A propos de la violence à l'école

« Si, dans le cadre de notre travail, nous ne sommes pas plongées directement au cœur de la question scolaire, nous sommes amenées à rencontrer des élèves de tous âges, en grandes difficultés personnelles, socio-culturelles et scolaires, ceux-là mêmes qui peuvent être désignés comme violents. Nous accueillons ces enfants dans des groupes thérapeutiques, avec comme médiation le rapport aux apprentissages.

« On peut faire les constats suivants :pauvreté de moyens langagiers au niveau de l'expression verbale, qui n'est pas pour eux un moyen accessible de relation ; disqualification fantasmatique ou réelle de leur culture d'origine quelle qu'elle soit ; très important manque de repères, particulièrement en ce qui concerne la loi, grammaticale, sociale ou symbolique et une mise à mal de celle-ci ; dans le cadre de l'école ou du collège, ces enfants-là sont dans l'impossibilité de répondre à la demande scolaire, vécue comme arbitraire et sans lien avec leur monde réel et le monde qu'ils se représentent.

« Dans ce contexte, quelle issue leur reste-t-il, sinon celle de la violence ? Pourtant ces enfants, souvent peu soutenus par leur famille, acceptent de venir deux fois par semaine, en fin de journée scolaire et le mercredi, se confronter à toutes ces questions. Ils rencontrent deux adultes qui leur montrent “qu'ils ne veulent rien pour eux, mais avec eux”, là où ils en sont réellement, sans tenir compte de leur âge ni de leur niveau scolaire. Dans cette situation nouvelle, il nous faut éviter les pièges dans lesquels ils veulent entraîner le groupe, c'est-à-dire reproduire des conduites face à des situations scolaires débouchant inévitablement pour eux sur des exclusions ou des tensions telles qu'elles rendent impossible toute communication [...].

« De cette expérience partagée s'ouvre peut-être une brèche dans la solitude de leur échec. En effet, au-delà d'un apprentissage des notions de base, il s'agit de faire entrer en résonance histoire personnelle et concepts essentiels du champ du langage et des mécanismes opératoires ; ces liens qui se nouent et se dénouent, selon les mouvements des affects, sont peut-être au cœur de la question de l'échec scolaire et de la violence qu'ils génèrent.

« Il est sans doute malaisé pour des enseignants ou des acteurs sociaux de penser que les propositions d'accès au savoir exercent sur les enfants une forme de violence (ou sont vécus comme telle). Mais l'école ne pourrait-elle pas imaginer, lorsqu'un enseignant se trouve aux prises avec un élève perturbateur ou en refus par rapport au travail proposé, des lieux d'accueil ponctuels et informels où les enfants rencontreraient là, dans “l'ici et maintenant”, un adulte en mesure de mettre en mots ce qui leur advient et qui puisse constituer pour eux un repère, une limite et un sens ? Des lieux où, malgré les lacunes, les inhibitions, les angoisses de chacun, le regard des autres deviendrait moins dangereux, les risques d'exclusion du groupe d'appartenance moins périlleux, des lieux enfin où les enjeux seraient un peu déplacés.

« Ces lieux seraient une offre différenciée des réseaux d'aide spécialisée [...] et pourraient être confiés à un personnel qualifié, capable d'écouter, de répondre et d'accompagner.

« Peut-être que c'est avec la mise en place de propositions originales de ce type que la passion de l'ignorance cèderait enfin le pas au plaisir de penser. »