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Quand la santé ouvre l'accès à la citoyenneté

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Défendant une approche globale de la santé, des professionnels du champ sanitaire et social et des habitants de quartiers défavorisés engagent des actions destinées à ce que chacun participe à son propre mieux-être. Et au mieux-vivre commun.

Face au développement de pathologies complexes associées à la « chronicisation » de la précarité, la santé émerge, de plus en plus, comme un phénomène global, nécessitant d'être appréhendé collectivement. C'est cette approche pluridisciplinaire et partenariale que s'efforcent de développer les tenants de pratiques communautaires de santé, s'accordant à définir cette dernière, non par la négative - absence de maladie -, mais comme un état de bien-être physique, psychique et social, notion défendue, de longue date, par l'Organisation mondiale de la santé.

« Si la qualité et la quantité d'offres de services de santé (soins et prévention) restent essentielles au droit à la santé pour tous les citoyens, la manière d'envisager les problèmes et les conditions pour mettre en œuvre les réponses les plus pertinentes restent posées aux institutions, décideurs, professionnels et habitants », commentait le docteur Marc Schœne, président de l'Institut Théophraste-Renaudot, lors de journées d'étude organisées sur ces questions (1).

De la gymnastique à l'accès aux soins

Politiques de développement social urbain, contrats de ville, réseaux de santé font partie des dispositifs qui invitent à un décloisonnement socio-sanitaire s'appuyant sur les besoins et la participation des habitants. Reste que si les professionnels sont incités à mieux travailler ensemble, leur première difficulté est de réussir à mobiliser les personnes isolées. Ainsi, dans le quartier bruxellois de Cureghem, où vit une population majoritairement issue de l'immigration marocaine, les animatrices salariées de l'association Les Pissenlits (2) partent d'activités comme prétexte pour attirer des femmes qui ne semblent pas prioritairement concernées par les questions de santé. Et celles-ci ne sont abordées que dans un deuxième temps, de façon informelle d'abord, et si possible, de manière plus élaborée ensuite.

Au prix d'un intense porte-à-porte, l'équipe des Pissenlits réunit, assez régulièrement depuis deux ans, une dizaine d'habitantes qui avaient envie de faire de la gymnastique et huit autres férues de loisirs créatifs. « Notre principal objectif, explique Pascale de Smedt, coordinatrice de l'association, est de rendre les populations du quartier plus autonomes pour se prendre en charge et trouver, localement, les ressources susceptibles de répondre à leurs besoins, en développant des réseaux de solidarité entre habitants, professionnels et non-professionnels de la santé. » Mais le travail de consolidation des groupes est difficile : renforcer l'estime de soi des femmes et instaurer entre elles des relations de confiance prend du temps. Aujourd'hui, la démarche commence à porter ses fruits : voulant réaliser une brochure pour communiquer autour d'elles le b. a.-ba de l'accès aux soins, les participantes du groupe de gymnastique sont allées voir des pharmaciens, dentistes et médecins. « Elles ont, en fait, essentiellement traduit des documents déjà existants, précise Vérane Van Exem, animatrice aux Pissenlits, mais en s'appropriant l'information et en la rendant compréhensible à d'autres membres de leur communauté. » Du hammam à l'épicerie du quartier, l'effet boule de neige semble amorcé.

La difficulté de « faire avec »

C'est aussi sur l'intelligibilité et la crédibilité accrues de la parole des pairs, que tablent les promoteurs des actions de prévention de l'alcoolisme chez les jeunes, engagées par le centre de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) de Saint-Denis (3). Ne réussissant pas à toucher le public des adolescents, les responsables du centre constataient aussi les difficultés des professionnels de l'éducation ou de l'animation pour aborder les questions d'alcool avec les jeunes.

Ainsi est né le projet : « L'alcool, t'en penses quoi ? », piloté par Carmen Sanchez-Garcia, du CCAA de Saint-Denis. Il a débuté dans cette commune, fin1997, avec une quarantaine de jeunes filles « recrutées » par un article dans le journal municipal. A partir de leur vécu et de leur savoir sur l'alcool, les Dionysiennes ont construit un spectacle de danse visant à échanger, avec d'autres adolescents, sur les pratiques d'alcoolisation. Les deux représentations données en juin 1998 ont mobilisé chaque fois une centaine de jeunes. L'action s'est alors poursuivie à Saint-Denis avec un groupe d'une quinzaine de danseuses et s'est étendue à Stains et Pierrefitte (Seine-Saint-Denis). A la proposition, faite aux adolescents par les services jeunesse de ces communes, de devenir acteurs de prévention dans leur milieu, en travaillant sur leurs représentations et attitudes vis-à-vis de l'alcool, une vingtaine de jeunes de Stains et six de Pierrefitte ont répondu présent. Encadrés par des animateurs, les Stanois ont alors réalisé un court film de fiction et des affiches ; le groupe de rap de Pierrefitte a créé des chansons et enregistré un disque. Ces productions, présentées dans des salles de spectacle, ont donné lieu à de riches débats.

« Le principal problème que nous avons rencontré, dans la conduite de ce projet, explique Carmen Sanchez-Garcia, tient à l'attitude des professionnels qui ont travaillé avec les jeunes (animateurs des services jeunesse, agents de prévention, alcoologues)  : comment accompagner les adolescents et non les précéder, les guider dans leur réflexion sans leur imposer son propre savoir, bref les considérer comme de véritables partenaires ? » Pour lutter contre la tendance des experts à garder ou reprendre la parole et le pouvoir, plutôt que d'adopter une position de facilitateurs, un groupe d'échanges de pratiques - où les jeunes n'étaient pas conviés - a dû être mis en place. Il a permis aux participants de recadrer leurs relations avec les adolescents et d'apprendre à se connaître. Progressivement, l'attitude des accompagnateurs a aussi évolué vis-à-vis des jeunes en général, et des consommateurs de produits psychotropes en particulier.

De leur côté, les adolescents investis dans le projet et, au début, hostiles aux personnes qui rencontrent un problème avec l'alcool, ont également gagné en ouverture, tolérance et compréhension. Leur implication qui ne se dément pas fait aussi partie des acquis de l'opération. Néanmoins, Carmen Sanchez-Garcia est consciente du déplacement, presque inévitable, de la position des jeunes, transformés par leur expérience. D'où son souci d'éviter que ces « préventeurs » perdent leur authenticité : faute de continuer à parler le même langage que les leurs, ils risqueraient de se retrouver en porte-à-faux par rapport à eux.

Professionnels ou usagers ?

Cet entre-deux, difficile à tenir, est parfois abandonné par les habitant (e) s-relais des quartiers paupérisés, quand il leur est possible d'acquérir qualification, statut et reconnaissance sociale. Suffisamment au fait du mal-être de leur communauté pour le partager, ces personnes-ressources réussissent, souvent, en allant au-devant des autres, à mieux affronter leurs propres difficultés. Et leur professionnalisation constitue une chance d'asseoir cette dynamique de promotion personnelle. Elle pose néanmoins le problème de l'éventuel décalage susceptible de se creuser avec les habitants de base, et d'une démarche de co-construction qui deviendrait de la prestation de services. D'où la nécessité, pour inscrire les projets dans la durée, d'impliquer régulièrement de nouveaux participants qui s'approprient la démarche et perpétuent son effet d'entraînement.

Caroline Helfter

À BAGNEUX : TRAVAILLEURS SOCIAUX ET HABITANTS UNIS CONTRE LA TOXICOMANIE

Le pari d'une pérennisation qui évite l'écueil de l'institutionnalisation semble avoir été tenu, au fil des années, par les habitants de la cité de la Pierre Plate, à Bagneux (Hauts-de-Seine). Choqués par le décès, en 1984, de trois jeunes toxicomanes, quelques Balnéolais décident de réagir et trouvent une oreille attentive auprès des professionnels du centre socio-culturel Alfa. Avec leur aide, ils élaborent une action de santé communautaire centrée sur la toxicomanie et le développement social local. En 1986, grâce à diverses subventions, une première formation de « volontaires de santé » - qui sera renouvelée en 1989 et 1991 - réunit, deux soirs par semaine pendant trois mois, une quarantaine d'habitants des quartiers nord de la ville ainsi que 20 travailleurs sociaux, élus, administratifs départementaux et financeurs. En 1988, les premiers volontaires de santé fondent l'association Vis avec nous (4)  ; ses membres s'adjoignent la participation de travailleurs sociaux dont ils deviennent les employeurs : l'association reçoit, en 1990, une habilitation du conseil général au titre de la prévention spécialisée. Avec des hauts et des bas, salariés et militants réussissent à collaborer. « Le travail, explique Catherine Alföldi, directrice du club de prévention de l'association, consiste à mettre en synergie la complémentarité entre volontaires de santé et professionnels, afin de développer la prise en charge des problèmes rencontrés par les habitants eux-mêmes. » Outre l'intervention spécifique des éducateurs de rue, les volontaires de santé organisent, avec les travailleurs sociaux, un certain nombre d'activités dans la cité pour lutter contre l'isolement et promouvoir la convivialité. Le potager de l'association en est l'un des pivots : théâtre de multiples animations, il fournit l'occasion de nombreuses rencontres entre résidents de générations et cultures différentes, et constitue un bon moyen d'occuper le terrain pour éviter que ne se développent des pratiques illicites. Très présents - et vigilants - dans les différents espaces de la cité, les membres de l'association ont acquis suffisamment de compétences pour être d'efficaces passerelles entre les individus et les institutions. Et le fait que les volontaires de santé, ayant un emploi par ailleurs, ne soient pas dans une démarche d'insertion individuelle, est un atout important pour l'association. En chemin bien sûr, certains, prenant goût aux métiers du social, ont décidé d'en faire leur activité. Mais ils sont partis exercer dans un autre cadre. L'association reste fermement sur ses positions : elle ne désire pas salarier ses militants et préfère, si besoin est, embaucher de nouveaux travailleurs sociaux. Ces professionnels, défend-elle, doivent avoir un peu un profil de mutants, notamment pour admettre que l'élaboration et la conduite des actions soient le fait des habitants. Or plus les intéressés se forment, plus ils deviennent exigeants...

Notes

(1)   « Croisements des pratiques communautaires autour de la santé » à Grande-Synthe (Nord), les 12 et 13 mai 2000 - Institut Théophraste-Renaudot : 40, rue de Malte - 75011 Paris - Tél./fax : 01 48 06 67 32.

(2)  Les Pissenlits : 98, avenue Clémenceau - B-1070 Bruxelles - Tél. 0032 2 521 77 28.

(3)  CCAA : 14,  rue Henri-Barbusse - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 49 71 11 00.

(4)  Vis avec nous : 7, rue Mozart - 92220 Bagneux - Tél. 01 40 92 00 67.

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