Recevoir la newsletter

Les mutations du travail social

Article réservé aux abonnés

  Lancé il y a quatre ans à l'initiative de la mission Recherche du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, le programme de recherche sur l'intervention sociale est arrivé à son terme. Très attendu, cet ouvrage présente les principaux résultats de ce vaste chantier qui a mobilisé presque 6 millions de francs de crédits, huit institutions centrales et sept équipes de recherche sur sept départements. L'objectif était pour le moins ambitieux : il s'agissait d'observer les évolutions des emplois et qualifications d'un champ professionnel en mutation et de proposer de nouvelles typologies visant à renouveler un appareil statistique devenu quelque peu obsolète. Autrement dit, d'y voir un peu plus clair dans cet univers devenu flou du travail social. Qu'on ne s'attende pas pour autant à trouver, dans cette publication, la « synthèse » (était-ce d'ailleurs possible ?) des résultats d'une recherche collective, fondée sur une large autonomie des équipes et où les échanges ont été nombreux. Au contraire, le parti pris a été de croiser les points de vue des chercheurs et leurs interprétations - parfois divergentes - afin de restituer la richesse des observations de terrain. Option qui rend peut-être la lecture moins simple, mais a le mérite d'offrir une photographie nuancée et kaléïdoscopique. L'erreur serait donc de vouloir considérer cet ouvrage comme le énième rapport sur le secteur. Il s'agit avant tout d'un travail de recherche, solide et argumenté, aux entrées multiples, sur les évolutions du travail social. Et qui restera sans doute, au vu de la masse des informations recueillies, un document de référence. Du diplôme à la compétence individuelle

Au travers des différentes contributions, à quoi ressemble finalement le champ de l'intervention sociale ?Incontestablement, cette dernière est venue bousculer les logiques à l'œuvre dans le travail social. Ainsi, on constate aujourd'hui une disjonction radicale entre la certification initiale et les missions des professionnels. Alors qu'auparavant le diplôme était supposé dire tout de la fonction, aujourd'hui les appellations de poste - plus de 200 dénominations différentes recensées par les équipes - sont déconnectées de celui-ci. Bon nombre d'employeurs privilégient les compétences individuelles pour gérer les ressources humaines et ne se sentent plus liés par les grands cadres d'emplois traditionnels. A cela s'ajoute une transformation de l'architecture des qualifications. Le noyau dur des métiers « canoniques » de niveau III (assistants sociaux, éducateurs spécialisés...) qui en constituait l'essentiel, est débordé à sa base par le développement des niveaux IV, V et VI et l'arrivée de personnes aux profils variés (administratifs à qui l'on reconnaît une compétence sociale, emplois-jeunes, CES...). Tandis que le haut de la pyramide (niveaux II et I) s'ouvre à des personnes extérieures au travail social : cadres d'administration territoriale, spécialistes en insertion, etc. D'où un ensemble, globalement en expansion numérique, plus mobile et plus ouvert sur l'extérieur. Parmi les faits majeurs, la montée en puissance des professionnels de niveau V et VI, liée au développement des métiers du domicile et de « présence sociale » visant la proximité et l'écoute immédiate (auxiliaires sociaux, correspondants de quartier...) et souvent peu qualifiés. Quant au noyau dur, il n'est pas non plus épargné par ces évolutions puisque l'on assiste, d'une part, à un effritement des frontières entre les métiers traditionnels et, d'autre part, à la remise en cause, par une nouvelle division du travail, du modèle quasi libéral du travail social qui avait prévalu jusqu'ici.

La recherche bat donc en brèche l'idée d'un noyau dur de professionnels menacés par les « nouveaux » intervenants sociaux. C'est bien l'ensemble du champ qui se recompose. Faut-il y voir un danger pour le travail social ? Si l'on peut noter des mouvements de déqualification dans certains secteurs, le danger viendrait peut-être plus d'une « déprofessionnalisation ». En effet, partout, les logiques professionnelles (fondées sur des normes et des valeurs partagées) tendent à céder la place aux logiques institutionnelles. De plus en plus, les intervenants sociaux sont soumis aux orientations de leurs employeurs et à des injonctions hiérarchiques et de contrôle. Pas question néanmoins de voir dans tous ces changements (affaiblissement des monopoles, irruption d'outsiders, transformation des conditions de travail...), le signe de la mort du travail social. Ce dernier « se métamorphose », défend plutôt, Michel Autès. Et celui-ci de noter que « la dimension subjective et langagière » propre au travail social irrigue désormais tout le champ de l'intervention sociale. De fait, le travail social serait loin d'avoir épuisé « ses facultés d'organisation et de polarisation du champ social ». En effet, la place des professionnels classiques reste prééminente dans les emplois de l'intervention sociale tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Ils occupent d'ailleurs souvent les nouveaux postes. De plus, ils bénéficient toujours de conditions d'exercice plutôt favorables avec une certaine sécurité d'emploi et de statuts et cadres d'emplois relativement stables. Autant d'arguments qui empêchent à l'heure actuelle de remplacer la notion de travail social par celle d'intervention sociale, concept retenu au départ pour de strictes raisons méthodologiques, défend Jean-Noël Chopart, coordinateur du programme.

De la recherche au politique

Au-delà d'une réhabilitation du terme même de travail social, cette recherche présente plusieurs intérêts. D'abord, elle consacre le travail social, auquel le champ académique accorde plutôt une place secondaire, comme objet légitime de recherche. Et participe à la reconnaissance de ce secteur professionnel. Ensuite, elle bouscule profondément les représentations des acteurs et interpelle directement le politique. La direction de l'action sociale (DAS) va-t-elle continuer à raisonner à partir des 13 métiers qu'elle a sous sa tutelle ? Ou va-t-elle étendre ses outils de régulation à l'ensemble du champ ? Par ailleurs, comment adapter la politique de formation aux nouveaux besoins ? Enfin, les employeurs et les groupes professionnels sont-ils prêts à débattre de systèmes de correspondance permettant d'assurer aux intervenants des mobilités horizontales ? La DAS a indiqué son intention de livrer «  sa lecture » des résultats du programme, lors de journées de restitution à l'automne. Et en septembre, l'association CQFD (C'est la qualification qu'il faut développer) organise un colloque sur la formation pour en débattre. Les chercheurs ont fourni la matière première. A l'ensemble des acteurs (pouvoirs publics, employeurs, professionnels) de s'en saisir. Sous peine à nouveau de manquer le train qui passe.  Isabelle Sarazin

Les mutations du travail social - Sous la direction de Jean-Noël Chopart - Ed. Dunod - 170 F.

Lectures du Mois

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur