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Un professionnel au cœur de la démarche qualité

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Recevant des personnes âgées de plus en plus dépendantes, confronté aux obligations imposées par la réforme de la tarification, le directeur d'établissement, acteur du social et chef d'entreprise, est mis au défi de s'adapter à ces mutations s'il veut remplir une mission de qualité au service des résidents.

« Souvent, en arrivant ici, les personnes âgées me disent : “Je choisis ma dernière demeure.” Comme si elles allaient au cimetière. Mais nous sommes une maison de vie !, s'exclamait Joël Defontaine, directeur de la résidence des Hautes-Bruyères à Bonsecours  (Seine-Maritime), lors du XVe congrès de la Fnadepa (1) . Oui, ces personnes vont mourir chez nous. Pourtant, il faut affirmer haut et fort que chacune d'elles a le droit de vivre avec son âge. » Pas question, pour lui et son équipe, de se résigner à la mort sociale avant la mort biologique. Ils revendiquent, pour leurs résidents, la citoyenneté jusqu'au bout, quel que soit leur degré de dépendance. Pourquoi, par exemple, empêcher une personne pré-démente de déambuler seule ? Pour garantir sa sécurité ? Mais tant qu'elle peut prendre un risque, elle vit, assurent-ils.

Assurer une qualité de vie optimale aux résidents

Avec la disparition des hospices « mouroirs », les pensionnaires sont passés du statut d'assisté à celui de client. Des premières « chartes éthiques » leur reconnaissant des droits, on en arrive aujourd'hui aux « chartes de qualité », dont les signataires s'engagent à traduire, dans la pratique, les principes affichés. Exemples : pas de sobriquets dégradants ou de tutoiement imposé, pas d'intrusion dans les chambres sans frapper, pas de consignation des ressources des bénéficiaires de l'aide sociale, pas de « faire à la place de »...

Assurer une qualité de vie optimale à ses résidents, aussi bien dans la prise en charge matérielle et les soins que dans l'accompagnement quotidien, c'est le sens même du métier de directeur (2) d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Plus de la moitié du public accueilli, de plus en plus âgé en raison du maintien à domicile tardif, souffre de détérioration intellectuelle à partir de 75 ans. L'âge moyen d'un résident en institution est de 85 ans. Il y séjournera en moyenne deux ans et quatre mois.

Face à ces mutations, la profession de directeur ne souffre plus l'amateurisme. Pour preuve, l'évolution des offres d'emploi traitées par l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) entre 1996 et 1999 : leur nombre a doublé et le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (CAFDES) est de plus en plus demandé, même si les salaires annuels offerts stagnaient entre 200 000 F et 216 000 F en 1999. L'âge demandé oscille entre 35 et 50 ans et l'expérience moyenne requise tourne autour de huit ans.

En France, quelque 11 000 institutions publiques et privées - maisons de retraite, logements-foyers, services de soins de longue durée - offrent près de 700 000 places d'hébergement. Mais seuls 240 000 lits disposent de personnels soignants. En vue d'améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes, la réforme de la tarification des EHPAD avait pour objectif l'allocation de moyens en fonction du degré de dépendance des personnes accueillies. A la suite des nombreuses critiques d'une grande partie des acteurs de terrain, la mission Brunetière étudie des propositions visant notamment une meilleure solvabilisation des résidents (3).

« La réforme tarifaire met au rancart nom- bre de nos pratiques professionnelles, analyse Claudy Jarry, directeur de la maison de retraite de La Chapelle-Saint-Laurent (Deux-Sèvres). Comme tout changement, elle génère de l'angoisse et de la résistance. Soumis à l'obligation de résultat et d'évaluation par les bailleurs de fonds, confrontés à la concurrence entre établissements et aux exigences des résidents et de leurs familles, les EHPAD se rapprochent du modèle de l'entreprise. » Gestionnaire de ressources humaines, de moyens matériels et de flux financiers, logisticien et même commercial, le directeur n'est plus seulement un travailleur social ou un cadre hospitalier, il est devenu un manager.

Un professionnel sous pression

Porteur du projet institutionnel, interlocuteur privilégié du conseil d'administration, garant du respect du contrat de séjour de chaque résident, fédérateur d'énergies, rompu à la négociation, le directeur n'en demeure pas moins vulnérable. A tout moment, sa responsabilité peut être mise en cause. Sécurité incendie, hygiène alimentaire, réglementation du travail :une faute involontaire et la justice s'en mêle. Alors, comment faire face ? Pour Claudy Jarry, il est utile de prendre des mesures pour garantir la traçabilité des démarches et de contracter une assurance pour se prémunir contre les procédures pénales. Sans oublier de s'informer sur le plan juridique dans un domaine de plus en plus complexe. Certains outils, comme Internet et le téléphone portable, facilitent les échanges et permettent de gagner du temps. A condition, toutefois, de savoir gérer son temps pour rester disponible et pouvoir continuer à prendre du recul. Notamment par rapport à l'usager.

Ecouter les paroles des résidents

En effet, comment être mieux à l'écoute ? s'interroge Dominique Argoud, sociologue au Centre de liaison, d'étude, d'information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées  (Cleirppa), co-auteur d'une recherche sur La parole des vieux   (4). Le bureau du directeur est perçu, le plus souvent, comme le lieu où aboutissent les doléances. Et la parole libre, subjective, singulière des personnes âgées s'adresse à d'autres qu'à lui : aide- soignante, aide médico-psychologique, infirmière, homme d'entretien. Le sociologue oppose cette parole « réflexive » à la parole fonctionnelle ( « j'ai soif » ), impliquant une action de la part du professionnel. Et il déplore que, faute de temps et d'attention, ce soit cette parole utilitaire, codifiable (celle qu'on va prendre en compte pour remplir la grille AGGIR), que l'on ait tendance à privilégier. Pour gérer ce hiatus, il recommande donc au directeur de favoriser le travail d'équipe afin de rassembler en kaléidoscope les fragments de paroles recueillies par tous les professionnels, y compris les agents de service. Ce qui permettrait au responsable de l'établissement d'avoir une meilleure connaissance des résidents et de leurs attentes. Le sociologue insiste également sur l'importance de formaliser des espaces de parole pour les personnes âgées accueillies. Tout en attirant l'attention sur les plaintes-prétextes qui cachent une demande d'écoute.

Les résidents ne sont pas les seuls à vouloir être entendus : il y a aussi les personnels et les familles. Objet de sollicitations multiples, tiraillé entre diverses exigences, le directeur souffre de ne pouvoir toutes les satisfaire, tentant vaille que vaille de maintenir un équilibre précaire entre des demandes contradictoires. Programmer les repas plus tard ? Cela oblige les employés à couper leur emploi du temps. Faciliter le travail du personnel en matinée ? Cela irrite les familles privées de visite avant 10 heures. Responsable de décisions qui fâchent, le directeur fait office de « mauvais objet », c'est la personne qui frustre et centralise les insatisfactions.

Que va faire le directeur pour gérer cette place ?Abdel Essalhi, psychologue, fait appel à l'analyse transactionnelle pour décrire schématiquement les grands types de directeurs. Un outil d'analyse qui ne fait toutefois pas l'unanimité parmi les professionnels.

Savoir gérer son autorité

Les conflits sont inévitables. Le directeur doit savoir les gérer. Tout est dans l'exercice du pouvoir. Lydie Bizolon et Claudine Heinrich, psychothérapeutes, consultantes et conseils en entreprise, distinguent deux types de pouvoir : le pouvoir organisationnel et le pouvoir personnel. Le premier est une capacité légale donnée par la fonction ; il est réparti et délimité. Le second, indivisible, prend sa source dans l'énergie de celui qui l'exerce. L'autorité découle de la cohérence de ces deux modes de fonctionnement. Souplesse, délégation de pouvoir, valorisation des personnes, l'autorité n'est reconnue que lorsqu'elle est porteuse de sens.

Le sens, lui, réside dans les valeurs qui fondent le projet de vie pour la personne âgée : l'aider à préserver un minimum d'autonomie physique, psychique et sociale. Faire en sorte que la maison de retraite ne soit pas un lieu d'attente, mais un lieu où l'on conserve son humanité. C'est le credo de Joël Defontaine, qui a mis en place des groupes d'histoire de vie animés par un psychologue, dont le souci est de faire émerger les désirs. Et pour favoriser les rencontres intergénérations, le directeur n'a pas hésité, avec l'accord de la caisse d'allocations familiales, à louer, dans un bâtiment annexe, des chambres à huit étudiants qui prennent leurs repas avec les résidents. Autre initiative : « l'embauche » de deux ingénieurs retraités comme chefs de projet pour travailler avec l'architecte chargé de restructurer les locaux à mettre en conformité avec les normes...

Françoise Gailliard

TARIFICATION ET QUALITÉ

Dans le cadre de la réforme de la tarification (5) , en signant une convention avec le conseil général et l'Etat, chaque établissement s'engage à respecter un cahier des charges dont les recommandations visent une démarche de qualité. Le guide d'auto-évaluation, qui doit être largement diffusé, est ressenti par certains comme une contrainte. « Cet outil n'a aucun caractère obligatoire, explique-t-on à la direction de l'action sociale. C'est juste un relevé d'interrogations » auquel le directeur et son équipe peuvent se référer. Chaque établissement peut se forger ses propres référentiels d'auto-évaluation mais, dans leur démarche de contrôle, les départements et les services déconcentrés de l'Etat ne vont-ils pas préférer, pour plus de facilité, se servir de ce guide ? C'est la question que se pose Françoise Toursière, directrice de la Fnadepa, qui, par ailleurs, déplore la position inconfortable des établissements qui attendent, pour signer une convention, les nouvelles dispositions concernant la tarification : « Tant que rien n'est décidé, il est hors de question que la fédération conseille à ses adhérents de servir de cobayes. » En attendant, la Fnadepa participe, au sein du Conseil national de la consommation, à la mise au point d'un modèle de fiche de présentation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qui devrait permettre aux usagers de comparer les établissements. De son côté, sous l'égide de l'Association française de normalisation, un groupe de reflexion stratégique s'est constitué pour déterminer les besoins des personnes âgées et handicapées hébergées en institution au regard des normes ISO. Présidé par Catherine Bachelier, déléguée interministérielle à l'accessibilité, ce groupe de travail mettra l'accent sur l'ensemble du cadre de vie, des services et prestations en direction des personnes à mobilité réduite. Composé notamment de représentants institutionnels, du secteur associatif et des assurances et des mutuelles, il devrait tenir sa première réunion début juin.

Notes

(1)  Organisé à La Rochelle les 23 et 24 mars 2000 sur le thème « Directeur, un métier en mutation »  - Fédération nationale des associations de directeurs d'établissement pour personnes âgées : 60, rue Grignan -13001 Marseille - Tél. 04 91 54 16 60.

(2)  L'emploi du terme masculin ne doit pas cacher que la profession est exercée à plus de 50 % par des femmes.

(3)  Voir ASH n° 2157 du 10-03-00.

(4)  Voir ASH n° 2121 du 28-05-99 - Disp. aux Ed. Dunod - 165 F.

(5)  Voir ASH n° 2117 du 30-04-99.

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