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Un espoir sous conditions

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Grâce à la trithérapie, les personnes séropositives peuvent désormais envisager une réinsertion professionnelle. Un espoir tempéré par les contraintes du traitement, le tabou persistant sur le sida et les réticences du monde professionnel à les accueillir.

« Il y a dix ans, les gens regardaient le porteur du VIH en se disant : “Il en a pour combien de temps ?” Aujourd'hui, ils se disent : “Comment l'a-t-il attrapé ?” » Brutal, le raccourci de Denys Hammel, membre de l'association Aides, résume bien le paradoxe auquel sont confrontées les personnes séropositives. D'un côté, les avancées médicales leur permettent de vivre avec la maladie, et non plus d'avoir la mort pour seul horizon. La trithérapie, en effet, sans guérir, réduit fortement la présence du virus dans l'organisme et ouvre une espérance de vie de plusieurs années aux 80 000 personnes sous traitement en France. D'un autre côté, le tabou sur le sida reste profondément ancré dans les mentalités : les porteurs du VIH continuent de subir la fascination-répulsion pour cette maladie qui mêle la sexualité à la mort, ainsi que le jugement indiscret sur leur vie intime.

Mais la nouveauté, aujourd'hui, c'est que les personnes séropositives peuvent envisager de retrouver une vie professionnelle, comme l'a montré le dernier colloque organisé par les associations Aides et Vivre (1). Hélène Rossert, directrice générale de Aides, met toutefois en garde contre tout enthousiasme exagéré : « La trithérapie impose des horaires de prise de médicament très rigides, des effets secondaires lourds (diarrhées, nausées, maux de tête) et surtout une fatigue opiniâtre, récidivante, invalidante. » Bref, ce traitement permet un retour à l'emploi, tout en impliquant des retards, des absences, voire des incapacités au travail. D'où le bilan très mitigé de Patricia Baviello, chargée de mission à l'organisme d'insertion et de placement Handi 54 (Nancy)  : «  Du fait de la maladie, de ses contraintes, mais surtout des fragilités psychologiques alimentées par le tabou sur le sida - qui suscite une peur constante de dire ou d'être dénoncé -, nous ne parvenons à réussir que très peu d'insertions durables ». De fait, le nombre de personnes séropositives en insertion est encore faible, aujourd'hui, et les obstacles sont nombreux sur leur chemin du retour vers l'activité professionnelle.

Aux effets secondaires de la trithérapie et à la persistance du tabou, s'ajoute la réticence des entreprises à accueillir ces personnes. François Fisch, directeur général de l'entreprise Nutricia, précise d'emblée que c'est parce qu'il est également médecin que « l'immersion » d'une personne séropositive dans sa société a été réussie. « Une goutte d'eau parmi 50 000 qui veulent s'insérer », mais « un investissement positif dans la préinsertion que n'importe quelle firme peut mener ». Celui-ci recommande toutefois aux associations d'aide à l'insertion de « se méfier du manque d'information des entreprises sur le sida et la trithérapie, et d'être très prudent aux entretiens d'embauche avant d'avouer la séropositivité  ». De fait, révéler la maladie dissuade encore trop souvent les directeurs des ressources humaines, aussi bien dans le secteur public que dans le privé. Dès lors, comment remplir « un trou de quatre ans » dans le CV ?Pour obtenir un aménagement adéquat du poste de travail en fonction de la fatigabilité, ne vaut-il pas mieux risquer d'avouer de quelle maladie il s'agit ? Des questions que chaque association semble résoudre un peu au cas par cas. S'appuyant sur son expérience, François Fisch conseille, lui, « d'informer quatre ou cinq personnes à la direction de l'entreprise, tout en leur demandant le secret, afin de garantir un réel aménagement du temps de travail à la carte et donc une meilleure chance d'insertion. Au libre choix du malade de dire sa séropositivité ou non à ses collègues. »

« Attentisme » des employeurs

Les porteurs du VIH sont en effet souvent très seuls pour gérer leur « secret » face aux salariés. Lesquels, « manifestent plus souvent que les dirigeants des résistances à l'intégration des malades », précise Jean-Louis Ségura, président de l'Agefiph . La crainte de la réaction des collègues amène ainsi 58 % des personnes sondées par Aides à cacher ce dont elles souffrent. Constamment ballotées entre l'envie et la peur de dire, elles sont, de plus, souvent contraintes à ne pas tenir compte de leur propre fragilité. Selon une autre étude commandée par Aides (2), les salariés et les dirigeants sous-estiment les effets de la trithérapie, « car le stress, la fatigue et la vulnérabilité morale leur semblent faire partie intégrante de l'activité professionnelle » de chacun. Au bout du compte, l'attitude des chefs d'entreprise est « attentiste » et la solidarité, perçue comme « une remise en cause partielle de la pérennité de l'entreprise » n'est accordée que si la personne séropositive « n'abuse pas de sa condition de malade ». C'est pourquoi, cette dernière, « afin de faire preuve d'implication dans son activité professionnelle et, ainsi, espérer pouvoir compter sur la solidarité [de ses collègues], devra passer outre à sa vulnérabilité au risque de l'aggraver », explique l'enquête . Non seulement beaucoup de porteurs du VIH « préfèrent dire qu'ils ont un cancer », mais, de plus, ils « refusent des aménagements de poste, par peur des rumeurs », confirme Chantal Pouvesle, infirmière d'entreprise . Et cela, au risque de « craquer », d'être obligés de démissionner.

Il n'empêche. Les personnes séropositives sont particulièrement motivées : d'après le sondage réalisé par Aides, 75 % des personnes sans emploi interrogées souhaitent retravailler. Moteur puissant, ce fort désir doit cependant être canalisé. « Souvent, lorsqu'une personne va mieux, elle veut plonger dans le monde du travail. Or, entre son envie et ses réelles possibilités, son envie et la réalité du travail, il y a des fossés à combler par un long cheminement. Nous passons beaucoup de temps à temporiser », explique Francis Carrier, de l'association Envol (3).

Créer un sas entre inaptitude et aptitude au travail

C'est pourquoi les associations mènent un travail de « préinsertion ». Ateliers de théâtre, d'informatique ou d'expression écrite, renforcés par un soutien psychologique, permettent de « redynamiser » des personnes désocialisées depuis plusieurs années. « Le projet d'intégration socio-professionnelle implique pour le malade d'élargir son environnement, d'affronter à nouveau le regard de l'autre alors qu'il a longtemps vécu seul avec sa maladie. Il doit se demander comment il sera perçu sur sa dégradation physique, s'il veut dire ou non sa séropositivité, avec le risque d'être jugé sur le mode de contamination. Faire un projet, c'est faire le pari qu'on aura le temps de le réussir. Or, avec une perspective à dix ans, ce n'est pas simple », analyse Denys Hammel, de Aides.

Intégrer les limites physiques imposées par la pathologie prend du temps et accepter le statut de handicapé n'est pas simple non plus. Un statut que ces malades sont très souvent obligés de demander s'ils veulent bénéficier des aides (en particulier l'allocation aux adultes handicapés) et des structures d'insertion professionnelle. La lutte pour faire reconnaître le sida comme une maladie chronique invalidante a d'ailleurs porté ses fruits : aujourd'hui, même si « le poids du non-dit sur cette maladie a été un frein, le monde du handicap a adoubé le monde du sida », se félicite Jean-Louis Ségura. Et les deux univers luttent de concert aujourd'hui pour atteindre un objectif commun : amener la loi et le monde professionnel à créer un « sas de transition » entre inaptitude et aptitude au travail.

Temps de travail à la carte

A cause des empreintes laissées par la maladie, la majorité des personnes séropositives désirent ou doivent changer de métier. D'où un fort besoin de formation, puis de stages pour tester leurs capacités professionnelles, psychiques et physiques avant de plonger dans l'entreprise. Mais un travail à temps plein étant rarement envisageable pour ces personnes fatigables, il faut adapter ces étapes. Or les associations dénoncent de manière unanime le fait qu'aucun centre de formation ne module ses horaires. Par ailleurs, elles utilisent beaucoup le contrat emploi- solidarité (CES) ou le mi-temps thérapeutique pour refamiliariser les personnes séropositives avec les contraintes du monde professionnel. Mais ces formules restent inadaptées aux pathologies dont l'évolution est imprévisible. Les associations réclament donc que la loi permette de moduler le temps de travail de façon très souple ( « temps partiel à la carte » ou « temps annualisé » ) en fonction des hospitalisations intempestives, des coups de fatigue ou de déprime.

En attendant, certaines associations imaginent d'autres expériences d'adaptation à l'entreprise. Ainsi, Vivre a aménagé un stage d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) sur un mi-temps. « Cette étape intermédiaire avant l'embauche permet de sortir les personnes de leur maladie, et la rémunération est un facteur d'autonomie », défend Meziane Hessas, coordinateur de l'expérience. Environ 50 %des bénéficiaires de ce SIFE, créé il y a cinq ans, ont trouvé un emploi. Pourtant, cette formule est violemment critiquée par Francis Carrier, de l'association Envol. Selon lui, ce stage, comme tous les contrats rémunérés, « met la personne en danger de perdre ses droits, notamment l'allocation aux adultes handicapés ». Calculée sur la base des revenus de l'année précédente, cette allocation peut en effet se réduire brutalement ou disparaître quelques mois après l'interruption ou la fin d'un tel contrat. Deuxième défaut, aux yeux de Francis Carrier :  « La principale difficulté de l'insertion réside dans la réversibilité. Nous n'avons pas droit à l'erreur car les malades sont très vulnérables. Or ils risquent d'être condamnés à demeurer des assistés sociaux parce qu'avec un contrat du type SIFE, on ne peut pas leur donner de deuxième chance en cas d'échec » (4).

Et celui-ci de défendre l' « expérience d'immersion en milieu de travail » menée par son association. Sous forme de convention, signée entre Envol, le malade et une entreprise, elle ne promet aucune rémunération, éliminant donc tout risque de perte d'allocations. Comme elle ne promet pas d'embauche non plus, l'insertion dans l'entreprise peut s'effectuer plus progressivement. « C'est un outil qui permet à la personne de voir réellement si elle est prête à retrouver un emploi. Si sa conclusion est qu'elle ne peut pas travailler, que parler de sa maladie est trop lourd, elle fait le constat elle-même. Elle peut alors repousser son retour dans le travail, se donner une autre chance », défend Francis Carrier.

On peut néanmoins reprocher à ce dispositif de ne pas rémunérer les stagiaires. Mais cela ne sera pas possible tant que certaines prestations (AAH, aides au logement) ne seront pas cumulables avec des revenus perçus pendant le parcours d'insertion. Possibilité que les associations réclament avec insistance. Toutefois, ces aménagements « techniques » ne suffiront pas à faciliter l'accès à l'emploi des personnes séropositives tant que les ignorances et les stigmatisations n'auront pas réellement disparu. C'est pourquoi les associations réclament le lancement d'une ambitieuse campagne d'information auprès des travailleurs sociaux, des Cotorep, des chefs d'entreprise et surtout des salariés.

Paule Dandoy

Notes

(1)  Le 14 avril - Aides : 23, rue du Château-Landon - 75010 Paris - Tél 01 53 26 26 26 - Vivre, association d'intégration des personnes en difficulté de santé : 2, square Lamartine - 94230 Cachan - Tél. 01 45 46 33 61.

(2)  Ces chiffres sont tirés d'un sondage réalisé du 7 juin au 30 août 1999 auprès de 630 personnes fréquentant les comités régionaux Aides et d'une enquête réalisée de novembre 1999 à mars 2000 par Aides et l'Institut de l'humanitaire auprès de 16 entreprises. Pour ces deux études, voir ASH n° 2163 du 21-04-00.

(3)  Envol, association créée il y a un an par des anciens membres de Aides - 52, rue de Faubourg-Poissonnière - 75010 Paris - Tél. 01 53 34 15 15.

(4)  Le SIFE n'est pas renouvelable. Il est même difficile à « rattraper » en cas d'interruption, même pour raison médicale - Voir ASH n° 2156 du 3-03-00.

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