Comment réagissez-vous aux critiques sur les prisons, médiatisées depuis le livre du docteur Vasseur qui dénonçait les conditions de vie à la prison de la Santé (3) ?
- Nous avons apporté notre soutien au docteur Vasseur et nous trouvons très positif que des députés viennent constater ce qui se passe dans les prisons. Cela dit, les travailleurs sociaux réagissent plus ou moins bien à cette médiatisation, car cela fait longtemps que certains d'entre eux tentent de faire savoir ce qui s'y déroule, mais sans succès. Leur liberté d'expression est limitée par leur obligation de réserve et par le fait que ceux qui ont osé signaler des mauvais traitements se sont vu empêcher de travailler correctement par la suite. Il existe une grande solidarité au sein de l'administration pénitentiaire, qui freine la divulgation des informations. Par exemple, lorsque la prison de Dijon a brûlé il y a quelques années à la suite d'une mutinerie, une centaine de détenus ont été transférés de façon musclée à Villefranche-sur-Saône : les hommes y sont arrivés en haillons, couverts de bleus. Les travailleurs sociaux ont eu peur de témoigner, même sous couvert syndical ou au travers de l'Observatoire international des prisons. Le Snepap a proposé aux détenus de porter plainte, mais ils ont, eux aussi, refusé. Enfin, le syndicat a dénoncé l'affaire à l'administration, sans résultat.
Cette médiatisation a-t-elle déjà des conséquences sur votre travail au quotidien ?
- Pas pour l'instant. Toutefois nous espérons que le rapport parlementaire sera suivi d'effet. D'ailleurs, le Snepap regrette de ne pas avoir été reçu par les députés (pas plus que les autres syndicats), comme il l'avait demandé. Mais le personnel de surveillance et l'administration pénitentiaire n'ont pas envie que le monde extérieur vienne trop voir ce qui se passe dans les prisons. Ils perçoivent cette intrusion comme une remise en cause de leur travail. Les travailleurs sociaux se sentent moins gênés par le regard extérieur, parce qu'ils ont un autre contact avec la réalité quotidienne : ils ne font « que passer » dans les cellules. Malgré tout ils ont le temps de constater le laisser-aller dans le respect du règlement intérieur (se laver, faire son lit...), la vétusté, la mauvaise santé des détenus, les viols, les trafics d'influence, le règne du caïdat. Désormais, ils se sentent sans doute un peu plus libres de parler, mais la chape de plomb pèse toujours, il reste très difficile de dire les choses dans cette institution. En fait, c'est regrettable, mais seule la pression de l'opinion publique peut faire avancer le ministère et l'administration.
La réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation a été lancée en avril 1999 (4). Comment se déroule-t-elle ?
- Sa mise en place est difficile. Elle se heurte à la résistance des juges et des directeurs d'établissements, qui se plaignent de perdre le contrôle sur les éducateurs et les assistantes sociales. Nous manquons par ailleurs de moyens en personnels. Et puis cette réforme, en rapprochant les services en milieux fermé et ouvert, implique un bouleversement des méthodes de travail : les travailleurs sociaux doivent créer des passerelles avec l'extérieur, développer les enquêtes sociales préalables à une mise sous contrôle judiciaire pour les courtes peines. Et surtout, gérer le « temps d'arrêt », dès l'entrée du détenu, pour le rendre le moins désocialisant possible, le mettre à profit pour reprendre une formation, par exemple. Bref, cette réforme sera une révolution, car elle donnera plus d'autonomie aux travailleurs sociaux et permettra de mieux accompagner les individus, de leur donner plus de chances de revenir à la vie extérieure avec le moins de risque de récidive. Mais elle ne sera effective qu'à partir de 2002.
Propos recueillis par Paule Dandoy
(1) Voir ce numéro.
(2) Snepap : 25/27, rue de la Fontaine-au-Roi - 75011 Paris - Tél. 01 40 21 76 60 - Syndicat majoritaire chez les travailleurs sociaux de l'administration pénitentiaire.
(3) Voir ASH n° 2150 du 21-01-00.
(4) Voir ASH n° 2115 du 16-04-99 et.