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IOD, le pari de l'accès direct à l'emploi

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Depuis 1997, le conseil général des Alpes-Maritimes expérimente, avec succès, la méthode bordelaise « interventions sur les offres et les demandes » (IOD). L'objectif ? Faire accéder directement à l'emploi durable au moins 50 % des allocataires du RMI.

« La méthode ne m'a pas plu d'emblée. » Jean Quentric, directeur d'ACTES, le reconnaît sans détours. Quand, en 1997, son association spécialisée dans l'insertion sociale et professionnelle (1) a été retenue par le conseil général des Alpes- Maritimes pour expérimenter la technique bordelaise « interventions sur les offres et les demandes » (IOD), il n'était pas « totalement » convaincu de son efficacité. A la différence du conseil général qui, d'ailleurs, avait même décidé de faire d'IOD le fer de lance de sa nouvelle politique d'insertion. Histoire de marquer un changement de cap. Car, après des années de « non-consommation des crédits », le département était soucieux de « reprendre en main » son dispositif d'insertion et de le réorienter vers l'emploi. Une réorientation jugée plus que nécessaire, les Alpes-Maritimes se plaçant parmi les départements qui comptent le plus grand nombre d'allocataires du RMI. « Avec IOD, nous avons voulu lutter contre deux idées reçues en période de chômage de masse : primo, qu'il est souvent impossible de trouver un emploi aux allocataires du RMI et, secundo, que certains d'entre eux sont inemployables », commente Christophe Paquette, directeur de la délégation à l'insertion et au logement (DIL), spécialement créée pour mettre en œuvre la nouvelle politique du département (2).

Accès direct à l'emploi durable

Reste qu'au sein d'ACTES, vieille dame du travail social dans les Alpes-Maritimes, il a fallu quelque temps pour qu'IOD séduise. La méthode, il est vrai, bouscule les pratiques. Son défi ? Faire accéder « directement » à un emploi « durable » (un contrat de travail d'au moins six mois, après période d'essai conclue) a minima 50 % des personnes, peu ou pas qualifiées, suivies : des allocataires du RMI ici, selon les souhaits du département, financeur de l'action. Comment ? En confiant à des équipes le soin de prospecter, pour le compte des allocataires du RMI, des offres d'emploi - si possible en contrat à durée indéterminée (CDI) - dans les PME ne recourant pas à l'intérim (trop cher) et recrutant souvent par petites annonces. Bref, en se concentrant sur la mise en relation avec les entreprises, et non pas sur la résolution des freins à l'emploi. « La méthode me semblait trop focalisée sur le placement en entreprise. Elle rompt avec notre approche de l'exclusion, centrée sur les personnes en difficulté, et avec nos actions qui visent un accompagnement global et inscrit dans la durée, via la mise en place de parcours d'insertion », reprend Jean Quentric.

Mais deux années de pratique ont réduit à néant les doutes initiaux. Il faut dire que l'emploi est bel et bien au bout : sur les 1 500 allocataires du RMI suivis (âgés en moyenne de 43 ans) depuis mi-1997, près de 63 % ont signé un contrat de travail, dont un sur trois en CDI. Et le directeur d'ACTES n'hésite plus, aujourd'hui, à qualifier IOD de « révolution pour le travail social ». « Faire accéder directement à un emploi, sans phase préalable, des personnes en difficulté est possible, quand on y met les smoyens. Et l'on peut, simultanément, traiter les problèmes périphériques ». Pas question, pour autant, d'opposer parcours d'insertion et accès direct à l'entreprise. Au contraire, ces deux pratiques sont « complémentaires », martèle Jean Quentric. « Certains, parce qu'ils ont besoin de reprendre confiance, préféreront un parcours long. D'autres opteront pour un emploi direct. »

Déjouer les pratiques sélectives

Comment expliquer un tel résultat ? « Nous agissons, d'emblée, sur les pratiques sélectives des employeurs, à l'embauche, mais aussi en cours d'emploi », résume Frédéric Bettini, à la tête d'Alpes-Maritimes Cap entreprise, l'association créée par ACTES pour mettre en place la méthode IOD. D'abord expérimentée sur le territoire de deux commissions locales d'insertion (CLI), la méthode a été progressivement mise en œuvre sur tout le département : aujourd'hui, chacune des huit CLI compte une équipe Cap entreprise, travaillant en liaison avec les assistantes sociales polyvalentes de secteur, chargées d'orienter les allocataires du RMI. « La motivation est le seul critère de sélection », note Monique Fernandez, assistante sociale à Cagnes- sur-Mer.

Pour faire accéder les allocataires du RMI à l'emploi, les équipes de l'association ne dénichent pas seulement des offres en constituant un réseau d'entreprises partenaires. Elles renégocient aussi « avec les employeurs les profils demandés ». « Nous décomposons le poste en tâches à effectuer. Définir les tâches à accomplir, au lieu de parler des profils de personnes, permet d'inverser la vision du chef d'entreprise et de s'assurer de ses attentes par rapport au salarié. Nous pouvons alors lui proposer quelqu'un qui convient au poste mais qu'il aurait écarté parce qu'il le juge pas assez expérimenté ou qualifié », précise Frédéric Bettini. Bien connaître le type de travail demandé est un atout majeur. Mais il y a d'autres moyens de déjouer les pratiques sélectives : éviter d'envoyer un CV, de mettre en avant la possibilité de recruter l'allocataire du RMI avec un contrat aidé ( « trop stigmatisant » ), s'abstenir de proposer plusieurs candidats. « L'entreprise n'est pas déçue car elle gagne du temps. Sans compter que nous lui expliquons que l'enjeu ne réside pas dans la manière de sélectionner une personne mais de la faire adhérer au travail », ajoute Frédéric Bettini. Dernier atout : le suivi en emploi qui permet de prévenir des ruptures de contrat pour des raisons infimes. « Un simple manque de communication, parfois, entre l'employeur et son salarié », note Frédéric Martin du Theil, chargé de mission dans l'équipe de Nice-Est.

Face à l'allocataire du RMI, les équipes Cap entreprise se veulent dans une logique de « propositions plus que de diagnostics ». « Nous cherchons à recréer pour chacun une situation virtuelle de plein emploi. Comme la personne se retrouve en position de choisir, avec plusieurs propositions concernant des métiers différents, elle remobilise souvent des ressources insoupçonnées », affirme Frédéric Bettini. Autre principe : faire comprendre à l'intéressé qu'il a la possibilité de refuser l'offre d'emploi. Sans que cela lui porte préjudice. « Mettre la personne en situation de libre choix est essentiel. C'est valorisant pour elle et cela évite les ruptures ultérieures de parcours. Car la personne a choisi la proposition d'emploi qui lui semblait la plus satisfaisante. Elle tient ses engagements », conclut Frédéric Bettini. C'est d'autant plus important que les postes proposés (dans la restauration, le nettoyage, l'hôtellerie, la grande distribution, le commerce de gros), peu qualifiés, peuvent se révéler difficiles à assumer.

Un dispositif trop souple ?

Quant aux problèmes périphériques à l'emploi ? Ils seront résolus avec l'aide des assistantes sociales. Parfois, des difficultés apparaissent dans l'articulation entre Cap entreprise et les autres dispositifs du programme départemental d'insertion. Il est vrai que le conseil général, sous la houlette de Christophe Paquette, a tout fait pour que l'association puisse intervenir le plus rapidement possible : ainsi, les allocataires du RMI peuvent intégrer Cap entreprise avant même que leur contrat d'insertion ne soit validé par la CLI. Une petite entorse au règlement : habituellement, ce n'est qu'après que l'allocataire peut intégrer la mesure. Cette souplesse du dispositif a révélé d'autres lourdeurs administratives, notamment en matière de mobilité. Essentielle quand il s'agit d'aller travailler. « Pour obtenir une carte de bus, il faut que l'assistante sociale, avec laquelle nous travaillons, ait l'autorisation de la CLI. Cela peut prendre du temps, alors que l'offre d'emploi est parfois à pourvoir dans la semaine », explique Florence Romano, chargée de mission à l'équipe Cap entreprise de Nice-Est.

Récemment, un autre problème, lié cette fois à l'évolution de la méthode, est apparu. Depuis un an, l'obligation de résultats présente dans IOD a été renforcée : les équipes se sont fixées comme but de faire accéder à l'emploi 120 personnes sur 200 (contre 96 sur 200 auparavant). Et l'accent est porté sur le maintien plutôt que sur l'accès à l'emploi. Ainsi, sont écartés les CDD et privilégiés les CDI. Conséquence : une baisse du nombre de personnes entrées dans le dispositif. « Avant, plusieurs dizaines de personnes étaient intégrées en même temps ; nous nous donnions du temps et nous travaillions surtout le réseau d'entreprises en recherchant tous types d'offres d'emploi, temps partiel ou complet, CDD ou CDI. Aujourd'hui, nous acceptons moins de personnes - cinq par semaine environ - et nous tâchons de leur trouver en une semaine un CDI, si possible à temps complet », commente Frédéric Bettini. Un recentrage, parfois mal perçu du côté des assistantes sociales. « Il est dommage d'écarter les temps partiels. Cela réduit les possibilités pour les candidats. Sans compter que certains peuvent avoir besoin d'un quart-temps ou d'un mi-temps pour réaborder le monde du travail », explique Dominique Géoppa, assistante sociale à Cagnes-sur-Mer. Autre critique :certaines équipes Cap entreprise, parce qu'elles ont l'œil trop rivé sur les résultats, se seraient désinvesties du travail avec les assistantes sociales.

De quoi mettre en danger le travail en réseau, qualifié de « primordial » au conseil général ? Au contraire, ce dernier entend combattre cette dérive d'un dispositif qu'il a largement soutenu. Il a, en effet, consacré, en 1999, plus de sept millions de francs à Cap entreprise et espère bien continuer. « Le dispositif n'est pas complètement monté en charge », juge Christian Grouselle, directeur général adjoint pour la vie familiale et sociale au conseil général. La création d'une neuvième équipe de l'association est d'ailleurs d'actualité. « La méthode IOD a fait ses preuves. C'est une bonne réponse pour favoriser l'insertion professionnelle des allocataires du RMI, même si cela ne peut être la seule » (3).

Anne Fairise

UNE CENTAINE D'ÉQUIPES IOD EN FRANCE

C'est à Bordeaux, au début des années 80, que la méthode IOD a été développée par deux psycho-sociologues pour faciliter l'insertion professionnelle de jeunes en difficulté. Depuis, Jean-Marc Lafitte et Francis Valle ont monté une association Transfer (4) , chargée de la faire essaimer. IOD suscite beaucoup d'intérêt depuis 1995 et, selon Transfer, « il existe aujourd'hui une centaine d'équipes, la mettant en œuvre en France », financées par des conseils généraux ou des agences locales pour l'emploi (Saint-Malo). Mais IOD reste une méthode en constante évolution : axée d'abord sur l'accès à l'emploi, puis sur le maintien dans l'emploi, elle veut aujourd'hui favoriser l'évolution dans l'emploi.

Notes

(1)  ACTES (Action éducative et sociale), créée en 1875 sous le nom de patronage Saint-Pierre, regroupe un CHRS, un pôle d'insertion linguistique, un entre de bilans et de formation, un foyer pour adolescents et deux maisons d'enfants, sans compter Alpes-Maritimes Cap entreprise, l'association mettant en œuvre la méthode IOD. Alpes-Maritimes Cap entreprise : 60, rue Gioffredo - 06000 Nice - Tél. 04 93 13 80 87.

(2)  ) Alors que l'insertion relevait auparavant de la direction des affaires sociales - Délégation à l'insertion et au logement - Conseil général des Alpes-Maritimes : BP 3007 - 06201 Nice cedex 3 - Tél. 04 93 18 68 10.

(3)  Si le département donne, depuis 1997, la priorité à l'insertion professionnelle, il n'a pas négligé pour autant les actions situées « en amont » du retour à l'emploi (résolution de problème de logement ou de santé, formation, etc). Elles « ont été renforcées, mais dans une proportion moindre », note le conseil général.

(4)  Transfer : 19, rue Esprit-des-Lois - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 48 63 63.

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