difficulté de prévention contre les risques sexuels, dans toute la France (2). C'est ce programme qu'a analysé Janine Mossuz-Lavau. Elle a assisté à ces groupes de paroles, dont le but est de livrer des informations (en sept séances de trois heures, sont abordés le corps, la contraception, la prévention contre les MST, la nécessité de consulter un gynécologue, etc.) et d'amener les femmes à témoigner pour briser les tabous et gagner une autonomie dans leur vie sexuelle. La chercheuse a également interrogé environ 500 de ces personnes, lesquelles ont été contactées par les animatrices du Planning familial dans les centres sociaux, les foyers d´hébergement, au Secours populaire, dans les centres d'aide par le travail, les associations de soutien aux personnes prostituées, aux toxicomanes, aux allocataires du RMI, etc.

Les femmes touchées par ce programme sont  âgées de 13 à 64 ans (près de la moitié ont moins de 30 ans). 40,8 %d'entre elles vivent en couple, 40,3 % ne possèdent aucun diplôme (contre 19,6 % de la population féminine vivant en France), elles ont un faible niveau d'activité (18,3 % travaillent) et subissent un fort taux de chômage (56,5 %). Enfin, trait majeur de cette population : 27,2 % des femmes sont musulmanes (on ne dénombre que 7 % de musulmans en France). Cette surreprésentation donne tout son intérêt à cette enquête, compte tenu du peu d'informations dont on disposait jusqu'ici sur leur comportement sexuel.

Or, c'est justement la religion, avant le diplôme et l'âge, qui apparaît comme le facteur le plus déterminant dans le comportement sexuel des femmes précaires. En effet, si ces dernières ont vécu leur premier rapport en moyenne à 18 ans (19 ans pour les Françaises en général), les personnes sans religion l'ont eu à 16,8 ans, les protestantes à 17,9 ans, les catholiques à 18 ans et les musulmanes à 19,6 ans. Le facteur religieux joue également sur le nombre de partenaires : 61,6 % des musulmanes n'en rencontrent qu'un au cours de leur vie, contre 20 % des catholiques et 14,9 % des femmes sans religion. Ce chiffre atteint 42,4 % parmi les protestantes, ce qui s'explique par la forte proportion de gitanes se réclamant de cette confession et se déclarant très attachées à « être vierges avant le mariage ». Les femmes précaires ont des rapports d´autant plus fréquents qu'elles sont jeunes, non diplômées, qu'elles restent au foyer et sont de confession musulmane.

Les moyens contraceptifs sont davantage utilisés par les plus diplômées, qui marquent une nette préférence pour la pilule. Enfin, en matière de protection contre les maladies sexuellement transmissibles, les plus jeunes, les plus diplômées et celles qui travaillent utilisent davantage le préservatif. 27,3 %des catholiques et 21,5 % des femmes sans religion l'ont utilisé lors de leur dernier rapport, contre seulement 9,3 % des musulmanes et 6,3 % des protestantes.

De cette enquête statistique, Janine Mossuz- Lavau retire des enseignements sur la sexualité des femmes musulmanes, du moins celles en situation de pauvreté, peu étudiée jusqu'ici : « Le schéma type est celui de la conservation de la virginité jusqu'au mariage [...], de la fidélité à leur mari qui est, dans bon nombre de cas, le seul homme qu'elles auront connu tout au long de leur vie, de relations sexuelles très fréquentes (parfois imposées), d'une moindre prévention que les autres femmes vivant en France en matière de grossesse, et d'une quasi-absence de prévention pour ce qui concerne le virus HIV ».

Absence d'initiative, de désir, de plaisir « Si la femme demande, on est prise pour des prostituées », explique une participante au groupe de parole pour justifier le fait qu'elle n'a jamais pris l'initiative d'un rapport sexuel : les témoignages abondants et souvent saisissants recueillis par la chercheuse étayent les données chiffrées et révèlent la soumission de ces femmes au désir de l'homme. « La dernière fois, il m'a réveillée à 4 heures, je n'ai pas eu à donner mon avis », témoigne une musulmane. « Dans notre religion [...], on ne peut pas refuser notre mari », affirme une autre. Celles qui tentent de s'opposer le payent parfois au prix fort (« il me bat, il me viole » ) mais la plupart préfèrent « acheter la paix du ménage en satisfaisant le désir du partenaire » même si elles n'éprouvent aucune envie. Peu autonomes, ces femmes racontent par ailleurs leurs difficiles négociations avec leurs partenaires pour utiliser le préservatif. Certaines se plient du coup à la fatalité : « Si c'est écrit dans mon avenir que je vais attraper [le sida] ,qu'est-ce que je peux faire ? », avoue l'une d'elles. 

Quelques-unes n'hésitent pas à parler de leur plaisir, mais la majorité se tait sur le sujet ou avoue ne pas le connaître. Les viols, mais aussi les contraintes culturelles très fortes sur la sexualité, sont souvent la cause d'une souffrance éprouvée pendant les relations sexuelles : ainsi, cette jeune musulmane, culpabilisée d´avoir fait l'amour avant le mariage avoue que depuis, « cela [la] brûle, [elle] peut à peine s'asseoir » après les rapports.

Les groupes de paroles changent les comportements

Les groupes de paroles sont l'occasion pour ces femmes d'avouer leur ignorance sur leur corps et sur la contraception. La cause : l'absence de dialogue au sein des familles- d'où une dramatisation des règles et de la « première fois »  -, mais aussi avec les gynécologues : une jeune fille avoue que son médecin lui ayant prescrit la pilule sans lui expliquer comment la prendre, elle a avalé une plaquette en une seule fois.

Ce programme a-t-il provoqué des changements de comportements ?, s'interroge enfin le rapport. D'après les questionnaires remplis en fin de stage, 35,8 % des femmes considèrent qu'il a changé leur façon de se protéger de la grossesse et du sida. En plus de cette posture nouvelle de vigilance, l'étude note un « changement majeur : la prise de parole ». Après avoir échangé sur leur vie intime dans ces groupes, ces femmes ont abordé la sexualité avec leurs enfants, « ce qui est capital : A travers ces femmes, c'est toute la génération suivante qui est ainsi exposée à des messages de prévention », commente l'auteur.  P.D.

Notes

(1)  Une politique de réduction des risques sexuels pour les femmes en difficulté de prévention - Disp. au Cevipof - Maison des sciences de l'Homme : 54,  bd Raspail - 75006 Paris - Tél. 01 49 54 21 40.

(2)  99 groupes ont fonctionné en 1999 dans 19 départements. 170 groupes devraient être organisés en 2000. Au total, environ 2 500 femmes auront êté touchées par le programme.

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