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Du droit de refuser au devoir d'accueillir

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A condition de bénéficier du soutien approprié, nombreux sont les enfants handicapés qui tireraient profit d'une scolarisation en maternelle. Pourtant ils n'y sont pas toujours acceptés.

« Finalement, nous ne pourrons pas inscrire votre enfant : en dehors de l'institutrice qui voulait bien le prendre dans sa classe, les autres enseignantes ne sont pas d'accord pour assumer un enfant trisomique 21 », explique la responsable d'une école maternelle parisienne à la mère de Raphaël, 4 ans et demi. La maman d'Antoine, un petit garçon handicapé moteur de 3 ans, a finalement obtenu que son fils soit accepté « à l'essai » trois matinées par semaine...

Comme l'ont montré les journées d'étude de l'ANECAMSP (1), on pourrait multiplier les témoignages tant l'accueil d'en- fants handicapés en milieu ordinaire reste encore affaire de bonnes volontés et d'opiniâtreté de la part des parents. L'intégration, bien sûr, n'est pas une fin en soi : c'est le moyen de permettre à un enfant d'accéder à la culture commune, « non pas comme les autres, mais avec les autres », précise Henri Lafay, vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH). Plus souple dans son fonctionnement que les autres niveaux de l'enseignement, moins polarisée, aussi, sur les apprentissages, tournée vers l'épanouissement individuel des enfants, l'école maternelle a un rôle particulier à jouer à cet égard, estime le sociologue Eric Plaisance, professeur à Paris-V (2). Encore faut-il réunir les conditions nécessaires pour que l'admission de petits écoliers handicapés ne se résume pas à une simple immersion, source d'isolement et de souffrance.

Soutenir les enfants et les enseignants

« L' accompagnement des enfants et de leur famille, comme les relations tant avec l'équipe enseignante qu'avec les rééducateurs et les médecins, sont au cœur de notre mission, explique Maurice Jacquot, directeur d'un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) à Haguenau (Bas-Rhin). Nous sommes du côté de l'enfant pour mettre en place les moyens éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques nécessaires à son développement  » et, le cas échéant aussi, pour sensibiliser les parents et les professionnels aux risques d'une intégration scolaire qui ne serait pas ou plus adaptée. Inscrits à temps complet ou partiel dans les écoles maternelles de la région, les enfants de moins de 7 ans, suivis par le Sessad d'Haguenau, partagent la vie et les activités des écoliers de leur âge. La scolarisation en maternelle est, pour eux, encore plus importante que pour tout autre enfant, estime Maurice Jacquot. Les bénéfices de cet environnement stimulant marquent en effet souvent une accélération de leur développement, en particulier sur le plan psychomoteur et dans la mise en place du langage. Et la pédagogie active que pratiquent les institutrices favorise les savoir-faire des écoliers, en évitant de trop pointer leurs échecs. En petite et moyenne section de maternelle, d'ailleurs, ajoute Maurice Jacquot, les décalages entre enfants ne sont pas trop grands et le travail, individualisé ou en petit groupe, est adapté aux écoliers porteurs d'un handicap.

En fonction de leurs besoins spécifiques, les éducateurs du Sessad aménagent également, pour eux, les passerelles nécessaires avec d'autres structures. C'est aussi, au cas par cas, qu'ils négocient leur collaboration avec les enseignantes : échanges en dehors de la classe, si elles ne souhaitent pas la venue de professionnels dans l'école ; ou intervention sur place auprès de l'enfant, soit de façon individuelle dans une salle mise à leur disposition, soit en organisant une activité collective qui regroupe un petit nombre d'écoliers - moyen d'évaluation très pertinent pour les éducateurs spécialisés. Ces derniers jouent, en outre, un rôle important pour médiatiser les relations entre les enseignantes et les familles, surtout lorsque les parents, n'ayant pas suffisamment conscience des difficultés de leur enfant, fondent trop d'espoirs sur l'école et mettent en cause les compétences de l'institutrice. Il convient alors de les aider à passer d'une attente de résultats scolaires -et d'une certaine normalisation - à une demande plus éducative.

De nombreux freins à lever

Le manque de temps et la lourdeur des effectifs que les enseignants ont en charge - et qui ne sont pas allégés quand ils scolarisent un enfant différent - constituent de réels obstacles à l'intégration scolaire en milieu ordinaire. L'absence de formation spécialisée des maîtres est également à l'origine de représentations erronées et d'angoisses, pouvant expliquer certaines attitudes inadéquates, voire un refus pur et simple d'accepter un enfant porteur de handicap. D'où l'intérêt de préparer les équipes, en amont de l'arrivée de l'écolier, et de les accompagner ensuite, tout au long, dans leur compréhension de la singularité de l'enfant accueilli. « Ce soutien, trouvé auprès des professionnels du CAMSP de Créteil, a été un facteur très favorable au bon déroulement de la scolarité de Sofian, atteint de trisomie, dans notre établissement », témoigne Marie-Hélène Martin, directrice de l'école Romain-Rolland, à Bonneuil (Val-de- Marne).

La venue, dans les classes, d'institutrices spécialisées itinérantes - qui sont de véritables enseignantes, et non des auxiliaires d'intégration - s'avère aussi une aide précieuse, tant pour les maîtresses que pour leurs élèves. Mais ce type de poste n'existe pas partout, ni pour tous les types de handicaps. En outre, les titulaires en fonction sont souvent trop peu nombreuses pour pouvoir vraiment suivre les enfants sur un plan individuel. Ainsi, à Paris, on compte dix institutrices spécialisées pour la totalité des écoles maternelles et élémentaires : deux interviennent auprès des écoliers déficients intellectuels, deux auprès des handicapés moteurs, deux auprès des petits aveugles et quatre auprès des enfants sourds. Mais il n'y en a aucune pour travailler avec les polyhandicapés. « Les enfants déficients visuels ou auditifs sont les seuls pour lesquels nous suffisons à peu près à la demande », commente Annick Pujols, chargée d'épauler des jeunes atteints de surdité. C'est regrettable, juge-t-elle, car si certains enfants ont besoin d'être dans un milieu plus protégé (type classe d'intégration scolaire), la majorité d'entre eux tirent grand profit de pouvoir se mêler aux autres.

Cette socialisation commune est également très enrichissante pour leurs camarades non handicapés, insiste Suzanne Moussier, directrice de l'école de la Chaumière, à Nevers, partenaire du service d'éducation, de soins et d'aide à l'intégration des jeunes sourds (Sesalis) de la Nièvre. « Bien sûr, nous désirions faire vivre aux enfants entendants une expérience positive et concrète d'éducation à la citoyenneté, explique-t-elle . Mais sans avoir réellement estimé le bénéfice pédagogique qu'ils en retireraient. » Or les enseignants ont peu à peu mis en évidence que l'introduction de la langue des signes dans le projet et les activités de l'école, loin de freiner les apprentissages des enfants de la classe, leur permettait d'aborder une réflexion sur les mots, la phrase, etc., à laquelle ils n'accédaient pas auparavant. L'écolier sourd, quant à lui - un seul est intégré dans chaque section -, oralise tout en utilisant en parallèle la langue des signes, et n'hésite pas à aider ou à corriger ses camarades plus ou moins habiles à « signer ». Tour à tour locuteur et interlocuteur, il devient progressivement initiateur de messages, cependant que l'apport de la langue des signes aide les autres enfants à développer leur attention. Pour certains d'entre eux, d'ailleurs, qui n'avaient pas envie de découvrir la lecture, la création de livres bilingues, où mots, dessins et signes se côtoient, a facilité l'entrée dans l'écrit.

Quelles alternatives ?

Ce type d'intégration individualisée n'est pas possible partout. Elle n'est pas non plus toujours bénéfique à l'enfant, s'est rendu compte, après coup, la maman de Baptiste, infirme moteur cérébral. Grâce au soutien d'une équipe du CAMSP et d'une institutrice spécialisée itinérante, tout semblait, pourtant, se passer au mieux pendant les deux années où l'enfant a été scolarisé dans une maternelle ordinaire. Au moment de passer en grande section néanmoins, il a fallu trouver une autre solution, car la maîtresse, surchargée, refusait de prendre Baptiste. L'entrée de l'enfant dans le service spécialisé de l'hôpital Bicêtre a alors été un véritable soulagement pour lui. « Malgré de longs trajets en taxi, un cadre peu attirant et la présence d'enfants lourdement handicapés, explique sa maman, Baptiste a non seulement obtenu de meilleurs résultats sur le plan scolaire, mais il a surtout trouvé une sécurité affective que ne lui avait pas donnée l'école : désormais, il n'était plus le seul enfant différent de la classe, et il n'avait plus l'angoisse de devoir suivre les autres.  »

Reste que si l'acharnement intégratif n'est certainement pas souhaitable, force est de constater l'insuffisance du nombre de structures permettant d'accueillir correctement les jeunes enfants qui ont des besoins spécifiques. Au niveau des écoles maternelles, les classes d'intégration scolaire, regroupant de petits effectifs d'élèves présentant le même type de handicap, sont rarissimes. Cela semble aussi être le cas des jardins d'enfants adaptés, comme celui de Boulogne (Hauts-de-Seine) qui fête ses dix ans cette année. On sait pourtant combien la fréquentation d'un lieu collectif est toujours bénéfique pour un enfant handicapé et sa famille.

Caroline Helfter

UN MANIFESTE POUR LE DROIT À L'ÉDUCATION DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE

Alors que 97 % des 3 à 6 ans vont à la maternelle, les enfants porteurs d'un handicap sont loin de fréquenter, dans la même proportion, des lieux de socialisation. Et leur situation n'a pas été spécifiquement prise en compte dans le plan Handiscol' (3) , déplore Laure Labrousse Guichard, présidente de l'Association nationale des équipes et des centres d'action médico-sociale précoce  (ANECAMSP). C'est pourquoi, avec cinq autres signataires (4) , l'organisation a remis, le 10 mars, aux pouvoirs publics, un texte rappelant, notamment, que le droit aux soins et à l'éducation, affirmé dans la loi du 30 juin 1975, « s'applique dès le plus jeune âge de l'enfant et ne doit pas être lié à la réglementation concernant l'obligation scolaire ». Les familles d'enfants présentant des difficultés doivent donc pouvoir bénéficier du service rendu par l'ensemble des structures de la petite enfance (crèches, haltes-garderies, maternelles). Il importe, à cet égard, qu'elles soient adaptées de façon à pouvoir s'ouvrir au plus grand nombre d'enfants handicapés. Et pour ceux qui sont en très grande difficulté, « il est nécessaire de mettre en place des conditions particulières répondant à leurs besoins de soins et d'éducation » et de créer des solutions d'accueil de proximité.

Notes

(1)   « L'enfant handicapé à l'âge de la maternelle », organisées les 16 et 17 mars à Paris par l'Association nationale des équipes et des centres d'action médico- sociale précoce et l'Association pour adultes et jeunes handicapés. ANECAMSP : 10, rue Erard - 75012 Paris - Tél. 01 43 42 09 10.

(2)  A signaler la contribution d'Eric Plaisance au passionnant dossier  « Marginalisation, intégration », publié par La nouvelle revue de l'AIS (n° 8/1999 -130 F). Rens. et commandes : CNEFEI - Service publications : 58/60, avenue des Landes - 92150 Suresnes - Tél. 01 41 44 31 29.

(3)  Voir ASH n° 2116 du 23-04-99.

(4)  L'ANCE, l'APAJH, l'APF, l'association Fait 21 et l'Unapei.

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