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Un centre à l'écoute des hommes agressifs

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A Paris, une structure accueille des hommes violents envers leur compagne. Son but : permettre à ceux-ci d'exprimer des souffrances considérées comme à l'origine de leur brutalité. Et à terme, également, prévenir la violence privée en évitant les phénomènes de reproduction familiale.

« Pour lutter efficacement contre la violence conjugale, il est nécessaire d'agir à la source »,  affirme Alain Legrand, cofondateur de l'Association de lutte contre les violences. Fort de cette conviction, ce psychologue-psychanalyste a ouvert un centre d'accueil, S. O. S. violences familiales, en octobre 1999 (1). Son objectif : prendre en charge et aider les personnes responsables de brutalités au sein de leur famille. « Dans la très grande majorité des cas, il s'agit d'hommes », précise Alain Legrand.

Du lundi au vendredi, de 10 h à 20 h, les membres de l'équipe de S. O. S. violences familiales -trois psychologues et une assistante de direction - se relaient pour assurer une permanence téléphonique. Ici, on reçoit uniquement sur rendez- vous. « Lors du premier contact au téléphone, explique Alain Legrand, nous tenons à ce que l'interlocuteur comprenne clairement que nous accueillons exclusivement les auteurs de violences familiales et que c'est, en tant que tel, qu'il sera reçu. »

La dernière solution avant d'être seul

Rares sont les hommes qui se rendent au centre de leur plein gré. Pour la majorité d'entre eux, une contrainte extérieure est nécessaire : « Souvent, ils s'adressent à nous parce que leur compagne les a quittés ou menace de partir, reprend Alain Legrand. Ils ont peur de se retrouver seuls et ils nous considèrent comme leur ultime recours, car ils espèrent que nous leur donnerons des recettes pour “récupérer” leur conjointe. Nous leur expliquons que cela n'est pas notre but et nous amorçons ainsi un dialogue. » La deuxième voie qui peut conduire à S. O. S. violences familiales est l'obligation de soins prononcée par un juge d'instruction ou un juge délégué après une arrestation. Intervenant dans le cadre d'un contrôle judiciaire, cette mesure, prise pour une période de dix jours à un mois, consiste à faire suivre, par un spécialiste, l'auteur présumé coupable d'agressivité conjugale. « L'objectif est de l'aider à comprendre qu'il est responsable d'un acte grave et répréhensible par la loi, spécifie Sophie Bouchard, assistante sociale de l'administration pénitentiaire, affectée au service du contrôle judiciaire de Paris. Car, très souvent, les auteurs sont dans le déni complet. Une structure telle que S. O. S. violences familiales peut les amener à travailler sur leur responsabilité. »

Enfin, la troisième raison qui pousse à se rendre au centre d'accueil est l'ajournement avec mise à l'épreuve. Lorsque la culpabilité d'un homme est reconnue, le président du tribunal peut suspendre sa peine, pendant un an au maximum, et ordonner un suivi par le service de probation. Celui-ci peut alors le diriger vers les psychologues de S. O. S. violences familiales.

« Nous voyons d'abord la personne trois fois, à raison de trois quarts d'heure par semaine, explique Alain Legrand . Au fil de ces séances, nous voulons l'amener à reconnaître qu'elle a un problème et que nous avons des compétences qui peuvent l'aider à s'en débarrasser. Le but est d'amorcer une relation thérapeute/patient. » A partir des multiples raisons invoquées par les auteurs de violences pour justifier leurs actes (fréquemment ils disent avoir été provoqués par leur compagne), les spécialistes tentent de montrer l'inadaptation sociale et morale de l'usage de la brutalité. Ensuite, ils essaient de soulever le voile sur les mécanismes psychologiques qui motivent cette réaction. « Beaucoup d'hommes violents ont une mauvaise image d'eux-mêmes, affirme Alain Legrand .Souvent, leur personnalité s'est façonnée dans une ambiance familiale déstabilisante : certains ont été directement victimes de maltraitance, d'autres ont vu leur père frapper leur mère, d'autres encore ont grandi en obéissant à des règles de vie très strictes qui ont brimé leur sensibilité et empêché leur épanouissement... La plupart du temps, ils cachent une souffrance qu'il faut leur permettre d'exprimer pour enrayer leur violence et surtout pour éviter que leurs enfants reproduisent le même modèle familial. »

Démonter les mécanismes de la violence

Mais tous ces hommes n'acceptent pas forcément l'idée de parler d'eux-mêmes et de leur enfance. A la suite des trois séances initiales, Alain Legrand décide alors de la thérapie qui lui semble la plus judicieuse à entreprendre avec chacun. Lorsqu'il pense être face à un individu trop réticent à l'introspection, il pratique une psychothérapie de soutien : à raison d'une séance par semaine durant trois ou quatre ans, il décortique avec son patient les situations de violence dont ce dernier a été l'instigateur. L'objectif surtout est de lui faire admettre qu'un tel comportement est anormal. L'autre thérapie, dite structurale, s'attache davantage à décomposer chaque trait fondamental de la personnalité. Aurythme de deux ou trois séances par semaine pendant quatre ou cinq ans, le psychologue part des situations vécues et, grâce à des associations d'idées, il démonte les mécanismes qui ont conduit son patient à devenir violent. « Par la suite, je souhaiterai développer un travail de groupe, ajoute Alain Legrand . Cela permettrait à ceux qui craignent de se retrouver face à eux- mêmes de discuter indirectement de leur problème. »

Une expérience originale

La grande originalité de S. O. S. violences familiales tient au simple fait d'exister : « Ce type de structure reste exceptionnel en France, déplore Catherine Lesterpt, chef de bureau au service des droits des femmes. C'est en partie lié au fait qu'auparavant, les associations féministes étaient très opposées à ce que l'on s'intéresse aux auteurs de violences privées. Or, depuis 10 ou 15 ans, on s'aperçoit que parmi ces hommes, certains seraient susceptibles de s'interroger sur leur brutalité. D'ailleurs, devant ce constat, quelques foyers, accueillant des femmes battues, ont ouvert une antenne pour recevoir les maris violents. Lorsque ces derniers viennent pour “récupérer” leur femme, on ne les rejette plus comme avant. On leur propose, désormais, de discuter. Malheureusement, ils sont ensuite rapidement lâchés dans la nature, faute de structures pour prendre le relais. A Paris, seul le centre S. O. S. violences familiales offre une autre possibilité.  »

Au Québec, depuis le début des années 80, les auteurs de violences conjugales sont tenus de participer à des groupes de parole durant six mois à raison de deux heures par semaine. D'après Vivianne Monnier, déléguée nationale de la Fédération solidarité femmes (2), cette pratique, aussi intéressante soit-elle, a également montré les effets pervers d'une telle prise en charge : « Grâce à ces tables rondes, certains hommes ont compris que la violence physique laissait des marques et qu'à cause de cela, ils pouvaient être repérés. Ils ont alors opté pour la violence psychologique, plus discrète, voire plus efficace pour maintenir l'ascendant sur leur compagne. » Afin d'éviter ces phénomènes de déplacement, les associations de femmes battues préconisent un suivi de la compagne parallèlement à la prise en charge du conjoint violent.

Autre constatation effectuée par Catherine Lesterpt à propos de l'expérience québécoise : une baisse rapide de l'usage de la violence physique dès que les hommes sont aidés, mais également, un abandon prématuré des consultations (parfois après deux ou trois séances) sitôt que les tensions semblent apaisées dans le couple. Or, quelle que soit la thérapie entreprise, tous les spécialistes reconnaissent que plusieurs années sont nécessaires pour espérer obtenir des résultats. « A Oslo, en Norvège, les auteurs de violences conjugales aidés par des organisations spécialisées doivent s'engager pour un suivi d'au moins trois ans », reprend Vivianne Monnier.

Une insécurité financière

Si S. O. S. violences familiales est une structure trop récente pour présenter d'ores et déjà des résultats, tous ses partenaires reconnaissent son intérêt. Cependant, le centre demeure fragile. Soumis à la subvention que lui accorde, pour l'instant, la direction de l'action sociale et peut-être d'ici à quelques mois, le service des droits des femmes, il est obligé de fixer un prix de 150 F pour chaque consultation. Or ce montant s'avère parfois rédhibitoire : « Outre le fait qu'un homme au chômage ne peut se permettre de débourser une telle somme régulièrement, un montant aussi élevé peut servir d'excuse afin d'éviter la thérapie », souligne Alain Legrand. Cependant, même si les moyens de l'association autorisaient la gratuité, les séances resteraient payantes pour préserver le principe du travail thérapeutique selon lequel le patient se dédouane du service rendu en le payant. Toutefois, une somme modique permettrait d'ouvrir la prise en charge à tous les intéressés.

Faute de financement, le centre vit sous pression. Tout comme la structure dont il est l'émanation directe :l'Association pour la prévention de la violence en privée, qu'avait rejointe Alain Legrand, mais qui a dû fermer ses portes en 1996 pour cause de moyens insuffisants. Et pourtant, elle remplissait, de toute évidence, le même vide que S. O. S. violences familiales.

Véronique Mahé

QUATRE CENTRES D'ACCUEIL EN FRANCE

Situés à Marseille, Belfort, Amiens et Paris, ils sont quatre centres en France à accepter l'appellation d'accueil pour les auteurs de violences familiales et conjugales. Plus ou moins fragiles selon leur implantation et leur ancienneté, certains sont mieux lotis que d'autres en termes de subventions. Et chacun possède sa manière spécifique d'envisager la prise en charge : alors que quelques-uns sont plus enclins à pratiquer un soutien comportementaliste (qui consiste à éradiquer tout comportement violent), d'aucuns préfèrent recourir au travail analytique (qui s'attache à démanteler les mécanismes psychologiques de la violence). Malgré ces différences, Alain Legrand, souhaiterait fédérer ces structures : « Pour échanger nos idées, nos savoir- faire et nos pratiques. Il serait également intéressant de construire une base de données pour tenter d'évaluer le taux de réussite de chaque type de thérapie en fonction des différents profils. » Autre intérêt, selon ce psychologue- psychanalyste, un regroupement permettrait d'avoir un poids plus grand face aux pouvoirs publics afin de faire reconnaître l'importance de l'aide aux personnes responsables de brutalités conjugales, dans le cadre d'une politique générale de prévention sur la violence privée.

Notes

(1)  Association de lutte contre les violences et S. O. S. violences familiales : 11, rue Taine - 75012 Paris - Tél. 01 44 73 01 27.

(2)  Fédération nationale solidarité femmes : 32/34, rue des Envierges - 75020 Paris - Tél. 01 40 33 80 90.

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