Au moment où Jean-Pierre Sueur vient de rendre publiques ses propositions de réforme de la loi du 24 janvier 1997 sur la prestation spécifique dépendance, on peut s'interroger sur la pertinence même d'un ouvrage sur le dispositif. Pourtant l'analyse d'Hervé Marcillat est intéressante à plus d'un titre. D'abord, en nous invitant à une relecture du parcours, pour le moins chaotique, de ce texte législatif, il éclaire les stratégies des différents acteurs qui ont conduit à dénaturer la loi par rapport aux projets initiaux. Il met ainsi en évidence combien les attentes des personnes âgées et de leur entourage ont finalement peu pesé face à un Etat soucieux de maîtriser les dépenses publiques, des départements désireux de ne plus se voir imposer des dépenses par le biais du dispositif de l'allocation compensatrice pour tierce personne et des assureurs privés attentifs à se garder une part de marché. Conséquence : une loi d'assistance particulièrement décevante, sauf peut-être pour les conseils généraux auxquels elle a permis de réaliser des économies non négligeables.
Mais surtout, là où le propos de l'auteur, conseiller technique à la mutualité sociale agricole, est particulièrement pertinent, c'est sur un aspect peut-être moins connu du dispositif, à savoir son rendez-vous manqué avec le travail social. Seule garantie pourtant d'un accompagnement social de qualité pour les bénéficiaires. De fait, alors que les pratiques professionnelles auraient dû se trouver renforcées par la mise en place d'une évaluation médico-sociale au domicile de la personne, la loi a largement failli. « En définissant a minima les contours de la coordination gérontologique et en laissant une large nébuleuse sur les conditions d'exercice de cette fonction, le législateur consacre la pertinence de la prestation financière sur la pertinence de son utilisation », déplore Hervé Marcillat. Et peu de départements ont mis en place des formations permettant aux travailleurs sociaux d'ajuster leurs pratiques à un public qu'ils connaissent mal. Pis, en favorisant le recours à l'emploi direct hors d'un quelconque encadrement, le dispositif contient « une menace de destructuration des métiers de l'aide à domicile ». Et porte un coup sérieux à la professionnalisation des intervenants. Comme dans d'autres domaines du social, les pouvoirs publics ont vu dans la prise en charge de la dépendance un gisement potentiel d'emplois pour les moins qualifiés, semant la confusion sur les objectifs mêmes du dispositif. Ce qui transparaît finalement de l'analyse de l'auteur, c'est combien l'approche monétaire du vieillissement, réduite à la seule mesure du coût de la dépendance, a pesé et pèse sur les politiques de la vieillesse. Contribuant ainsi à renforcer le regard péjoratif de la société sur les personnes âgées dépendantes. Reste à savoir si la réforme de la loi parviendra à inverser les logiques gestionnaires et instrumentalisées de prise en charge des publics vieillissants. En ce sens, l'ouvrage d'Hervé Marcillat permet de mesurer, au-delà des réajustements techniques, le changement culturel qui reste à opérer pour inverser les tendances lourdes qui sont à l'œuvre. I.S.
Vieillesse et société : le rendez-vous manqué - Hervé Marcillat - Ed. érès -130 F.