« L'enfant victime est toujours dans la même situation devant l'institution judiciaire, toujours dans l'obligation d'apporter la preuve de sa souffrance. La parole de l'enfant n'est pas entendue, n'est toujours pas considérée comme crédible. » Dans un rapport consacré à « la lutte contre la pédophilie et la maltraitance des enfants », remis le 14 avril à la ministre de la Justice, l'association L'enfant bleu (1) dresse un « constat d'échec devant l 'inadaptation de notre système judiciaire » et « devant la criminalité dont sont victimes les enfants ». Et propose différentes mesures pour « une véritable politique de protection de l'enfance ».
Mettre en place un fonds spécial ?
En premier lieu, la création d'un fonds spécial destiné à lutter contre la « pédo-criminalité », géré par un secrétariat d'Etat aux enfants rattaché directement au Premier ministre, « pour éviter les conflits de ministères ». Des juges devraient en outre, selon l'association, être spécialisés dans la lutte contre les réseaux pédophiles et la maltraitance infantile en général. Autre piste suggérée : rendre impossibles les classements sans suite et les ordonnances de non-lieu sans l'avis préalable du plaignant ou de la partie civile. « Alors que les spécialistes sont d'accord pour estimer que, dans seulement 5 à 6 % des cas, les enfants ne sont pas crédibles », 80 %des plaintes déposées au parquet sont classées, relèvent les auteurs. Lesquels revendiquent également pour les associations spécialisées la possibilité de se constituer partie civile dans toutes les affaires de maltraitance au sens large et de pédophilie, dans des situations, par exemple, de privations de soins, d'incitation à la débauche, à la consommation d'alcool ou de stupéfiants, dans les affaires de diffusion et de détention de cassettes à caractère pornographique. De plus, elles devraient pouvoir déclencher l'action publique lors de défaillance des pouvoirs publics ou du parquet ou en l'absence de plainte des victimes ou de leurs représentants légaux. « Seule la cour d'assises est et demeure compétente pour juger les crimes commis sur les enfants. Il faut donc mettre fin à la correctionnalisation », ajoute le rapport. L'enfant bleu exige aussi une publication « sans délai » des décrets d'application de la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles et la protection des mineurs (2), en particulier ceux concernant l'injonction de soins, « afin d'éviter la récidive ou la commission d'infractions plus graves ».
Des retards inadmissibles
Les retards pris dans l'application de cette loi -notamment dans la mise en place d'un fichier central sur les empreintes génétiques d'auteurs d'abus sexuels -sont aussi jugés « inadmissibles » par la Fondation pour l'enfance (3), qui les perçoit « comme une forme de laxisme, voire de non-volonté politique » . L'organisation, appuyée par le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade), demande que « sous l'égide du Premier ministre, une information [sur ces retards ] soit délivrée aux associations nationales de protection de l'enfance et aux associations de victimes ».
(1) Créée depuis dix ans, elle a pour objectif d' « apporter une aide immédiate à l'enfant victime, de le protéger, de l'aider à se reconstruire ». Son fonctionnement repose essentiellement sur des équipes bénévoles pluridisciplinaires : médecins, psychologues, coordinateurs sociaux, avocats, juristes... L'enfant bleu : 86-90, rue Victor-Hugo - 93170 Bagnolet - Tél. 01 55 86 17 57.
(2) Voir ASH n° 2077 du 26-06-98.
(3) Fondation pour l'enfance : 17, rue Castagnary - 75015 Paris - Tél. 01 53 68 16 50.