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Handicap mental et maltraitance : une souffrance tue

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Dans un rapport à paraître prochainement, l'Unapei révèle les multiples formes de maltraitances infligées aux personnes handicapées mentales. Et jette une lumière crue sur les violences souvent ignorées que subissent ces publics particulièrement vulnérables.

Dans un foyer de vie, considéré pourtant comme « au-dessus de tout soupçon », une mère se plaint des traitements réservés à sa fille handicapée mentale, violentée physiquement ou lourdement négligée. Elle est taxée de paranoïa jusqu'au moment où elle présente des photos appuyant ses dires. Les sévices endurés sont si graves que la jeune fille subira une intervention chirurgicale qui la laissera dans un état quasi végétatif. L'enquête, tout en mettant au jour deux cas de morts violentes, ne débouchera pas en raison des nombreux appuis de la direction de l'établissement... Ailleurs, dans un foyer pour adultes, les agissements d'un professionnel éveillent les doutes de ses collègues. Interrogés, les résidents révèlent que X procédait à des attouchements, voire plus. Licencié pour faute grave, ce dernier contestera cette sanction auprès du conseil des prud'hommes et réclamera des dommages et intérêts... Autre cas : Emma a 29 ans et travaille en centre d'aide par le travail. Dans sa famille, elle se sent totalement dévalorisée et humiliée du fait de son handicap. Interpellé, le service social tente une médiation familiale. Emma finira par aller vivre chez son ami. On apprendra alors sa stérilisation à 18 ans, imposée à son insu par sa tante.

  Le refus de l'Autre différent

Voilà quelques exemples fondés sur des faits réels, révélés par l'Unapei dans le document qu'elle devrait rendre public sur les maltraitances des personnes handicapées mentales et que les ASH ont pu se procurer (1). Aux termes d'une démarche engagée de juillet 1998 à décembre 1999, un groupe de travail « Maltraitance », composé de parents, de professionnels et de personnes qualifiées, a abordé, pour la première fois, les multiples formes de ce phénomène au sein de la famille, des institutions, de la société. Il lève le voile sur un sujet qui, hormis quelques scandales, reste encore tabou. En tout cas, largement éclipsé par la médiatisation des mauvais traitements infligés aux mineurs. Il est évident que les difficultés intellectuelles des personnes ne facilitent guère la révélation des faits. Mais ce silence est surtout symptomatique de l'état de l'opinion vis-à-vis de l'Autre « différent », perçu comme menaçant. Attitude qui légitime inconsciemment certaines formes d'agressions « défensives ». Comme le rappelle le document, « le handicap mental porte, en effet, la marque de la “défaillance” la plus inacceptable, la plus anxiogène, celle de la raison ».

Premier constat du groupe de travail : les études quantitatives ou chiffrées centrées sur les maltraitances de ces publics sont rares. Que ce soient les données de l'ODAS ou les rares enquêtes épidémiologiques existantes, aucune ne distingue la notion de handicap. Certes, l'inexistence de recherche d'envergure sur ces personnes vulnérables est justifiée par le principe de non-discrimination. Mais que défend-on vraiment quand l'absence d'études spécifiques « perpétue, grâce à l'ignorance ou la confusion des idées et des témoignages parcellaires, la menace d'actes maltraitants ? », s'irrite l'Unapei .Sans compter qu'à ce manque de données objectives sur le nombre et la nature des maltraitances, s'ajoute l'absence de définition adaptée. Celle de l'ODAS, qui reste la plus utilisée -  « l'enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique » -, est en effet peu satisfaisante pour les personnes handicapées mentales. Comment considérer le critère des effets à long terme, particulièrement difficiles à évaluer pour ces publics aux particularités et évolutions si disparates ? Comment estimer l'impact psychologique sur une personne déficiente ?, s'interroge encore l'Unapei. Si les conséquences des maltraitances ne peuvent pas être analysées pour les personnes handicapées mentales de la même manière que pour les enfants, leur situation est pourtant proche « en ce qu'elles sont fragiles, vulnérables et surtout dépendantes ». Et ce sont, statistiquement, ces personnes qui encourent les plus grands risques de maltraitance.

  Eviter la suspicion généralisée

Faute de données objectives, le groupe de travail a donc choisi une approche pragmatique, fondée sur quelques cas « types ». Et, surtout, afin d'éviter de jeter une suspicion généralisée sur le phénomène, il ne s'est pas arrêté à la maltraitance stricto sensu. Il a examiné ses aspects périphériques, comme les actes, négligences, dysfonctionnements susceptibles de générer potentiellement, notamment par leur cumul, des violences. Parti pris nuancé qui permet de mesurer le poids des interactions entre les éléments de l'environnement de la personne handicapée.

L'un des intérêts du document est de mettre en évidence la complexité des liens entre handicap mental et maltraitance. Lequel entraîne l'autre ? On sait ainsi que l'absence de soins par les parents pendant la petite enfance peut provoquer des retards physiques et intellectuels importants, des troubles psychiques, voire des séquelles irréversibles. De même les violences physiques sur le corps ou la tête de l'enfant provoquent nombre de handicaps. Enfin, des situations psychologiquement insupportables s'accompagnent parfois de silence, de retard ou d'absence de langage. Et l'impensable peut être géré par l'entrée dans la « folie ». A l'inverse, le handicap peut entraîner des réactions défensives des familles et générer une tension, voire d'éventuels actes de maltraitances. S'ensuit alors une culpabilisation de l'enfant, une honte souvent, qui peut elle-même produire une sorte d'angoisse permanente, des troubles psychologiques graves. Quelquefois le mutisme le guette : « un enfant maltraité ou abusé, selon la nature de son handicap, risque fort de vivre ou d'entrer dans la confusion ou l'incompréhensible dès la survenue de l'acte », relève l'Unapei. Et c'est l'observation de l'entourage qui permettra de mettre en mots l'innommable.

Mais il y a aussi l'agressivité des personnes handicapées. Certains troubles, en effet, peuvent donner l'impression que la violence est toujours présente. Ainsi des personnes ayant des comportements autistiques ou souffrant de psychoses infantiles en arrivent parfois à maltraiter leurs parents, leurs amis ou leurs éducateurs. Et ce climat de violence peut perdurer, surtout si aucune aide n'est recherchée à l'extérieur de la famille ou de l'institution. L'Unapei rappelle à ce sujet le signalement de nombreux cas de délégués à la tutelle - cibles particulièrement privilégiées- attaqués et contraints de mettre en place des mesures de protection. Ces agressions épisodiques ou répétées doivent bien évidemment interroger les professionnels et les parents en raison même de la souffrance qu'elles révèlent. Ce qui n'empêche pas, défendent les auteurs du rapport, « d'appliquer la loi, de trouver les moyens pour que cesse cet engrenage, voire une passivité trop souvent justifiée à tort par le fait que l'agresseur serait une personne handicapée mentale, ”qui ne sait pas ce qu'elle fait” ».

Mais comment repérer la maltraitance quand la victime ne veut ou ne peut témoigner de ce qu'elle a subi ?Il n'existe pas vraiment d'indicateurs spécifiques, d'autant plus que les maltraitances physiques ou psychologiques peuvent se cumuler, relève l'Unapei. De plus, on n'observe aucun parallélisme entre l'intensité des signes observés et le danger encouru par la victime. Seul l'abus sexuel peut être décelé et, encore, à condition de ne pas prendre ces indices de façon isolée mais de les recouper : refus de se déshabiller, d'être lavé par certaines personnes (pas forcément l'agresseur, mais quelqu'un qui en présente des caractéristiques)  ; comportements, dessins et jeux sexuels déviants ; obéissance excessive, fugues, régression, etc. Sachant que « le syndrome du non-signe » existe aussi ; lorsque l'agresseur contraint au silence sa victime ou que le traumatisme ou la culpabilité dominent. A cela s'ajoute souvent la peur de bousculer l'environnement habituel,  d'autant que « la maltraitance est presque exclusivement du fait de personnes connues, parfois de proches impliqués dans l'accompagnement, ayant à ce titre un rôle déterminant dans la réponse à des besoins quotidiens et essentiels ».

Seule certitude pour l'Unapei : dès qu'il y a doute et interrogations, les professionnels doivent tenter de dialoguer avec l'enfant ou l'adulte handicapé et les autres personnes de son entourage. Surtout, en cas de signalement administratif ou judiciaire, tout doit être mis en place pour accompagner la personne tant sur le plan psychologique qu'au cours de ses rencontres avec les différentes autorités. Reste néanmoins, selon l'Unapei, au vu des lenteurs des procédures et de l'insuffisance parfois du soutien, à développer des alternatives, des solidarités de proximité pour pallier le manque de moyens institutionnels.

  Suppléer n'est pas remplacer

En plus des maltraitances qui se produisent en famille, il y a celles générées par l'institution. Laquelle peut faciliter la survenue de tels actes ou, s'agissant des abus sexuels, favoriser leur répétition avant qu'une alerte ne soit donnée. A quel moment peut-on dire qu'il y a maltraitance ? « Il existe une violence faite à un usager dès lors qu'une institution ne remplit plus sa mission à son égard, dès que la qualité de son accueil n'est plus garantie, dès que les intérêts de l'institution priment sur ceux de l'usager accueilli », affirme l'Unapei. Au-delà des violences physiques ou verbales manifestes, quelques actes maltraitants sont assez spécifiques de certains contextes institutionnels : menaces verbales, chantages sur la continuité de la relation, sur la prise en charge ; violences par inconséquence, « oubli » de la personne, mise à l'écart, surveillance stricte...

Quels sont les facteurs de risque ? Outre la nature des handicaps, l'hétérogénéité des personnes accueillies, la mise à l'écart des parents, etc. l'Unapei insiste sur la notion de suppléance aux fonctions parentales au cœur de la fonction professionnelle. « Suppléer n'est pas remplacer, mais assumer également des fonctions parentales », rappelle l'organisation. Or cela évoque pour le professionnel « ses propres représentations parentales, réveillées par son travail avec des enfants ou des adultes dépendants ». Ce qui peut empêcher toute analyse objective et avoir un effet plus ou moins déstabilisant. A cela s'ajoutent les risques d'envahissement psychique, d'épuisement, de sentiment de vacuité du travail liés au fait d'être en relation au quotidien et sur du long terme avec des personnes gravement dépendantes, sans langage, souffrant de troubles du développement global ou de carences affectives précoces.

  Soutenir les professionnels qui dénoncent

S'il faut donc être vigilant sur la fonction éducative, d'autres facteurs institutionnels interviennent : isolement géographique de l'établissement, mauvaise organisation des équipes, inadaptation de la politique éducative, pauvreté du projet associatif, absence de règlement intérieur, etc. Autant de dysfonctionnements dont il faut repérer précisément les indicateurs pour réorganiser et réviser le dispositif d'accueil. Sachant, insiste l'Unapei, qu'il faut veiller, après un acte de maltraitance survenu en établissement, au sentiment de honte que peut éprouver le personnel, souvent culpabilisé de n'avoir pu protéger les victimes. Et surtout, de façon systématique, « un soutien psychologique est à apporter aux professionnels dénonçant des abus présumés ou avérés, ou à ceux ayant été accusés d'abus avant que la Justice ne détermine la réalité ». Une prise de position qui va dans le droit fil de la réflexion ministérielle engagée pour prévoir des dispositions protégeant les travailleurs sociaux de risques de licenciement en cas de dénonciation (2).

Elément à prendre également en compte, le nécessaire soutien des autres résidents quand une personne a subi des violences.  « Au-delà du traitement de l'impact émotionnel dû à l'agression, de la mise en mots de ce qui est arrivé, il s'agit aussi de rassurer, d'indiquer que le cadre institutionnel protège, que les professionnels sont autant de personnes dignes de confiance et susceptibles à l'avenir de recevoir une plainte d'abus dans le respect de la victime. » Pour l'Unapei, il convient donc de restaurer la confiance dans l'établissement en organisant, entre autres, des temps et des lieux de parole formalisés, la mise à disposition de tous du numéro vert, en suscitant la participation des usagers à la vie du service. Et lorsque les personnes sont lourdement handicapées, sans usage de la parole, le règlement intérieur doit stipuler très clairement quels sont les médiateurs ou les personnes garantes de l'expression et de la protection des résidents.

Mais d'autres lieux peuvent générer des maltraitances comme l'institution hospitalière générale ou psychiatrique. « Devant la multiplicité des soins, la personne handicapée mentale a besoin d'une information et d'un accompagnement adaptés, dans un climat de confiance réciproque. » Outre les abus de pouvoir à l'hôpital, l'Unapei relève la difficulté des soignants à évaluer la douleur de ces publics. Ne serait-ce que parce qu'ils sont souvent incapables de se représenter leur corps, les liens entre la maladie et ses symptômes ainsi que le siège précis de la douleur. Et sur ce point, le rapport propose d'engager une réflexion sur l'expression de la souffrance de la personne polyhandicapée et psychotique pour construire des échelles d'évaluation. Autre difficulté, « les usages et mésusages des médicaments », qui devrait être en partie réglée par la circulaire du 4 juin 1999 (3). Puisque tous ceux qui accompagnent ces publics vulnérables sont désormais autorisés, à côté des infirmières, à les distribuer. Enfin, l'Unapei relève l'ensemble des maltraitances liées aux dysfonctionnements du dispositif d'accompagnement de la personne handicapée, de l'enfance à l'âge adulte : problèmes de places, d'orientation, de prise en charge, impréparation des personnes aux mesures de tutelle. Autant de failles et de lacunes qui, pour l'Unapei, mettent en évidence que « la violence fondamentale faite à ces personnes n'est pas une maltraitance à proprement parler, mais en est la condition nécessaire : c'est la non-reconnaissance de leur dignité, de leur statut de sujet désirant ».

Isabelle Sarazin

Notes

(1)   « Maltraitances des personnes handicapées mentales dans la famille, les institutions, la société ; repérer, agir, prévenir » - Unapei : 15, rue Coysevox - 75876 Paris cedex 18 - Tél. 01 44 85 50 50.

(2)  Voir ASH n° 2151 du 28-01-00.

(3)  Voir ASH n° 2123 du 11-06-99.

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