Pour la première fois, en France, la question des « travailleurs pauvres » a été abordée, le 29 mai, lors d'un colloque réunissant experts et statisticiens (1). Le terme de working poor, pauvreté laborieuse, s'est d'abord développé aux Etats-Unis à la fin des années 80. A une époque où le sujet n'intéressait guère l'opinion française, car le SMIC paraissait suffisamment élevé pour mettre les travailleurs à l'abri de la pauvreté. Aujourd'hui, pourtant, le développement du travail à temps partiel contraint et des emplois précaires amène les statisticiens à s'interroger sur l'existence de working poors en France.
Comment définir la notion ? Il s'agit de ménages que le niveau de revenu situe à proximité ou en deçà du seuil de pauvreté et qui tirent une part significative de leurs ressources d'un revenu d'activité. Soit une catégorie intermédiaire entre l'exclusion ou la « pauvreté traditionnelle » (100 % ou presque de revenus de transferts) et les autres ménages, dont des membres sont insérés dans l'emploi à temps plein (revenus au-dessus du seuil de pauvreté). Peu d'études en France sont disponibles sur le sujet, notamment à cause d'une insuffisance des sources statistiques.
Quelle définition ?
De fait, les différentes définitions utilisées pour appréhender ces travailleurs soulèvent de redoutables problèmes de méthode. Et, Jean-Michel Hourriez, chef de la division conditions de vie des ménages de l'INSEE, propose de retenir une définition du travailleur pauvre qui associe un critère d'activité (faire partie de la population active au moins 6 mois sur 12), un critère d'emploi (occuper un emploi au moins 1 mois sur 12) et un critère de niveau de vie (appartenir à un ménage pauvre). Définition qui supposerait d'ailleurs de pouvoir disposer de statistiques très complètes décrivant à la fois les trajectoires individuelles d'emploi et le revenu disponible annuel du ménage.
Quelles sont les formes de pauvreté laborieuse en France ? Il est clair, comme l'explique Jean-Michel Hourriez, qu' « un emploi stable ne met pas toujours à l'abri de la pauvreté » . Ainsi, un ménage peut se situer sous le seuil de pauvreté si l'unique conjoint actif ne gagne que le SMIC. La politique familiale favorisant le troisième enfant, le niveau de vie d'un couple avec un seul actif au SMIC est particulièrement faible (85 % du seuil de pauvreté) lorsque le couple a un ou deux enfants ; il remonte ensuite (95 %) avec le troisième enfant. Deuxièmement, les travailleurs indépendants n'ont aucune garantie de revenu minimum d'activité contrairement aux salariés. S'ajoutent à ces cas les situations de sous-emploi liées à toutes les formes de travail à temps partiel ou par intermittence.
Au final, la probabilité pour un individu actif de figurer parmi les pauvres dépend de multiples facteurs : son salaire annuel, son environnement familial et les prestations accordées. Sachant qu'aucun facteur de pauvreté ne suffit à lui seul à rendre l'individu pauvre : le chômage favorise la pauvreté mais environ deux tiers des chômeurs ne sont pas pauvres, rappelle notamment Jean-Michel Hourriez. Et pour celui-ci, certaines catégories de « pauvres » semblent plus démunies que les autres : les chômeurs et les salariés précaires. La faiblesse de leurs revenus, très inférieurs au seuil de pauvreté, va de pair avec de fréquentes difficultés financières et une absence de patrimoine. « Particulièrement préoccupantes », ces nouvelles formes de pauvreté renvoient également aux questions de désincitation au travail « puisque le revenu des “salariés précaires pauvres” ne semble guère supérieur en moyenne à celui des “chômeurs pauvres” ».
(1) Organisé avec le Commissariat général du Plan et l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) par le Conseil supérieur de l'emploi des revenus et des coûts : 18, bd de La Tour-Maubourg - 75007 Paris - Tél. 01 40 62 30 80.