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Un refuge adapté aux mineurs isolés

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Depuis 1999, France terre d'asile accueille des mineurs isolés demandeurs d'asile dans un centre spécialisé, unique en son genre. Durant leur séjour, les réfugiés bénéficient d'une prise en charge globale et d'un suivi socio-juridique. Peu à peu, ils reconstruisent là un projet de vie.

« Des survivants. Ce sont tous des survivants ! », martèle Mathieu Oudin, coordinateur social et juridique du centre d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés demandeurs d'asile (Caomida) géré par l'association France terre d'asile (1). Avant d'échouer dans cet ancien hôtel Climat de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne), ces adolescents ont, en effet, tous connu l'enfer. Fils de militants politiques, certains ont pris la fuite après l'arrestation ou l'assassinat de leurs parents. Parfois capturés, ils ont été torturés, violés. D'autres, niés dans leur identité, ont été persécutés pour motif ethnique, sont réchappés de génocides. Se sont ensuivis une longue errance, les camps, les bombardements, puis la terrible déchirure d'avec la famille. D'autres encore ont fui la guerre, les conflits civils ou l'embrigadement forcé. Tous, en tout cas, ont dû apprendre à rester en vie. Et aujourd'hui culpabilisent d'être les seuls.

Une structure sécurisante

D'Angola, de Sierra Leone, du Rwanda, du Kosovo..., ce n'est que depuis septembre 1999 que ces jeunes peuvent trouver refuge en France dans une structure adaptée à leur âge et à leur spécificité. « Longtemps, rappelle Pierre Henry, directeur de France terre d'asile, nous les avons reçus dans notre centre pour adultes de Créteil. Dans la plus totale illégalité, mais au vu et au su des pouvoirs publics. » En 1997, renonçant à pallier les carences de l'Etat, notamment au regard des engagements internationaux, Pierre Henry décide de refuser les mineurs isolés, et tire la sonnette d'alarme (2). Finalement, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité opte pour la création d'établissements spécialisés. Aujourd'hui, il finance le centre de Boissy, qui accueille, pour 6 à 12 mois, 30 demandeurs d'asile, âgés de 13 à 17 ans. Missions : leur procurer la protection qui leur est due ainsi qu'un accompagnement scolaire, médical, psychologique et juridique ; leur permettre de demander le statut de réfugié ; enfin, définir une orientation adaptée. Il s'agit, résume Pierre Henry, « de faire imaginer un futur à ces adolescents dont l'enfance a été massacrée ».

La phase d'accueil est un moment clé de la prise en charge des réfugiés. « Nous visons la sécurisation, explique Dominique Bordin, responsable du centre. Ici, on les laisse souffler. On ne leur demande pas d'emblée de raconter leur histoire. » Le groupe lui- même a un effet rassurant, par la communauté de situations. « Rapidement, on les voit se métamorphoser », ajoute Mathieu Oudin. Les francophones de moins de 16 ans sont scolarisés dans le collège de secteur. Pour les autres, France terre d'asile a obtenu la création d'une classe non francophone réservée en priorité à ses hôtes. « Notre but était qu'ils soient vite confrontés à un cadre normal et qu'ils rencontrent d'autres jeunes », explique Dominique Bordin. Cette volonté d'ouverture est bien ancrée dans la démarche du Caomida. Ainsi les activités extérieures sont-elles encouragées. Quant au scolaire, la réussite semble au rendez-vous. Les résultats sont très bons ; et les enseignants, malgré leurs réticences initiales, satisfaits de ces jeunes très motivés. Un enthousiasme que ne renient pas les entreprises où les plus de 16 ans effectuent des stages. Mais pour eux, la situation se révèle plus complexe. En attente du statut de réfugié, ils ne sont pas autorisés à travailler. Aussi se voient-ils fermer l'accès au dispositif d'insertion des 16-25 ans. Pour contourner cette interdiction, l'équipe recourt aux stages d'insertion de l'Education nationale et la plupart intègrent des classes de cycle d'insertion professionnelle par l'alternance (Cippa). Mais que se passera-t-il ensuite pour ceux à qui l'on propose déjà des contrats d'apprentissage ?

Socialisation et citoyenneté

Outre l'accompagnement scolaire, la recherche de stages, le suivi sanitaire..., l'équipe - une douzaine de personnes, dont quatre éducateurs et deux cadres socio-éducatifs - doit aussi assurer le quotidien, tant collectif que relationnel. Cela... 7 jours sur 7. « Au mieux, on est deux pour gérer le groupe », déplore Sarah Basset, éducatrice spécialisée. Lors de réunions de maisonnée, les règles de vie sont discutées. Le point faible reste le collectif. Ainsi, pour Elise Blot, éducatrice stagiaire, « un réel travail est accompli avec chaque gamin, mais au niveau des temps collectifs, tels les repas, il reste beaucoup à faire car ces adolescents sont très inscrits dans l'individualisme ». Pour leur apprendre à vivre en collectivité et à s'intégrer à la société française, l'accent est mis sur la citoyenneté. « On s'attache à leur faire comprendre ce qu'est le droit en France, ce qui leur est dû, mais aussi leurs devoirs. On essaie de se poser en espace démocratique, où les choses passent par la parole, non par la violence », souligne Dominique Bordin. Des élections de délégués ont d'ailleurs été organisées.

Reconstituer le puzzle

Beaucoup nourrissent des sentiments ambivalents vis-à-vis des adultes, à qui ils reprochent leur abandon, leur trahison. Un gros travail d'écoute et de dialogue s'impose donc. « On reste prêts à entendre, témoigne Frédéric Rombaut, éducateur spécialisé. C'est souvent vers 23 heures, quand on doit partir, qu'ils ont envie de parler... » Pour aider les intervenants à gérer les difficultés relationnelles et à départager ce qui relève du traumatisme des persécutions, de l'exil, des deuils qui n'ont pu être faits... de ce qui tient au culturel, à la structure de l'individu ou à l'adolescence, une psychologue consacre une partie de son tiers temps à l'équipe. Le reste, elle le réserve aux réfugiés. Au quotidien, les somatisations sont fréquentes : maux de ventre, de tête, angoisses, cauchemars... « Il faut des bilans sanguins, des radios... pour les convaincre qu'ils n'ont rien », témoigne Sarah Basset. Certains connaissent aussi des phases de désinvestissement, voire de déprime. Ils tendent alors à s'en remettre aux adultes, à baisser les bras. Une attitude que Dominique Bordin veille à combattre, car « elle les enfermerait dans une position de victime. Or, ils ont encore une bataille à mener, pour leur intégration, leur réussite, mais aussi leurs papiers. »

Droit d'asile et social sont intimement liés. Aussi, un premier travail consiste-t-il à rétablir l'identité du jeune et à obtenir l'accès à ses réseaux familiaux ou communautaires. Autrement dit à gagner sa confiance. Une confiance d'autant plus incontournable qu'ensuite, il faudra, pour déposer la demande de statut de réfugié à l'Office français de protection pour les réfugiés et apatrides (OFPRA), recueillir le récit de l'adolescent en l'aidant à sortir du ressenti, de l'émotionnel, puis le traduire en termes juridiques. « C'est un vrai travail sur le temps. C'est comme un puzzle à reconstruire, explique Mathieu Oudin. Pour certains, des pièces manqueront.  » Tantôt il s'agit de reconstituer l'histoire des parents, tantôt de rechercher les trajectoires parcourues en s'appuyant sur cartes et photos, tantôt de déceler sur les mains, les bras d'un jeune les traces de tortures qu'il dissimule. A l'OFPRA, un effort semble effectué pour les mineurs. « On admet des pertes de mémoire. On tient compte du traumatisme, de la subjectivité », souligne Mathieu Oudin. Les dossiers ne pouvant être instruits sans représentant légal, il faut également entamer les démarches de tutelle. Enfin, pour les réfugiés qui sortiraient du cadre strict des conventions de Genève, d'autres voies (asile territorial, régularisation) seront à privilégier.

Aujourd'hui, l'équipe commence à recueillir les fruits de son investissement : les premiers statuts tombent, et des jeunes vont envisager l'avenir plus sereinement. Si le bilan se révèle positif, cela n'a pas été sans mal. « Ouvrir ce centre, innovant, a été un tour de force. Il a fallu jongler avec les réglementations. Rien ne nous a été épargné », rappelle Dominique Bordin. Pour Pierre Henry, l'initiative est d'ores et déjà transférable, et doit être étendue. « En matière de protection de l'enfance, nous avons apporté notre pierre à l'édifice. Nous avons travaillé sur l'urgence mais pour des dizaines d'années », assure-t-il. France terre d'asile se tient donc prête à transmettre son savoir- faire à des opérateurs compétents. Certaines procédures, au stade expérimental, restent néanmoins à améliorer. « Nous devons affiner notre technique de prise en charge éducative et nos outils d'évaluation », estime Dominique Bordin, pour qui il conviendrait de diversifier les réponses. Très profitable à certains jeunes, la structure collective l'est moins à d'autres. Pourquoi ne pas créer un réseau de familles d'accueil ?s'interroge-t-il. « Ici, ce n'est pas encore la France ni la vie normale. Notre intervention doit évoluer dans le temps, pour ne pas freiner l'évolution de certains. »

Le travail mené avec les divers acteurs de la protection de l'enfance « qui s'ignoraient copieusement », selon Pierre Henry, est en tout cas à ranger du côté des victoires. Victimes d'un jeu pervers de renvoi de compétences, les mineurs se retrouvaient, en effet, souvent écartés du droit commun. Avec l'aide sociale à l'enfance (ASE) d'une dizaine de départements, un partenariat portant a ainsi été mis en place, via des contrats d'accueil, sur les admissions des jeunes - aucune ne s'effectue en direct -et sur la constitution des voies de sortie. Une convention a, en outre, été passée avec l'aide sociale à l'enfance de la Seine-Saint-Denis - où du fait de la présence de l'aéroport de Roissy sont prononcées maintes ordonnances de placement provisoire -, afin d'accélérer le traitement des dossiers. La question de l'orientation des premiers arrivés commence à se poser et l'équipe monte un vaste réseau partenarial afin de personnaliser les réponses. Ainsi un jeune Kurde-Irakien, qui vient d'obtenir sa carte de réfugié, va bientôt prendre son envol. Une fois les ultimes démarches réglées par le centre : carte de séjour, autorisation de travail, contrat d'apprentissage..., il sera suivi par l'ASE des Côtes- d'Armor, qui l'avait adressé à France terre d'asile. Grâce aux stages de maçonnerie effectués, une entreprise l'a repéré ;quant à l'hébergement, l'ami d'un cousin s'en charge.

Et les zones d'attente ?

Mais l'action du Caomida a aussi permis d'initier un mouvement de prise en compte des problèmes liés au séjour en zone d'attente des mineurs. En plus d'améliorer ses conditions, il devient impérieux que les enfants autorisés à entrer sur le territoire ne soient plus livrés à eux-mêmes, mais jouissent d'une protection immédiate. En effet, explique Pierre Henry, « avec l'augmentation des flux, en 1999, sur les quelque 440 mineurs demandeurs d'asile qui se sont présentés aux frontières, seuls 160 environ ont déposé un dossier à l'OFPRA ». Si certains ont été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ou ne cherchaient qu'à transiter par la France, d'autres ont disparu. Sans doute pas pour tout le monde. Les réseaux criminels, eux, ne les oublient pas.

Florence Raynal

Notes

(1)  France terre d'asile : 25, rue Ganneron - 75018 Paris - Tél. 01 53 04 39 99 - L'association vient de publier un roman pédagogique pour les 10-15 ans : Un visa pour maman - Christine Vaufrey - Ed. Syros jeunesse - 29 F - Voir ASH n° 2168 du 26-05-00.

(2)  Voir ASH n° 2151 du 28-01-00.

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