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Des familles pour réapprivoiser la liberté

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A Nantes, les sortants de prison peuvent être accueillis par des familles bénévoles, le temps de prendre des forces pour rebondir. Une action qui bénéficie de l'accompagnement exigeant de travailleurs sociaux.

« Quand on sort de prison après plusieurs années, on quitte un milieu fermé, très peuplé, pour un milieu grand ouvert, où l'on ne connaît personne... Le plus angoissant, c'est de se retrouver seul. » David, 31 ans, a été libéré en 1996 du centre de détention de Nantes. Sa famille était loin, résidant dans une autre région. Mais pour effectuer ce grand saut, il disposait d'un filet de sécurité :l'accompagnement d'une famille d'accueil bénévole. Celle-ci l'a hébergé au moment de sa libération conditionnelle. Quand - très vite - il a obtenu un appartement, il a pu apprivoiser la solitude en alternant les nuits passées chez lui et chez ce couple pendant quelques semaines.

Voilà près de 15 ans que cette action d'accompagnement de détenus par des familles d'accueil a vu le jour dans la Loire-Atlantique. Pilotée au départ par les bénévoles de l'association Prison Justice 44 (1), elle est portée, depuis 1995, par le centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de l'association Etape (2), qui a recruté deux éducateurs spécialisés à mi-temps pour soutenir accueillants et sortants de prison. L'idée directrice n'a pas varié depuis l'origine. Il s'agit de créer, pour les détenus qui ne peuvent compter sur le soutien de leur propre famille, un sas pour vivre au mieux la rupture avec le milieu carcéral. Le cap, en effet, est souvent délicat à franchir. Si l'idée de la libération suscite a priori l'euphorie, celle-ci retombe rapidement au contact de la réalité. Laquelle prend fréquemment la forme d'un stress énorme. « Bruit, espace, lumière..., tout ce qui nous semble simple et banal est source d'agression pour eux », précise Philippe Rongère, directeur du CHRS. Il a vu certains obturer le judas de leur appartement de peur qu'on les espionne, ou descendre inopinément du bus, faute de pouvoir supporter la foule... En outre, alors que la détention leur a fait perdre toute initiative dans le déroulement de leur vie quotidienne, ils doivent, « dans les heures qui suivent la sortie, reprendre à leur compte une foule de décisions, petites et grandes », poursuit Philippe Rongère. L'accueil en famille, « gué entre deux rives », permet, dans une période d'extrême fragilité - cruciale pour prévenir la récidive, la reprise de toxiques, le retour des violences... - de réapprendre, dans un cadre chaleureux, les gestes ordinaires, une multitude d'habiletés sociales oubliées et d' « investir une autre organisation de l'espace et du temps ».

En outre, si l'on appréhende la solitude lorsque l'on sort de prison, on n'en redoute pas moins de retrouver la promiscuité dont on a tant souffert. D'où la réticence des détenus à intégrer des CHRS de type collectif. « J'aurais préféré ne pas sortir que de me retrouver dans un foyer », assène Bernard, 45 ans, sorti en 1998 après sept ans, et hébergé quelque temps dans une famille. La méfiance, il est vrai, est très souvent réciproque, les CHRS ne se montrant guère enthousiastes à l'idée d'accueillir d'anciens détenus, étiquetés « fauteurs de trouble »   (3).

Le dispositif n'est pas seulement producteur de chaleur humaine. Les familles sont bénévoles et ignorent la nature du délit ou du crime qui a conduit leur hôte en prison. A moins, bien sûr, que celui-ci ne souhaite le leur dire. Dans cette position réside, selon Philippe Rongère, un « message fort » pour le détenu : qu'une famille qui ne connaît pas ses actes passés accepte de le recevoir dans son foyer constitue une « réintégration symbolique porteuse de plein d'espoir et de possibles » au sein de la société.

Professionnels-bénévoles : pas de « sous-traitance »

Pour autant, il ne s'agit pas, avec cette expérience, d'une « sous-traitance » des tâches des professionnels aux bénévoles. Pierres angulaires du dispositif, ces derniers n'en sont pas moins soutenus par un exigeant accompagnement social. Travailleurs sociaux et familles ont chacun leur rôle, nettement délimité. « Les places sont claires. Chacun apporte sa touche, qui prend sens par rapport à celle des autres, ce qui exclut les traditionnelles rivalités », résume Christophe Dronneau, l'un des éducateurs spécialisés encadrant l'action.

La « touche » des travailleurs sociaux consiste... à être sur tous les fronts. Pour une permission de quelques jours préparant la sortie ou un accueil de plusieurs semaines après la libération, ils vont systématiquement chercher le détenu, le conduisent dans la famille, font signer un contrat tripartite (association, accueillant, accueilli) fixant les objectifs du séjour. Pendant celui-ci, ils sont joignables par portable en permanence, en cas de problème ou simplement s'il est nécessaire de mettre du liant dans les relations... A la sortie, ils accompagnent la personne libérée dans ses multiples démarches administratives. Ressources, santé, logement, papiers, insertion professionnelle, tout est à régler.

Mais c'est dans la préparation du séjour que réside l'une des parts les plus lourdes et les plus délicates du travail. Car les enjeux sont de taille :il s'agit de permettre au détenu de tirer le profit maximal de l'expérience et d'entamer sa reconstruction, mais aussi d'assurer la sécurité des familles. Les accueillis ont un lourd passé carcéral, en moyenne six ans de détention sans permission. « Nous ne pouvons nous permettre d'être dans l'à-peu-près », insiste Elizabeth Ogier, l'éducatrice. Première condition, donc, pour bénéficier d'un accueil : être volontaire, et pas seulement parce que l'on a besoin d'un toit. Il faut accepter de mettre des mots sur son délit, de l'analyser, en dialoguant avec les travailleurs sociaux de l'Etape. Concrètement, le détenu doit, par courrier à l'association, demander à rencontrer l'un deux. Un tiers -ami, travailleur social de détention, visiteur de prison...- peut également le faire. Si, après avoir bien compris les implications de sa démarche, la personne accepte de s'engager, des rencontres ont lieu toutes les trois semaines environ. Elles sont souvent riches. « On parle beaucoup, de soi, de la façon dont on voit l'avenir. La libération angoisse. En parler, ça aide », se souvient Bernard . « On essaie de repérer avec eux le sens que le délit ou le crime, que nous leur demandons de nommer, prend dans leur histoire et de repérer les zones de fragilité sur lesquelles il faut agir pour éviter la récidive », ajoute Elisabeth Oger. Autant d'échanges qui donnent un sens à la sortie et servent de base à l'élaboration d'un projet.

Fuir l'urgence

Apprendre à connaître le volontaire demande du temps. L'Etape exige de pouvoir préparer la sortie très en amont. Et se heurte parfois à l'incompréhension des travailleurs sociaux de l'administration pénitentiaire, tentés de leur proposer des détenus quelques semaines seulement avant leur libération et sans qu'ils aient exprimé de demandes. « Certains nous voient comme des prestataires de services en urgence », regrette Elisabeth Oger. L'idéal, pour l'association, est de pouvoir alterner les rencontres avec les détenus et les permissions dans les familles. « Plus la fin de la peine est éloignée, plus il y a possibilité d'apprentissage et d'expérimentation de l'espace de liberté », souligne Philippe Rongère. Pour les permissions, il faut toutefois compter avec l'aval des juges de l'application des peines, qui, dans la région nantaise, en accordent peu.

La préparation des séjours passe également par la recherche de familles. L'Etape dispose d'un réseau d'une dizaine d'accueillants, d'âges et de milieux sociaux très divers. Avec ou sans enfants, seules ou en couple, ces personnes ont rejoint l'action par le bouche-à-oreille ou à la suite d'une annonce. En général, elles n'en sont pas à leur premier acte bénévole. Syndicalistes, militants agricoles, visiteurs de prison... « Leur démarche s'inscrit dans le sens d'une vie », explique Myriam Thiersen, chef de service au CHRS.

Il n'est pas simple de recruter. Les détenus font peur. La plus grande difficulté, cependant, n'est pas de combattre le fantasme, mais le sentiment que l' « on ne va pas être capable d'apporter quoi que ce soit à la personne ». « Alors que ce que l'on demande, c'est de produire de la relation humaine, chaleureuse, structurante », rétorque Philippe Rongère. Pour cela, il faut que la famille soit stable, mais aussi que ses rythmes de vie lui laissent la possibilité de moments d'échange avec la personne accueillie. Les deux éducateurs doivent arriver à une connaissance intime du système familial pour vérifier qu'il est  « en capacité de laisser une place à l'“autre” », résume le directeur du CHRS. Et aussi repérer les affinités potentielles entre les deux interlocuteurs.

En même temps, il ne s'agit pas de donner l'illusion aux personnes, dont les liens se sont distendus avec leur propre parenté, qu'elles ont trouvé une famille de substitution, avec laquelle va forcément s'engager une relation affective au long cours. Les rencontres fortes et durables existent, mais restent l'exception. L'accueil en famille est d'abord un outil supplémentaire au service du CHRS. « Il élargit notre champ de prise en charge et nous donne la possibilité de “tricoter” un peu plus finement des solutions pour les uns et les autres », précise Philippe Rongère. Les séjours permettent de prendre des forces pour aller voir ailleurs. Ou, en alternance avec un hébergement en CHRS, de rendre celui-ci supportable. Les familles ont d'ailleurs conscience des limites de leur action. « Restons modestes dans nos prétentions : nous ne pouvons pas tout comprendre, et nous ne réglerons pas tout. Simplement, nous offrons aux personnes que nous accueillons un moment de calme, de protection. Après, elles suivront leur propre chemin », explique Marie-Claire Luneau, viticultrice retraitée. La prise de distance, cependant, n'exclut pas tout état d'âme. Quand le courant ne passe pas, par exemple, Elisabeth Oger et Christophe Dronneau expliquent que cette difficulté relationnelle est en elle- même riche d'enseignements et constitue un levier d'action. Même si elle conduit à interrompre l'accueil. « Mais pour les familles, c'est source d'un sentiment d'échec important. A leurs yeux, elles ont failli à leur tâche », ajoute Elisabeth Oger. C'est le cas également lorsque l'ex-détenu est à nouveau incarcéré. C'est arrivé récemment à une personne accueillie tous les week-ends pendant cinq mois par René Locquet, ancien exploitant agricole. Pour les deux éducateurs, ce nouvel emprisonnement n'a pas eu que des côtés négatifs. René Locquet, lui, l'a mal vécu : « Les professionnels, eux, arrivent à situer les choses dans le temps. Moi, je le vis comme un échec. »

Un financement aléatoire

L'expérience se poursuivra-t-elle encore longtemps ?L'Etape rencontre d'énormes difficultés pour l'installer dans la durée, le financement se révélant aléatoire. Après deux ans d'activité pleines et financées en 1996 et 1997, le fonctionnement s'est quasiment interrompu, pour ne reprendre qu'en septembre dernier. Depuis, neuf personnes ont été prises en charge pour 220 journées d'accueil. A la fin juin, cependant, tout risque de s'arrêter : seulement la moitié des 700 000 F du budget annuel a pu être réunie (4). En 1998, l'extension de la capacité du CHRS avec la création de 12 places sous forme d'accueil en famille a été acceptée après passage en comité régional de l'organisation sanitaire et sociale. Mais l'Etape n'a pas obtenu que ces places soient financées par l'enveloppe départementale des crédits « aide sociale de l'Etat ». Quant à la direction régionale de l'administration pénitentiaire, elle affirme également ne pouvoir faire plus. En désespoir de cause, les responsables de l'association ont envoyé leur dossier directement aux ministères de l'Emploi et de la Solidarité et de la Justice. Sans réponse, jusqu'à présent. Pourtant l'intérêt de l'expérience est largement reconnu.

Céline Gargoly

Notes

(1)  Elle réunit des magistrats, des travailleurs sociaux, des psychologues... qui accompagnent et soutiennent bénévolement les détenus et leurs familles.

(2)  CHRS l'Etape : 107, rue Hector-Berlioz - 44300 Nantes - Tél. 02 51 83 64 00.

(3)  Selon une enquête ministérielle menée en 1997, les personnes sortant de prison représentaient seulement 3,5 % des résidents des établissements d'hébergement pour adultes en difficulté sociale.

(4)  Le financement est assuré par le Fonds d'intervention pour la ville, la DDASS, les communes impliquées dans le contrat local de sécurité de l'agglomération nantaise, l'administration pénitentiaire, l'allocation de logement temporaire et une participation modique des usagers.

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