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Artistes au-delà du handicap mental

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Pour que s'épanouissent les talents cachés des personnes handicapées mentales, le Creahm a ouvert, dans le Vaucluse, des ateliers animés par des artistes locaux. Un projet de CAT artistique devrait permettre à des créateurs travaillant en milieu protégé de vivre pleinement de leur art.

Ils pétrissent la glaise, la lissent, la roulent, la façonnent. Des personnages, des animaux prennent vie sous leurs doigts terreux. Les uns s'inspirent d'un dessin ou d'une photo. D'autres ont leur idée en tête et se débrouillent seuls. « En général, ils ont besoin d'un modèle au départ, explique Véronique, l'animatrice. Libre à eux d'imaginer les variations qui leur plaisent. Le but n'est pas qu'ils copient, l'essentiel est de lancer la machine. » Dans le vaste atelier de peinture-sculpture, ancien local d'une distillerie, ils sont une demi-douzaine, de tous âges, trisomiques pour la plupart, venus de leur institution pour s'initier à l'art de la terre.

« Nous ne sommes pas un centre de loisirs, encore moins une structure occupationnelle, annonce Luc Boulangé, président et fondateur de Création et handicap mental (Creahm). Nous nous identifions à une école des beaux arts ou à un centre culturel ouvert à tous, avec un accueil particulier pour les participants handicapés mentaux. Nous mettons à leur disposition les moyens qui doivent leur permettre, s'ils ont des capacités, de les découvrir et de les exploiter. »

Une aventure née en Belgique

C'est en 1975 que Luc Boulangé, jeune artiste belge, a décidé d'organiser, avec des amis éducateurs, des ateliers de peinture et de sculpture dans un foyer pour déficients mentaux sévères et profonds. Séduit par le résultat, il expose les œuvres les plus réussies dans une galerie. C'est un succès.

En 1979, il fonde, à Liège, l'association Création et handicap mental, afin de permettre aux personnes handicapées mentales de s'exprimer librement par la création dans les disciplines graphiques, plastiques et photographiques et dans les arts du spectacle :théâtre, musique et danse. A cette école, s'est notamment formé le comédien Pascal Duquesne, atteint de trisomie, primé au festival de Cannes en 1998 pour son interprétation dans Le Huitième Jour, aux côtés de Daniel Auteuil.

Vingt ans plus tard, Luc Boulangé inaugure le Creahm Provence International, à L'Isle-sur-la-Sorgue, non loin d'Avignon (1). Un pari osé, effectué avec l'aval du conseil d'administration du Creahm de Liège, qui lui octroie une aide au lancement de 200 000 F sur deux ans. Sa femme, Michèle Duchesne, ancienne chef de service éducatif, est pleinement partie prenante du projet. Ils louent les bâtiments d'une ex-coopérative vinicole de 400 m2 et contactent les artistes de la région en leur proposant d'utiliser gratuitement l'espace pour travailler à leurs propres créations et les mettre en valeur. En contrepartie, ces derniers animeront des ateliers permanents ou des projets artistiques personnels, auxquels participeront des personnes handicapées.

Un collectif d'artistes locaux, « les Hang'arts » (peintres, comédiens, danseurs, musiciens...), s'est constitué il y a un an. Une dizaine d'entre eux s'investit régulièrement dans les ateliers. Beaucoup y ont trouvé leur compte, car ils avaient besoin d'un lieu d'échanges. Certains ont été jusqu'à monter des projets ensemble. Même s'ils étaient un peu inquiets à l'idée de travailler avec des déficients intellectuels, les artistes ont découvert, chez ces publics, l'authenticité, l'imagination et aussi une très grande attente.

De « l'art différencié »

« Il fallait trouver des artistes qui sachent être complices, qui sentent où va la personne et l'accompagnent le plus loin possible. Pas question de déclarer au départ ce qu'ils allaient faire avec elle, sinon c'était de l'art thérapie », explique Luc Boulangé. Le fondateur du Creahm définit en effet les œuvres comme des productions de l' « art différencié ». Hors de propos, pour lui, qu'on leur applique le terme d' « art brut », primitivement réservé aux créations spontanées de malades mentaux en asile psychiatrique, censés échapper à toute influence culturelle. Au contraire, défend- il, l' « art différencié » a besoin, le plus souvent pour naître, d'une stimulation extérieure : un support visuel, des conseils, mais surtout une relation gratifiante. Sensible et passionné, l'animateur va susciter, chez « l'animé », le désir de lui faire plaisir.

Pour accueillir les diverses activités - des arts plastiques et de la scène, voire du cirque avec des disciplines acrobatiques -, plusieurs espaces ont été aménagés. Un grand snack-bar sert de salle d'exposition et reçoit, chaque vendredi soir, un nouveau spectacle, que chacun peut découvrir en dégustant des tapas confectionnées par Michèle Duchesne. Cette dernière anime par ailleurs les ateliers de théâtre et d'approche de la danse et du mime, destinés aux adolescents et adultes ayant des difficultés de motricité et de compréhension.

Le projet du Creahm Provence International est ambitieux : à côté des ateliers hebdomadaires accueillant des personnes handicapées - inscrites individuellement et accompagnées par leur famille, ou venant en groupe avec leurs éducateurs -, le Creahm propose des stages d'initiation et de perfectionnement destinés aux animateurs et aux invalides. Il organise également des séjours de vacances pour tous, alliant création et circuits de découverte. Pour loger les stagiaires, il s'est associé à des gîtes et des centres de vacances. Mais le souhait de Luc Boulangé est de créer une résidence d'artistes. Comme il est impossible de construire des bâtiments supplémentaires sur le terrain à vocation agricole, il faudra trouver un autre lieu. D'autant que l'idée d'ouvrir un centre d'aide par le travail (CAT) artistique a fait son chemin. En France, de telles structures se comptent sur les doigts de la main. Et leur vocation est plutôt théâtrale et musicale, alors que le nouvel établissement se veut pluridisciplinaire.

Une démarche professionnelle

« Ce sera une structure pilote, précise Luc Boulangé. Une vingtaine d'artistes handicapés mentaux y travailleront dans toutes les disciplines. L'idée est de professionnaliser des activités artistiques de qualité : spectacles, expositions, disques... Il ne faut pas confondre ces prestations, avec des spectacles comme on en montre souvent dans les établissements, dont le but est de faire jouer tout le monde et de faire plaisir aux parents :leur valeur affective n'est pas forcément esthétique. De même qu'il est légitime d'offrir aux jeunes et aux adultes handicapés mentaux le loisir de pratiquer la peinture ou la sculpture, toutes leurs productions ne méritent pas d'être exposées. L'erreur, le danger, est de les proposer à l'extérieur de l'institution. Dès que son œuvre entre dans le circuit ordinaire, l'artiste handicapé, comme n'importe quel créateur, est soumis à la critique. Notre objectif vise à provoquer la création et proposer la diffusion des œuvres, donc la reconnaissance de l'individu par sa production. Le caractère professionnel de ces activités, même si celles-ci favorisent des évolutions remarquables sur le plan personnel, les différencie d'une démarche d'art thérapie. »

Le 4 mai 2000, le Creahm invitait des responsables et intervenants de CAT artistiques à une journée d'échanges destinée à les éclairer sur leurs pratiques. L'expérience menée dans ces établissements montre que certaines personnes, sans aucun exercice artistique préalable, révèlent des dons au cours de la période d'essai de six mois. La compagnie théâtrale du CAT l'Oiseau-mouche, à Roubaix, accueille ainsi des travailleurs handicapés d'autres centres qui souhaitent faire un test tout en ayant l'assurance de retrouver leur place dans leur établissement d'origine si la démarche n'est pas concluante.

Pour ceux qui font leurs preuves, monter sur les planches, partir en tournée, séjourner à l'hôtel, voir du monde... tout cela concourt nécessairement à une meilleure intégration. Il n'en reste pas moins qu'on se situe dans le cadre d'un travail protégé et accompagné par des professionnels sociaux. Le projet du Creahm prévoit, outre la présence d'un chef de service éducatif, d'engager un éducateur spécialisé à plein temps et un psychologue à tiers temps. 12 candidats handicapés se sont déjà manifestés, dont cinq fréquentent les ateliers du Creahm. Des parents habitant des départements éloignés sont même prêts à déménager pour se fixer dans le Vaucluse. Un hébergement est prévu pour une dizaine de résidents.

La direction départementale des affaires sanitaires et sociales a émis un avis favorable. Le dossier passera en comité régional de l'organisation sanitaire et sociale dans les six prochains mois et l'ouverture de ce CAT à la prise en charge novatrice pourrait avoir lieu en septembre 2001.

Pour les spectacles, l'idée est de travailler en co-production avec des troupes extérieures, en vue d'élargir le cercle de diffusion. Le CAT pourra également « détacher » des artistes au sein de compagnies du milieu valide qui les formeront et pourraient, par la suite, les engager. Au-delà de l'intégration, l'intérêt de mélanger les acteurs est d'offrir au public une représentation où le handicap, sans être nié, ne prête pas le flanc au voyeurisme.

Une affaire de subjectivité

Dans le champ des arts plastiques, le problème est celui de l'évaluation. Le choix des œuvres à exposer est une affaire de subjectivité. Quant à leur vente, le produit devrait revenir au CAT qui le réinvestira, comme c'est le cas pour les recettes de spectacles.

La situation est différente pour un artiste handicapé qui ne travaille pas dans le cadre d'un CAT. Dans ce cas, la règle adoptée en la matière est celle des trois tiers : 33 % pour l'artiste, 33 %pour l'atelier, 33 % pour l'exposant, le Creahm pouvant cumuler ces deux derniers rôles. Il propose alors d'avoir l'exclusivité de la diffusion des œuvres pendant deux ans pour éviter leur exploitation par des galeries peu scrupuleuses.

Mais les ressources provenant de la vente ne risquent-elles pas de faire perdre à l'artiste autonome le bénéfice de l'allocation adulte handicapé ? Cette question n'est pas vraiment résolue. La création pose le problème du statut de l'artiste handicapé. « Si l'on va jusqu'au bout du raisonnement, conclut Luc Boulangé, il faut admettre que, au-delà d'un certain montant, l'artiste, rémunéré pour son œuvre, perde ses allocations. »

Quel que soit leur degré de participation au Creahm, les artistes handicapés sont intégrés de facto dans un espace d'échanges permanents avec le monde valide. Au programme des manifestations de l'été : participation au festival off d'Avignon, expositions mixtes, représentations diverses. Et rencontre internationale à l'Isle- sur-la-Sorgue, sur le thème de l'eau, où des groupes d'artistes réaliseront des créations flottantes pour animer la rivière.

Françoise Gailliard

UN BUDGET ÉQUILIBRÉ

Le Creahm tourne actuellement avec, outre les artistes bénévoles, six stagiaires du développement culturel et social et du tourisme et quatre emplois aidés : deux emplois-jeunes, deux emplois consolidés, trois d'entre eux bénéficiant d'un complément Agefiph (fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés). Le Creahm Provence arrive à équilibrer son budget grâce à l'aide du Creahm Liège (200 000 F), aux recettes du bistro, des ateliers et des stages. Par ailleurs, la municipalité de L'Isle-sur-la-Sorgue lui a alloué 80 000 F. Il attend environ 40 000 F du conseil général du Vaucluse, ainsi qu'une subvention de la direction régionale des affaires culturelles PACA et une de l'Europe. Il compte également sur les prochains bénéfices du futur CAT artistique.

Notes

(1)  Creahm Provence : 1, quartier des Joncquiers - 84800 L'Isle-sur-la-Sorgue - Tél. 04 90 38 59 40 - www.citeweb.net-creahm.provence.

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