« Avant, on voyait des salariés arrêtés depuis longtemps, souvent plusieurs années, qui, un lundi matin, revenaient dans leur entreprise, se souvient Martine Rodts , chargée de mission à la Fédération pour la préparation et la suite du reclassement (FPSR). On peut imaginer la difficulté à gérer ce retour, à la fois pour les salariés et pour l'entreprise. » Pour remédier à cette situation, dix organismes et associations du Calvados (1) ont décidé de lancer, en novembre 1999, dans le cadre du Programme départemental pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés (Phase 14), le dispositif de Préparation au retour à l'emploi des salariés en indemnités journalières (PRESIJ) (2).
Innovant et expérimental, celui-ci tire son origine d'une réflexion entamée il y a dix ans. Lorsque, en 1992, un service de maintien à l'emploi est créé au sein du programme Phase 14, services sociaux, médecins, formateurs, syndicats ou encore représentants des organismes paritaires collecteurs agréés du Calvados décident de se pencher sur la prise en charge des salariés handicapés à la suite d'un accident ou d'une maladie.
Leur constat est clair. Selon une étude réalisée en 1989, dans le département, les médecins du travail ne déclarent environ qu'une inaptitude sur dix. La raison ? L'absence d'outils permettant de préparer efficacement le retour à l'emploi des salariés dont l'état nécessite une adaptation de poste ou une formation en vue d'un reclassement. « Les médecins du travail hésitaient donc à déclarer une inaptitude dans la mesure où, en l'absence de propositions concrètes pour aider le salarié à reprendre un travail, cela signifiait un licenciement immédiat », se souvient Michel Frémont, coordinateur du programme Phase 14.
C'est ainsi que les dix partenaires réunis dans le module expérimental d'aide au retour à l'emploi décident d'inverser les choses. Il s'agit, pour eux, d'éviter d'attendre la visite de pré-reprise et les traitements d'urgence. Et de profiter de la période d'arrêt de travail pour évaluer, en amont, les capacités physiques et d'adaptation du salarié à un changement de poste de travail. Tout cela en tenant compte de ses projets professionnels et en tentant de répondre aux questions souvent angoissantes qu'il se pose sur son avenir.
Première étape : repérer les publics susceptibles de bénéficier du dispositif. A partir des signalements des arrêts de travail qui lui sont adressés, le service social de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) informe de l'existence de ce module les personnes dont le handicap rend la reprise professionnelle problématique. Et il les oriente vers le médecin du travail pour une visite de pré-reprise. Laquelle prend alors une tout autre dimension. « Avant, lors de cette visite, on disait à la personne “on va envisager une reconnaissance de handicap, vous allez reprendre le travail et seulement après on pourra déclencher un certain nombre de mesures pour un aménagement de votre poste de travail, etc.” Avec la mise en place du PRESIJ, on saisit rapidement cette phase dynamique du malade, après l'opération ou les soins, pour l'accompagner et l'aider à comprendre ce qu'il va pouvoir faire plus tard », explique Patrick Sappey, médecin du travail.
Cette action est facilitée par le travail de concertation mené avec le médecin traitant, le médecin conseil qui devra donner son accord pour le maintien des indemnités journalières et celui de la Cotorep, sollicité pour reconnaître la qualité de travailleur handicapé à titre provisoire.
Cette formule possède surtout l'avantage, selon les initiateurs du projet, de rendre la personne acteur de son retour à la santé et à l'emploi. En effet, au-delà de la simple observation clinique, cette visite permet à l'assuré d'exprimer ses souhaits, de se projeter dans le futur grâce aux mesures mises à sa disposition par le module.
A partir de cette évaluation commune, le médecin du travail délivre alors un certificat médical d'accès au module et informe le « référent », mandaté par la Fédération pour la préparation et la suite du reclassement, chargé de guider le salarié dans l'évaluation de ses besoins et dans ses choix. « Il s'agit d'abord pour nous de l'accueillir, de valider son niveau d'appréhension de la situation et de l'accompagner en faisant le lien avec les partenaires, les organismes de formation, etc. L'objectif est de lui permettre de faire le meilleur choix possible dans la “vitrine” qu'on lui propose », explique Pascal Michel, directeur de la fédération. A ce stade, le référent a également pour mission de s'assurer de la libre adhésion de l'intéressé au module. Pas question en effet d'imposer à un salarié qui ne serait pas prêt, l'entrée dans ce dispositif.
Cette phase d'information et de concertation terminée, le référent établit alors sur la base du certificat médical d'accès au module, un bon de commande regroupant l'ensemble des actions préconisées. Bilan professionnel lui-même complété par des tests en entreprise, bilan ergonomique afin de déterminer les caractéristiques d'un nouveau poste de travail, évaluation fonctionnelle pour préciser les aptitudes physiques, pourront ainsi être proposés. Le module, d'une durée moyenne de 160 heures, s'étale sur quatre mois au maximum.
Au vu des deux premières sorties de ce tout nouveau dispositif (une personne embauchée en contrat à durée indéterminée dans un poste de commercial et une autre avec un projet de formation), les résultats, certes encore très modestes, semblent pourtant encourageants.
Fondé sur la réactivité et l'exploitation rapide des potentiels et motivations des salariés encore en arrêt de travail, le module vise à éviter le plus possible la rupture avec le monde du travail : « Une fois qu'ils ont perdu leur emploi, les délais nécessaires pour l'instruction d'un dossier Cotorep, pour entrer en formation, pour la recherche d'un travail adapté éventuellement, vont venir accroître le risque d'exclusion. La personne va s'isoler progressivement et le retour à l'emploi sera d'autant plus difficile qu'elle aura pris d'autres habitudes et perdu celles des contraintes, comme se lever tôt le matin, etc., explique Marie-France Bizeul, assistante sociale au service social de la CRAM de Normandie . On est donc parti de l'idée qu'il fallait maintenir ce lien que le salarié avait la chance de conserver avec son employeur ». Une idée confortée, là encore, par la mobilisation des bénéficiaires du module, toujours en cours de formation. « Aux dires des formateurs, c'est une population extraordinaire. Les personnes adhèrent immédiatement au projet, se réjouit Michel Frémont. C'est dû au fait que le temps de séparation avec l'entreprise est très restreint, qu'ils ont toujours le statut de salarié et qu'ils s'accrochent pour le garder. »
Le module de préparation au retour à l'emploi prend toute son importance au regard des caractéristiques de la population principalement touchée par les accidents ou les maladies du travail.
Une grande partie, en effet, des signalements adressés au service social de la CRAM de Normandie, concerne des personnes de plus de 40 ans, peu qualifiées et ayant exercé le même métier tout au long de leur vie professionnelle. Développant des pathologies le plus souvent d'ordre ostéo-articulaires (troubles lombaires, périarthrites, etc.), ces salariés éprouvent d'importantes difficultés à se reclasser, lorsqu'ils sortent du circuit du travail. Pour eux, le PRESIJ constitue donc un outil parfaitement adapté. D'autant qu'il représente souvent la première occasion d'entrer en contact avec des centres de formation ou de bilan. « Nombre de salariés susceptibles d'accéder à ce module se sont formés sur le tas et la formation professionnelle est une pratique assez rare pour eux, constate Valérie Ollivier, sous- directrice de la CPAM du Calvados. Avec ce dispositif, c'est sans doute la première fois que quelqu'un s'occupe d'eux en termes d'émergence de compétences, de potentiels. Rien que pour cela, c'est une révolution pour ces personnes. »
Efficace, cet outil n'a néanmoins vu le jour qu'au prix d'un patient travail d'écoute et de rapprochement entre des acteurs aux pratiques et aux cultures parfois assez éloignées. Pas facile, par exemple, d'accepter du jour au lendemain d'autres conceptions du suivi social : « On a eu le sentiment, au début, que chacun revendiquait son schéma de l'accompagnement et se sentait le mieux placé pour tenir le rôle pilote », se souvient Nadine Porte.
De même, les partenaires ont dû faire preuve de souplesse pour dépasser certaines pesanteurs institutionnelles. Comment, notamment, rendre compatibles la situation d'une personne en arrêt de travail et sa présence au sein d'une entreprise pour des raison de formation ou de tests de compétences ? Le caractère expérimental du module a donc amené certains acteurs, à l'instar de la Cotorep ou de la CPAM, à prendre des mesures dérogatoires pour reconnaître le handicap de la personne à titre provisoire ou pour maintenir le paiement des indemnités journalières pour des publics en formation dans une entreprise. « C'est vrai qu'au départ, nous étions assez réticents sur ce montage, dans la mesure où ces personnes non encore reconnues travailleurs handicapés ne constituaient pas une population susceptible de bénéficier d'une intervention de l'Agefiph, se rappelle Philippe Douis, chargé d'études à l'Agefiph de Normandie (financeur à hauteur de 70 % du module, avec la CPAM du Calvados pour les 30 % restants). Il a donc fallu une dérogation préalable, de la part de la Cotorep, pour que nous puissions intervenir dans le financement. »
Avec le recul, les acteurs de ce partenariat estiment que l'intérêt des services rendus à l'assuré a finalement prévalu sur l'application de règles quelque peu rigides. Et ils cherchent encore à faire évoluer le dispositif. Pourquoi, par exemple, ne pas impliquer les assistants sociaux ou les services médicaux qui reçoivent une personne devant être opérée à la suite d'une maladie ou d'un accident de travail ? Ou bien, comme l'évoque Michel Frémont, intervenir en amont auprès des centres de formation continue, afin de limiter l'émergence de handicaps liés à de mauvaises postures ou pratiques professionnelles ?
Henri Cormier
Dans l'attente d'un premier bilan, qui sera effectué à la suite des cinq premières sorties du dispositif de préparation au retour à l'emploi des salariés en indemnités journalières (PRESIJ), les partenaires engagés dans le module ont d'ores et déjà tiré plusieurs enseignements. Ainsi, une grande partie des bénéficiaires ne souhaitent pas retourner dans leur entreprise d'origine. « On en est encore au stade des hypothèses : il est possible qu'ils éprouvent des difficultés à revenir dans leur ancien milieu professionnel avec des séquelles, parce qu'ils ne supportent pas d'affronter le regard de leurs anciens collègues de travail », avance Michel Frémont. Ces réticences pourraient également être le fait, estiment les responsables du projet, de l'opportunité qui leur est donnée, à travers le dispositif PRESIJ, de redéfinir un choix professionnel. Autre observation : certaines entreprises, très impliquées au départ dans le protocole, s'investissent moins par la suite. « On pense, explique Michel Frémont, que ce module fait émerger des compétences et que l'entreprise qui ne les avait pas vues se sent remise en question et finit par se bloquer. »
(1) Agefiph, CPAM du Calvados, CRAM de Normandie, DDTEFP, Echelon local du service médical, FPSR, URSSAF, Inspection régionale du travail, MEDEF 14, CGPME.
(2) Protocole PRESIJ - Phase 14 : 3, place Saint-Clair - BP 30004 - 14201 Hérouville-Saint-Clair - Tél. 02 31 47 74 79.