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Le Conseil économique et social réhabilite les professionnels

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Dans son avis « Mutations de la société et travail social », le Conseil économique et social invite à une réflexion cohérente sur le secteur. Deux priorités :recentrer le travail social sur ses missions ; clarifier les conditions de la commande publique.

Qu'on ne s'attende pas à trouver des propositions révolutionnaires dans le rapport et l'avis (1) adopté, le 24 mai, par le Conseil économique et social  (CES) et présentés la veille, par Daniel Lorthiois (groupe CFDT),  au nom de la section des affaires sociales. Au vu des nombreuses études sur le sujet et alors que la mission interministérielle recherche et expérimentation (MIRE) vient de boucler son programme « Observer les qualifications et emplois de l'intervention sociale », on pouvait d'ailleurs difficilement innover. Pourtant, et c'est là son intérêt, ce document opère un décentrage par rapport à toutes ces expertises en présentant la vision de la société civile sur le travail social. Et, contrairement à l'image négative qu'ont souvent les professionnels d'eux-mêmes, aux critiques de leurs employeurs, voire aux interrogations sur la fin du travail social, ce regard est largement positif. S'il fait état des mutations qui ont affecté la société et, par contrecoup les intervenants sociaux, le Conseil économique et social salue « l'effort d'adaptation » des professionnels. Qui se sont attachés « qu'il s'agisse des professions traditionnelles ou des nouveaux intervenants du social, à tenter de répondre au mieux aux besoins de la personne ». Une réhabilitation des acteurs par la société civile qui transparaît tout au long du rapport et de l'avis, et sur laquelle devraient méditer les politiques.

Mais l'autre mérite du Conseil économique et social est d'avoir placé sa réflexion dans une perspective globale. Le travail social est appréhendé dans son rapport à la société et dans le cadre de l'action sociale. De fait, on ne peut demander aux professionnels d'évoluer et d'adapter leurs pratiques si l'on ne définit pas auparavant les objectifs de la politique sociale. Le groupe de travail évite ainsi de s'en tenir aux rapports duels salariés-employeurs. Et affirme une évidence trop souvent occultée : les efforts des travailleurs sociaux « doivent être relayés par des volontés politiques déterminées, clairement exprimées et coordonnées ». Evidence qui va lui permettre, au fil de sa réflexion, de faire des propositions en direction des professionnels, mais aussi des décideurs de l'action publique. Avec un objectif : « définir une stratégie globale d'évolution, afin que le travail social soit mieux reconnu et valorisé, plus systématiquement soutenu par une volonté politique claire et par un engagement solidaire de toute la collectivité et aboutisse à remettre la personne au cœur de la vie sociale ».

Un objectif qui s'appuie sur un bilan des évolutions et adaptations du travail social. Reprenant les constats et analyses déjà connus, le Conseil économique et social revient sur les chocs (crise économique, décentralisation, politiques transversales) qui ont affecté les professionnels. Et tous les éléments - extension de la demande et développement d'une attitude consumériste des usagers devenus de plus en plus exigeants, multiplication des décideurs, apparition de « nouveaux métiers du social », pression de l'urgence, montée des phénomènes de violence... -qui ont aggravé leurs conditions d'exercice.

Le travail social ne peut pas tout

Parmi les idées fortes, la nécessité de remettre le travail social à sa juste place. «  On ne peut et on ne doit plus lui demander de régler des problèmes extérieurs à son champ. » Cette reconnaissance des limites du travail social entérine la prise de conscience amorcée avec la loi contre les exclusions et selon laquelle l'ensemble de la société doit se donner les moyens de combler la fracture sociale aux côtés des professionnels. Alors que la mise en place du revenu minimum d'insertion et la montée de l'exclusion avaient engendré des propos extrêmement critiques sur les travailleurs sociaux, accusés d'être trop investis dans l'accompagnement social et pas assez sur l'offre d'insertion, aujourd'hui les discours se sont apaisés. Ceux qui, avec la massification des problèmes d'exclusion, ont pu avoir le sentiment de jouer les « pompiers » de la société, avec des moyens limités, sont donc reconnus dans leur rôle. Comme le souligne le Conseil économique et social, il s'agit « de repositionner le travail social sur les responsabilités qui sont les siennes : toutes ses responsabilités, mais uniquement ses responsabilités ». Celui-ci ne peut à lui seul répondre, « malgré l'implication et la créativité de ses acteurs », à toutes les formes d'exclusion. Et l'on se réjouira de voir affirmer qu'il ne peut en soi créer les conditions de reprise de l'emploi ou décider de la construction de logements. Le travailleur social accompagne le bénéficiaire, en valorisant ses potentialités, l'aide à réunir les conditions d'un retour vers un logement décent ou un emploi. Il peut, avec d'autres opérateurs et de façon temporaire, proposer un emploi, par le biais par exemple des entreprises d'insertion. Mais son rôle s'arrête là, affirme avec fermeté, le conseil. «  Même dans son champ, qui est celui du rétablissement du lien social, le travail social ne peut agir seul. La lutte contre l'exclusion passe par une implication de la collectivité nationale tout entière.  »

Qu'implique ce recentrage du travail social sur ses missions, pour le CES ? Tout d'abord, la reconnaissance des bénéficiaires comme « acteurs de leur propre devenir ». Message qui s'adresse aux professionnels, mais aussi, et c'est là où le propos est plus novateur, aux décideurs. Si les pratiques doivent évoluer, ce sont les objectifs mêmes de l'action sociale qui « doivent s'articuler autour des attitudes, motivations et besoins réels de la personne. Les dispositifs doivent y répondre de façon pertinente. L'organisation du travail social doit s'adapter aux modes d'expression de ces attentes. » En clair, inviter les professionnels à remettre les personnes au centre de leurs pratiques n'a aucun sens si ce discours n'est pas relayé par « la détermination d'une démarche globale nouvelle et la mise en œuvre d'adaptations profondes, dont une partie seulement est, pour l'heure, engagée ».

Parmi les difficultés des professionnels à répondre aux besoins de la personne, un aspect peu mis en évidence concerne la faible lisibilité de la commande publique en travail social. Et sur ce point l'analyse du CES apparaît également particulièrement pertinente. « La complexification des problèmes sociaux, les changements de nature de la demande exprimée par les bénéficiaires et le nouvel impératif de coopération des acteurs n'ont pas reçu l'écho au niveau de la définition de la commande publique », explique-t-il. Et celui-ci de critiquer sévèrement la sédimentation et la complexité des dispositifs. Complexité qui tient largement aux conditions dans lesquelles s'exprime la commande publique au niveau de chaque institution responsable. Notamment, la détermination des objectifs s'appuie encore insuffisamment sur des outils de diagnostic et sur des démarches globales de long terme. Par exemple, malgré des efforts, la direction de l'action sociale (DAS) « ne dispose pas d'un outil statistique suffisamment étoffé pour soutenir les démarches locales ». Mêmes lacunes statistiques au niveau des départements auxquelles s'ajoute un suivi insuffisant de la qualité des prestations et de l'évolution des bénéficiaires. Et ce, alors qu'un important travail de diagnostic est mené par certaines associations professionnelles ou de travailleurs sociaux.

D'où la nécessité de développer les démarches et outils en ce sens en donnant, en premier lieu,  des « moyens conséquents  » à la DAS. Mais il faut également améliorer qualitativement le diagnostic de l'existant : partage d'informations entre les différents partenaires ; formalisation concertée des objectifs assignés à la politique sociale. Sachant que les bénéficiaires et les travailleurs sociaux (pas seulement la hiérarchie intermédiaire) qui concourent à l'action, doivent être associés.

Dans la même logique, le CES revient sur la notion d'évaluation. Mais là encore, son analyse a le mérite de sortir des discours globalisants qui abordent sans distinction évaluation de la politique, de l'organisation et du travailleur social lui-même. Et de clarifier une notion «  trop souvent perçue comme un instrument partiel et partial à seule visée de réduction des coûts  ». Pour le groupe de travail, « l'évaluation est un tout qui doit porter sur l'ensemble de l'action sociale : les objectifs poursuivis, les politiques définies, les moyens (financiers, matériels, humains) de leur mise en œuvre, les procédures institutionnelles, les résultats, l'action de l'équipe de travailleurs sociaux dans son environnement stratégique. » Prenant en compte le plus possible le « ressenti » des bénéficiaires, elle doit devenir l'occasion, dans le cadre de projets de service, d'une contractualisation équilibrée par objectif entre les travailleurs sociaux et leurs employeurs et être prévue pour chaque action. Selon le CES, c'est seulement dans cette visée cohérente qu'il est possible de motiver les travailleurs sociaux sur une démarche longue et consommatrice de temps. Certains départements ont d'ailleurs pris des initiatives : création d'une direction de l'évaluation des politiques sociales (Ariège), d'un observatoire du social (Bouches-du-Rhône), définition d'un schéma départemental de l'aide sociale à l'enfance (Val-d'Oise). Mais ces efforts « restent l'exception ».

Très concrètement, le CES propose de charger le Conseil national de l'évaluation d'une mission de coordination de l'évaluation des politiques sociales, en créant par exemple une section spécialisée. De même il suggère de reconnaître au Conseil supérieur du travail social une mission d'évaluation du travail social.

Définir une commande plus lisible passe également par une meilleure coordination. Comme il l'a fait pour l'évaluation, le rapport dépoussière cette notion fourre-tout. C'est d'abord la coordination des donneurs d'ordre qu'il faut renforcer en développant la contractualisation par objectif entre les communes et les départements et en favorisant celle entre collectivités locales, organismes de protection sociale, associations. Et en utilisant davantage les outils de programmation pluriannuels. S'il ne revient donc pas sur la décentralisation, le CES insiste néanmoins sur la nécessité pour l'Etat de réaffirmer sa responsabilité pour promouvoir une égalité de traitement sur tout le territoire. Notamment en assurant une meilleure péréquation financière entre les départements, en particulier sur la base de leurs charges respectives en matière sociale ; mais aussi en définissant, sur le modèle du revenu minimum d'insertion ou de la couverture maladie universelle, le socle des politiques en dessous desquelles les collectivités ne peuvent pas descendre.

Quels travailleurs sociaux ?

On peut s'interroger sur l'acception très large retenue par le Conseil économique et social de la notion de travailleur social.  « Est considérée comme un travailleur social, toute personne qui, par un choix professionnel, un engagement permanent et une intervention constante, participe, avec ses partenaires, au rétablissement du lien social pour des personnes ou des groupes frappés par des difficultés d'ordre social. » Aux professions « canoniques », il ajoute les intervenants recrutés dans le cadre des nouvelles formes d'emplois sociaux moins sur la logique traditionnelle de la certification que sur une logique de compétences et de parcours personnels : animateurs, opérateurs et coordonnateurs sociaux, chefs de projet, chargés de mission, emplois-jeunes sociaux, etc. Mais surtout, dans un troisième cercle, il réunit « les acteurs non spécialisés intervenant dans le champ social »  : police de proximité, enseignants, gardiens d'immeubles... Un choix méthodologique pour le moins contestable, même si les contours du travail social sont moins identifiables qu'auparavant.

Des équipes polyvalentes

Quant à la coordination des actions de terrain, elle passe par la définition d'un responsable unique : pour chaque politique, dans le cadre de la contractualisation pluriannuelle, l'un des partenaires institutionnels doit être chargé du pilotage de l'action concrète. De même le CES invite à développer la polyvalence. Notion elle aussi revisitée puisqu'il ne s'agit plus de tendre à une polyvalence des agents devenue impossible, en raison de la complexité des problèmes sociaux. Mais de systématiser les démarches de « polyvalence des équipes ». En augmentation sensible, celles-ci consistent souvent à introduire une certaine spécialisation au sein d'équipes polyvalentes (de secteur ou plus larges) sur les modèles expérimentés par l'Ille-et-Vilaine, l'Hérault ou Grenoble... Encore embryonnaires, d'autres initiatives visent, sur des sujets plus spécialisés, à instaurer des outils de communication entre l'équipe de travailleurs sociaux et des « référents » extérieurs. Par exemple : le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées de l'Essonne précise les conditions pratiques de la coopération entre les travailleurs sociaux du service départemental et le « référent socio-éducatif » du lieu d'accueil.

Enfin, la constitution « d'atlas » sociaux, supports papier ou informatique, permettant à chaque travailleur social de connaître la structure de son réseau de correspondants, doit être encouragée. Sujet qui renvoie à l'informatisation du travail social. Outre la poursuite de la réflexion éthique engagée sur les conditions du partage des informations nominatives, le CES suggère de pérenniser les cellules départementales de veille informatique. Et surtout d'instituer, dans le cadre du Conseil supérieur du travail social, une instance nationale de réflexion sur l'informatique et la déontologie appliquée au travail social.

Enfin le groupe de travail aborde la formation des travailleurs sociaux. Et ébauche plusieurs pistes destinées à adapter les formations aux évolutions (formalisation de référentiels-métiers), décloisonner les filières par l'instauration « d'un tronc commun d'apprentissage de savoirs partagés », valoriser le travail social avec les groupes, ouvrir l'enseignement à l'éthique et la déontologie, développer la formation continue, rénover les fonctions d'encadrement, promouvoir la validation des acquis professionnels.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  C'est le 9 décembre 1997 que le CES a saisi la section des affaires sociales d'un rapport et avis intitulé « Mutations de la société et travail social ». Disp. fin mai à la Librairie des journaux officiels : 26, rue Desaix - 75015 Paris ou sur Internet www.journal-officiel.gouv.fr

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