Si les médias tentent aujourd'hui d'exposer au grand jour la vie à l'intérieur des prisons, on s'intéresse encore peu aux familles des détenus. C'est pourquoi la Fédération des associations réflexion-action prison et justice (Farapej) (1) a demandé au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) (2) d'analyser « l'autre peine », celle vécue par les parents et conjoints des personnes incarcérées.
Les entretiens, réalisés auprès de 224 personnes dans 26 lieux de détention répartis sur tout le territoire, révèlent de profonds bouleversements dans leur vie. Ainsi, 80 % des personnes interrogées disent avoir subi au moins un changement important dans leur vie quotidienne, que ce soit sur le plan financier, professionnel, relationnel, ou du logement.
« Serrer les dents et continuer à vivre malgré tout » « La principale conséquence de l'incarcération est la détérioration du lien social des familles », avance d'emblée l'étude. 50 % des personnes ont vu leurs relations avec le voisinage ou leurs amis se distendre, et un tiers vivent le même phénomène avec leur famille. « Dans certains cas, on peut penser que ce sont les parents et les conjoints eux-mêmes qui restreignent leurs contacts », analysent les auteurs, puisque 42 % d'entre eux reconnaissent ne pas avoir avoué à leur entourage l'incarcération de leur proche. Mais, c'est un fait, la plupart de ces familles ont le sentiment d'être stigmatisées (50 %) par le regard des autres. Les liens avec le détenu sont également mis à mal : « Une fois sur deux, c'est le frère ou la sœur qui ne veut plus voir le détenu, une fois sur trois, c'est le père », précise l'enquête. Elle renforce ainsi l'étude de l'INSEE qui estimait que 11 % des hommes incarcérés ont vécu la rupture de leur couple au bout d'un mois de détention (3).
Cette dernière provoque aussi des bouleversements d'ordre pratique dans la vie quotidienne des familles. En premier lieu , « le rejet de la part du voisinage et le sentiment de culpabilité » conduisent 15 % d'entre elles à déménager. Quant à leur vie professionnelle, 16 % des personnes interrogées avouent qu'elle a été perturbée. Enfin et surtout, pour 50 % d'entre elles, leur situation financière s'est réellement dégradée. La perte du revenu du détenu (salaire ou allocation), mais aussi les dépenses entraînées par l'incarcération grèvent le budget des familles : à l'aide financière qu'elles apportent à la personne emprisonnée (en moyenne, les parents versent 775 F par mois et les conjoints, 540 F), s'ajoutent le coût des visites (187 F en moyenne), les frais d'avocat, les démarches pour rencontrer les travailleurs sociaux ou obtenir des documents administratifs. L'ensemble de ces dépenses représente « en moyenne 21 % des revenus des parents et 27 % de ceux du conjoint », estime le Crédoc.
« Un boulot à temps complet »
S'occuper d'un détenu « c'est un boulot à temps complet », témoigne l'une des jeunes femmes interrogées. Les familles doivent en effet aménager leur emploi du temps en fonction des visites, qui, pour chacune d'elle, exigent quatre heures de transport en moyenne (pour à peine une heure de parloir).
Toutes ces difficultés liées à la « peine » vécue par les familles engendrent usure, fatigue morale et physique. Ainsi, « deux tiers des personnes interrogées se sentent déprimées et nerveuses, la moitié ont des problèmes de sommeil », relèvent les enquêteurs, qui ajoutent : « Les entretiens ont révélé un grand besoin de parler de la honte, de l'épreuve du jugement social, du sentiment d'impuissance face à une histoire qui tourne mal. » Une douleur d'autant plus difficile à gérer par rapport aux enfants du détenu. Que faut-il leur dire ? Quelle image ont-ils de leur père ou mère détenu (e) ? Que deviendra leur relation avec ce parent ? Ces questions minent aussi chaque jour les familles, écrivent les auteurs en guise de conclusion. P.D.
(1) Farapej : 66, rue de la Folie-Regnault - 75011 Paris - Tél. 01 55 25 23 75.
(2) Crédoc : 142, rue du Chevaleret - 75013 Paris - Tél. 01 40 77 85 01.
(3) Voir ASH n° 2163 du 21-04-00.