Grâce à la trithérapie, la grande majorité des malades du sida envisage à nouveau un avenir et souhaite retrouver une vie professionnelle. Cependant, les contraintes et les effets secondaires du traitement, la grande fatigabilité des malades ou les réticences des chefs d'entreprise sont des obstacles sur le chemin de leur réinsertion. Afin de mieux les cerner, Aides (1), en collaboration avec Vivre, association d'intégration des personnes en difficulté de santé (2), est à l'origine de trois enquêtes, l'une auprès des malades, l'autre auprès des personnes chargées de leur réinsertion - équipes de préparation et de suite au reclassement des travailleurs handicapés (EPSR) et organismes d'insertion et de placement (OIP) - et la dernière enfin auprès des entreprises. Elles ont été rendues publiques à l'occasion du colloque « Accès, retour et maintien dans l'emploi des personnes atteintes par le VIH/sida », qui s'est déroulé le 14 avril à Paris.
La première enquête, menée par Aides en direction des personnes séropositives ou malades du sida (3), révèle qu'un tiers seulement des répondants ont des revenus professionnels, alors qu'un autre tiers vit de l'allocation aux adultes handicapés et un dernier tiers de revenus comme le RMI, les allocations Assedic ou la pension invalidité.
« Un fort désir de maintien, d'accès, de retour à l'emploi »
Quelle que soit la situation en matière d'emploi, « la population interrogée se caractérise par un fort désir de maintien, d'accès, de retour à l'emploi. 75 % des personnes sans emploi souhaitent reprendre une activité », souligne l'étude.
Cependant, les difficultés liées à la maladie et à la trithérapie peuvent contrecarrer cette volonté d'intégration professionnelle. En effet, 59 % des personnes interrogées évoquent des difficultés dans la prise du traitement (contraintes horaires, effets secondaires) et 73 % se déclarent fatiguées. Cela explique peut-être pourquoi un bon tiers de celles qui travaillent aspirent à changer d'activité ou à aménager leur temps de travail. Elles avouent, enfin, dissimuler leur séropositivité dans l'entreprise (58 % des répondants).
La deuxième étude, réalisée auprès des EPSR et des OIP d'Ile-de-France, démontre que l'insertion des porteurs du VIH est toujours « un véritable parcours du combattant » (4). La majeure partie des chargés d'insertion déclare ne pas adopter de démarche spécifique aux malades du sida, mais confirme que la fatigue et les contraintes liées à la prise des médicaments sont des obstacles à l'entrée en formation ou en entreprise. Ils évoquent aussi d'autres problèmes : les personnes séropositives « éprouvent des difficultés à parler de leur maladie » - qu'elles n'admettent pas toujours, d'ailleurs -, et leur niveau de formation est inférieur ou égal, pour 66 % d'entre elles, au CAP. La plupart des porteurs du VIH ne peuvent ou ne veulent pas reprendre leur ancien métier et ont donc un important besoin de formation. Or, les OIP et EPSR le dénoncent fortement, aucun organisme de formation n'adapte ses horaires aux personnes fatigables.
Lorsqu'ils parviennent à s'intégrer, note l'enquête, les porteurs du VIH sont embauchés en majorité dans des emplois à temps partiel et sédentaires (centres d'appels téléphoniques par exemple). Les chargés d'insertion soulignent que si les employeurs respectent le secret médical, ils sont réticents à adapter les postes de travail aux malades fatigables. Ils craignent, en effet, les conséquences de l'aménagement sur les autres salariés, qui risquent alors de mal intégrer la personne.
Attentisme des chefs d'entreprise
Cet attentisme des employeurs est confirmé par la troisième étude, demandée par Aides, et effectuée auprès d'une vingtaine d'entreprises privées (5). Les chefs d'entreprise ne jugent pas nécessaire d'agir tant que le salarié séropositif assure normalement son travail. De plus, méconnaissant la maladie et considérant que le stress et la fatigue sont le lot de tous les salariés, ils sous-estiment la vulnérabilité et la fatigabilité des porteurs du VIH. Certes, les employeurs interrogés condamnent par avance toute discrimination, mais « l'insertion d'une personne malade est perçue comme un facteur fragilisant l'entreprise », relève l'étude.
Pour une majorité d'acteurs du monde professionnel, il faut être solidaire avec ces personnes. Ce qui ne les empêche pas néanmoins d'exprimer leurs craintes d'une « remise en cause partielle de la pérennité de l'entreprise ». Et d'exiger que le salarié prouve « qu'il n'abusera pas de sa condition de malade ». L'enquête souligne le paradoxe dans lequel sont emprisonnés les porteurs du VIH : « Afin de faire la preuve de leur implication [...] et, ainsi, espérer compter sur la solidarité des membres de leur entreprise, [ils] devront passer outre à leur vulnérabilité au risque de l'aggraver. »
En l'état actuel des mentalités et de l'ignorance sur le sida et la trithérapie, la révélation de la séropositivité à l'entretien d'embauche « paraît encore fortement risquée » , observe enfin l'enquête.
A l'issue de ces études et du colloque, le président d'Aides, Christian Saout, a préconisé, en plus d'une campagne d'information, notamment auprès des représentants des salariés et des chefs d'entreprise, une adaptation du cadre juridique pour « créer un sas d'accès à l'emploi ». En premier lieu, une autorisation du cumul des minima sociaux (en particulier de l'AAH) et des revenus perçus au cours de la réinsertion éviterait aux porteurs du VIH de se trouver totalement démunis à la fin d'un contrat en entreprise. Le code du travail devrait permettre d'offrir aux personnes dont la maladie évolue de manière imprévisible des postes à temps choisi ou annualisé. La formation doit également être adaptée aux besoins des malades fatigables, et la loi encadrer l'action des opérateurs de la réinsertion professionnelle, a ajouté Christian Saout. P.D.
(1) Aides Fédération nationale : 23, rue du Château- Landon - 75010 Paris - Tél. 01 53 26 26 26.
(2) Vivre : 2, square Lamartine - 94230 Cachan - Tél. 01 45 46 33 61.
(3) Du 7 juin au 30 août 1999 auprès de 630 personnes fréquentant les comités régionaux de l'association Aides, en France métropolitaine et Guyane.
(4) Pendant le second semestre 1999 par l'association Vivre. Questionnaires et entretiens auprès de 17 EPSR et OIP d'Ile-de- France.
(5) De novembre 1999 à mars 2000 par l'Institut de l'humanitaire, la DGS, l'Agefiph, Aides, le Club européen de la santé auprès d'un échantillon de 16 entreprises. Entretiens avec les DRH et les autres acteurs de l'entreprise (représentants du personnel, médecins du travail, salariés, etc.).